Décès dans un tableau de péritonite biliaire

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Décès dans un tableau de péritonite biliaire : cholécystite aiguë diagnostiquée avec 48h de retard

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  • douleur abdominales, cholécystite aiguë

Un homme se rend aux urgences pour des fortes douleurs abdominales avec ballonnement. Quelques jours après, il décède...

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  • Médecin
Auteur : Christian SICOT, Médecin / MAJ : 19/09/2018

Cas clinique

Le vendredi 12 septembre 2014, à 20h00, un homme de 60 ans consulte aux urgences d'une clinique pour des douleurs abdominales avec ballonnement, apparues le soir même après le repas. Il s'agit d'un sujet d'origine étrangère, parlant et comprenant difficilement le français (mais accompagné de son fils), en traitement pour obésité, diabète non insulino-dépendant, dyslipidémie et hypertension artérielle. Il est pris en charge successivement par deux urgentistes. L'examen montre un "abdomen pléthorique sans défense, ni contracture". Il est réalisé une radiographie d'abdomen sans préparation (interprétée comme normale), mais pas d'examen biologique. Le patient est autorisé à regagner son domicile avec une ordonnance d'antalgiques, d'antispasmodiques et de laxatifs. Il lui est prescrit de revenir en cas de "persistance de la douleur, ou de fièvre ou de vomissement ". Le fils du patient déclare, lors de l'expertise, que son père avait exprimé la volonté de rester à la clinique. Toujours selon son fils, le lendemain, non seulement la douleur persiste malgré le traitement mais une fièvre à 40°C apparait.

Le dimanche 14 septembre, à 12h40, le patient revient aux urgences de la clinique en raison de l'aggravation des douleurs. L'état clinique n'est pas précisé dans le dossier. La température est à 37,6°C, la PA à 196/103 mmHg, la FC à 133/min. Le bilan biologique montre des GB à 19 400/mm³, une CRP à 405 mg/l et de légères anomalies des tests hépatiques. La paO2 est à 62,5 mmHg. Le scanner abdominal met en évidence des signes en faveur d'une cholécystite aiguë avec "épaississement de la paroi de la vésicule biliaire et infiltration de la graisse périvésiculaire".

Le chirurgien d'astreinte à domicile est prévenu mais ne vient pas voir le malade, demandant qu'il soit mis au tableau opératoire pour le lendemain. Lors de l'expertise, il déclare ne pas avoir été informé des signes de gravité (notamment de la tachycardie et de l'hypoxie). Un traitement par Augmentin (1 g x3 IV) est prescrit.

A 21h20, le patient est transféré dans le service de chirurgie de la clinique. Il est vu par le cardiologue de garde sur place qui conclut à l'absence de contre-indication opératoire. Une consultation d'anesthésie est également réalisée.

Le lundi 15 septembre, dans la matinée, le patient est examiné par le chirurgien qui le trouve en « bon état clinique" : PA à 140/70 mmHg, FC à107/min, Température à 37 °C.

L'intervention a lieu à 16 h,"Opencœlioscopie à l'ombilic qui montre une péritonite biliaire avec épanchement de bile et de pus autour du foie. La vésicule biliaire a une paroi nécrosée. Il existe de multiples fausses membranes autour du lobe droit du foie, du pédicule hépatique et du lobe gauche ainsi que sur l'estomac et le grand épiploon. Le cholangiogramme intra-hépatique est complet : intégrité des convergences supérieure et inférieure, avec de bons passages duodénaux...

Extraction de la vésicule dans un sac par l'orifice du trocart ombilical. Lavage de la cavité péritonéale au sérum physiologique tiède (9 litres), Drain sous-hépatique extériorisé dans le flanc droit. A l'ouverture de la pièce opératoire, calculs et pus prélevé pour analyse bactériologique

Surveillance en SSPI : PA et FC stables à 160/90 mmHg et 91 à 100/min, production du drain 20ml.

A 19h45, transfert du patient dans le service de chirurgie avec les prescriptions suivantes : Augmentin 1g x 3/j, Gentamycine 240 mg/j, Flagyl 500mg x 3 /J; Bionolyte 2 l/24 h; Lovenox SC 0,7ml/24h; antalgiques. En l'absence de transmission concernant la surveillance clinique et biologique, les infirmières appellent la SSPI sans réponse, puis le chirurgien. A la suite de ce dernier appel, elles notent dans le dossier "grosse péritonite". Elles décident alors de transférer le patient dans l'Unité de soins continus de la clinique.

De 20h30 à 23h00, absence de constantes disponibles

A 23h00, l’infirmière note: "frissons, sueurs, température à 36,4°C, PA 116/61 mmHg, FC 135/min, Fréquence respiratoire (FR) 35/min". Appel du cardiologue de garde sur place, qui répond que le cas dépend de l'anesthésiste car " J0 d'une péritonite".

L'anesthésiste d'astreinte à domicile appelé, prescrit « Ringer-lactate 500 ml et Augmentin 2g " sans se déplacer.

A 23h45, le cardiologue qui s'est, néanmoins, déplacé auprès du malade, écrit dans le dossier : "Tachycardie sinusale à 130 /min suite à des décharges septiques probables". Il prescrit des hémocultures, un ECBU, une NFS, un ionogramme sanguin avec une créatinémie. Ces examens ne seront pas réalisés et le cardiologue n'en demandera pas le résultat.

Le 16 septembre, à 00h45, l'infirmière note : "Algique à 5/10 après Perfalgan et Acupan. Morphine 3 mg administrée. Température à 36°C, sueurs, frissons, PA à 112/59 mmHg, FC à 130/ min, FR à 33/min, SaO2 à 95% sous O2 2 l/min". Appel de l'anesthésiste : prescription de 2 mg de morphine par téléphone.

À 01h30, " Toujours algique, se plaint de douleurs à l'abdomen, PA 105/53 mmHg, FC 140/min. 2 l de Ringer en cours"

À 02h00, "Algique (abdomen), PA 92/51 mmHg, FC 139/ min, FR 40/min. Ringer terminé, passage d'un autre Ringer. O2 passé à 3 l/min.…"

À 02h30, " Hypotension avec PA à 54 /32mmHg, frissons, sueurs, marbrures, FC à 82/min, Température à 35,5 °C" Appel de l'urgentiste de garde sur place et de l'anesthésiste d'astreinte. A son arrivée, l'urgentiste constate :"Patient en état de choc, marbrures ++. Coma Glasgow 3. Intubation orotrachéale en séquence rapide. Ventilation assistée. Prélèvement sanguin pour bilan"

À 03h00, premier arrêt cardio-circulatoire récupéré après 5 min de bas débit et 3 mg d'adrénaline.

À 03h15, deuxième arrêt cardio-circulatoire, à nouveau récupéré avec mise en route de 5 mg/h d'adrénaline.

À 03h27, appel du SAMU par l'anesthésiste d'astreinte arrivé sur les lieux, pour transfert du patient en réanimation.

À 03h30, retour des examens biologiques : Hb à 9g/100 ml (16 g la veille à 15 h) Emission de sang rouge par le drain. Commande de 3 culots globulaires et de 3 plasmas frais congelés.

À 04h04, appel pour annuler le transfert demandé au SAMU car choc hémorragique probable. Appel du chirurgien opérateur qui ne répond pas. Appel du chirurgien d'astreinte à domicile qui décide de venir pour réintervenir.

À 04h45 passage du premier culot globulaire.

À 05h10, passage du premier plasma congelé. PA 175/75 mmHg, FC 83/min.

À 05h30, reprise au bloc par le chirurgien d'astreinte : " Cœlioscopie exploratrice puis laparotomie sous-costale. Il existe un épanchement sanglant rouge en sous-hépatique qui sera immédiatement aspiré. Lavage au sérum physiologique et tamponnement de la région à l'aide d'un champ. On extirpera pendant ce temps, de multiples caillots disséminés à la face antérieure du grand épiploon et dans la gouttière parièto-colique droite, le long du drain mis en place la veille.

Après ablation du champ servant à faire l'hémostase, on vérifiera la région des clips qui apparaît satisfaisante. Le clip sur l'artère cystique est correctement positionné et on ne note aucune hémorragie à ce niveau...

En fin d'intervention, malgré l'évacuation des caillots, le saignement se poursuit, en nappes, provenant de toutes les zones inflammatoires... mais moins abondant qu'en début d'intervention. Toutefois, il est également diffus au niveau de toutes les incisions ainsi que dans le liquide d'aspiration gastrique..."

En postopératoire immédiat, le patient continuait de saigner comme en témoignent les dosages successifs d'hémoglobine. Le SAMU rappelé, refusait, comme c'est la règle, le transfert du fait d'un saignement actif chez un patient non stabilisé thermodynamiquement. Les réanimateurs du SAMU demandent une réintervention pour « packing et hémostase ». Mais le chirurgien de garde et le chirurgien opérateur (arrivé vers 10h30) jugent qu'une telle intervention serait inutile.

Décès du patient à 14h15.

Saisine de la Commission de Conciliation et d'Indemnisation (CCI), en décembre 2014 par le fils du patient pour obtenir réparation du préjudice qu'il avait subi.

Analyse

  1. Lisez en détail le cas clinique.
  2. Oubliez quelques instants cette observation et rapportez-vous au tableau des barrières, identifiez les barrières de Qualité et sécurité que vous croyez importantes pour gérer, au plus prudent, ce type de situation clinique. Le nombre de barrières n’est pas limité.
  3. Interrogez le cas clinique avec les barrières que vous avez identifiées en 2 ; ont-elles tenu ?
  4. Analysez les causes profondes avec la méthode ALARM.

Expertise (mars 2017)

D'après l'avis des experts, tous deux professeurs d'université et chefs de service, l'un d'anesthésie-réanimation et l'autre de chirurgie digestive "(...) Le patient était décédé au décours d'un arrêt cardiaque postopératoire, dans un tableau de défaillance multiviscérale en lien avec une péritonite biliaire à l'origine d'un sepsis majeur et d'un état de choc hémorragique. De nombreux comportements non conformes aux règles de l'art et aux données acquises de la science avaient été à l'origine de ce décès

1) Le diagnostic a été fait avec retard et ce, à deux niveaux :

  • Le 12 septembre, le patient vient aux urgences pour une douleur abdominale de survenue récente, soudaine et persistante, en l'absence d'antécédent douloureux abdominal, ce qui était un signe très probable d'une pathologie organique constituée. Il ne s'agissait pas d'un simple trouble fonctionnel comme la constipation qui a été le diagnostic retenu selon l'ordonnance, d'autant que le patient était plutôt enclin à la diarrhée pour laquelle il était traité par Imodium. Lors de l'expertise, l'un des deux urgentistes déclarait que la douleur avait cédé à l'administration de 1 g de Perfalgan. Cet argument n'est pas recevable car on sait que les antalgiques masquent la douleur. Par ailleurs, on sait que les diabétiques ont des douleurs modérées du fait de leur neuropathie, ce qui peut conduire à des retards diagnostiques. Pour éliminer une pathologie abdominale ou cardiovasculaire, le patient aurait dû avoir des examens biologiques simples (NFS, CRP, bilan hépatique, troponine..) un ECG et une imagerie adaptée : échographie ou scanner (une radiographie d'ASP est considérée comme sans intérêt dans les urgences abdominales). Ces examens étaient justifiés car, chez les patients de plus de 50 ans venant aux urgences pour douleurs abdominales, la cholécystite aiguë vient au premier rang des diagnostics probables avec 20% des cas. Dans le doute, du fait des antécédents du patient, une hospitalisation en observation aurait été prudente afin de permettre une surveillance. Selon son fils, le patient aurait demandé cette hospitalisation. Des examens biologiques et une imagerie médicale et/ou une hospitalisation auraient sans doute permis un diagnostic et un traitements plus précoces. Il faut préciser qu'il n'avait pas été fait appel à un chirurgien, ce jour.
  • Le 14 septembre, le patient est hospitalisé à la clinique avec le diagnostic de cholécystite aiguë. Il existe des signes de gravité : tachycardie à 133/min, CRP à 405 mg/l et surtout PaO2 à 62,5 mmHg. Ces signes ainsi que l'état antérieur du patient, font classer sa pathologie dans le grade III de la Classification de Tokyo des cholécystites aiguës. Ce degré de gravité impose une intervention en urgence. Le chirurgien d'astreinte ne vient pas voir le patient. Lors de l'expertise, il dit ne pas avoir été informé par l'urgentiste et par l'anesthésiste de ces signes de gravité. Il lui est répondu qu'il est de bonne pratique de venir voir un patient que l'on programme pour une intervention et de consulter l'ensemble du dossier, d'autant qu'on était en début d'après-midi. Le patient est simplement mis sous antibiotique(Augmentin) et il n'est pas envisagé d'intervention d'urgence. Une intervention immédiate aurait pu éviter l'extension du sepsis, éviter la péritonite et donner une meilleure chance au patient.

2) Le traitement chirurgical a été trop tardif. Il aurait dû être réalisé au mieux le 13 septembre après un diagnostic de cholécystite établi le 12 septembre, sinon le 14 septembre devant les signes de gravité accompagnant le tableau clinique.
Pour conclure sur l'établissement du diagnostic initial et le choix de l'acte, il y a lieu de retenir un retard à deux niveaux: le 12 septembre (responsabilité des deux urgentistes) et le 14 septembre (responsabilité du chirurgien d'astreinte)

3) L'acte chirurgical -cholécystectomie avec toilette péritonéale- a été correct et n'appelle pas de critique

4) La surveillance post opératoire du patient appelle des remarques importantes :
- La transmission entre l'équipe opératoire (chirurgien et anesthésiste) et l'équipe infirmière n'était pas à la mesure de la gravité du patient
- Le patient n'a pas été placé, d'emblée, en Unité de soins continus malgré le risque que son cas représentait et la surveillance qu'il exigeait
- entre 20h30 et 23h00, aucune constante (PA, FC, FR) n'est mentionnée dans le dossier infirmier
- à 23h00, l'état du patient étant inquiétant, les infirmières appellent le cardiologue de garde sur place qui, à juste raison, évoque des décharges septiques et prescrit des examens
- les examens demandés par le cardiologue ne seront pas réalisés, ce qui représente un dysfonctionnement du service
- L'anesthésiste d'astreinte à domicile appelé ne se déplace pas. Il ne demande pas à ce que l'urgentiste présent sur place passe voir le patient et se contente de prescrire un remplissage vasculaire. Il s'agit d'une faute professionnelle majeure car, à l'évidence, les symptômes étaient ceux d'un sepsis sévère et non d'une simple hypovolémie
- le 16 septembre, à 01h00, nouvelle aggravation du patient avec accentuation des douleurs abdominales. L'anesthésiste d'astreinte est, de nouveau, appelé. Il ne se déplace pas et continue à prescrire un remplissage vasculaire. Ici, la faute est encore plus grave car il s'agit d'une part, d'un rappel et d'autre part, pour des symptômes qui s'aggravent malgré le traitement déjà prescrit
- entre 01h00 et 02h30, on assiste à une dégradation progressive du patient due à l'évolution du processus infectieux intra-abdominal, bientôt compliqué de troubles de la coagulation et aboutissant à un syndrome de défaillance multiviscérale et deux arrêts cardiaques

5) La décision de réintervenir prise par le chirurgien d'astreinte était adaptée et cohérente mais, à ce moment, les chances de survie étaient très faibles (...) "

Au total, les experts concluaient : "(...) Le décès a été causé par une infection sévère (cholécystite Grade III) survenant sur un terrain fragile (état antérieur). Il a été, en grande partie, lié à des retards dans le diagnostic de l'affection causale, la mise en route d'un traitement efficace, le diagnostic et le traitement de l'aggravation post opératoire du patient. On peut attribuer à ces trois causes le poids suivant : infection et état antérieur (20 %), retard au diagnostic et au traitement de l'affection causale (30 %), retard et insuffisance du diagnostic ainsi que du traitement de la complication post opératoire (50 %).
En cas de cholécystite aiguë, les chocs septiques conduisant au décès sont rares (6 %) mais chez un homme de l'âge du patient avec des antécédents diabétique et cardio-vasculaire, le taux de mortalité pourrait être plus élevé, et atteindre 20 %. En conséquence, la perte de chance d'éviter le dommage qui est survenu est de 80 %.

Les comportements non conformes aux règles de l'art et aux données acquises de la science à l'époque des faits, à l'origine de cette perte de chance, peuvent être répartis comme suit :
- anesthésiste d'astreinte (50%) (ne se déplace pas à deux reprises)
- clinique (20%) (plusieurs dysfonctionnements)
- chirurgien opérateur (20 %) (retard à la première intervention et défauts d'organisation postopératoire)
- urgentistes (5% x 2) (absence de bilan biologique et d'imagerie adaptée, absence d'hospitalisation pour surveillance (...)"

En revanche, les experts ne retenaient pas de responsabilité s'agissant du cardiologue de garde, "bien qu'il ne s'était pas enquis des résultats des examens qu'il avait demandés, ni même vérifié si ces examens avaient été prélevés, il ne s'agissait manifestement pas de la personne qu'il fallait appeler et il était simplement venu rendre service dans l'attente que les personnes adaptées (anesthésiste, chirurgien, urgentiste) prennent la situation en charge".

Avis de la CCI ( mai 2017)

Se fondant sur l'analyse des experts, la CCI retenait la responsabilité de l'anesthésiste d'astreinte, du chirurgien opérateur, de la clinique et des deux urgentistes en confirmant les pourcentages de responsabilité qu'ils avaient proposés. 

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