Une patiente venue pour une lipectomie supposée sans risque, va mourir d'une surveillance post opératoire largement déficiente. Le ‘failure to rescue’ et le travail en équipe au centre des difficultés.
J1
J2
NUIT de J2 à J3
La famille saisit la CCI, mettant dans la cause le chirurgien, l’anesthésiste et l’établissement.
Dans un second temps, le médecin de garde et le cardiologue seront également concernés par cette expertise.
EXPERTISE CCI (2014)
Les experts (chirurgien viscéral et anesthésiste) ont eu des difficultés à retracer le plus exactement possible la succession des événements et ont diligenté deux réunions d’expertises, souhaitant entendre également le médecin de garde et le cardiologue.
Ils ont eu des difficultés initialement à retracer les événements de la nuit du vendredi au samedi car les données hémodynamiques étaient inscrites sur le dossier transfusionnel dont ils n’avaient pas connaissance initialement. Puis, il manque de données chiffrées pour la nuit du samedi au dimanche, de l’observation du médecin de garde (non anesthésiste) et de la traçabilité de l’échange téléphonique qui aurait eu lieu entre le chirurgien et l’IDE à 2 h du matin (celle de 0 h 30 étant mentionnée).
Le chirurgien déclare que l’intervention « n’était pas majeure » et sans difficulté technique. Le lendemain, il a stoppé le vide pour diminuer le saignement. Il n’a pas soulevé le panty ; le soir, « elle paraissait bien ».
Le lendemain, la patiente était tachycarde, elle avait fait un second malaise. Il a évacué un hématome après avoir enlevé quelques agrafes et décidé de la reprise. Il a ouvert la partie gauche de la cicatrice mais a pu voir tout le décollement et faire l’hémostase d’un vaisseau par un point en X. Lors de la deuxième réunion, il déclare qu’il a ouvert la cicatrice de gauche à droite. Dans la nuit, il déclare que l’infirmière qu’il connait bien l’aurait appelé vers 0 h 30 (ce qui est noté dans le dossier) car elle était inquiète que le redon soit productif. Il lui aurait demandé de casser le vide, de faire un hémocue et de le rappeler vers 2 heures. Elle lui aurait dit alors que la situation était stable.
L’anesthésiste déclare qu’il a transfusé la patiente avant la première reprise, qu’il a revu la patiente entre 21 h et 22 h ; le pouls était à 80, la TA à 13/8, l’hémocue à 8,2. Il a prescrit du Ringer lactate en garde veine et a demandé que l’on passe un cinquième culot globulaire. Il a demandé que le Lovenox® ne soit pas injecté. Lorsqu’il est arrivé le lendemain matin, la patiente était intubée, en rythme sinusal, scopée, avec un cathéter de gros calibre qui permettait le remplissage. Il évoque des troubles de l’hémostase, ce qui sera confirmé par les prélèvements.
Le médecin de garde fait un compte rendu de ses interventions : culot globulaire, prescription de remplissage à 4 h 30.La patiente était scopée. Il n’a pas été rappelé.
« Le choc hémorragique fait suite à un saignement itératif, provenant de vaisseaux perforants. Ce saignement a été provoqué par la nécessité d’une dissection poussée avec de larges décollements pour réaliser d’une part une dermo-lipectomie, d’autre part pour placer une prothèse pariétale de réparation d’une hernie ombilicale. Une première hémostase n’a pas suffi à prévenir le saignement nécessitant une seconde intervention, dans un contexte de choc hémorragique gravissime. Si l’hémorragie est une complication répertoriée de toute chirurgie, a fortiori s’il est nécessaire de faire de grands décollements et ne peut pas, à ce titre être considérée comme une maladresse, la prise en charge de cet accident n’a pas été en tout point conforme aux règles.
Il n’apparaît pas clair de savoir s’il s’agissait bien d’une hémorragie du même vaisseau ou de deux vaisseaux différents. Les déclarations du chirurgien ont varié entre les deux réunions ».
Les experts constatent que « la TA systolique était à 70 mm Hg à 4h30 du matin alors que les valeurs étaient sub normales à 6 h avec un remplissage par un cristalloïde modéré et non rapide passé à priori entre 4h30 et 7h du matin.
Entre 4h30 et 7h, il n’y a aucun relevé des paramètres de surveillance.
Compte tenu de la situation d’hypotension, avec une pression artérielle moyenne inférieure à 70 mm Hg à partir de 1 h 20, expression d’une hypovolémie, une surveillance plus rapprochée s’imposait. Ce n’est pas une seule valeur qui permet d’affirmer que la situation était stabilisée.
Il n’y a pas eu de surveillance biologique, pas d’hémocue et de ce fait pas de remplissage en urgence y compris par des culots globulaires.
En l’absence de place en USC, la surveillance scopique s’imposait, les tracés ne sont pas disponibles ce qui gêne considérablement l’analyse de cette période charnière. Il était peut-être encore possible d’éviter le choc à 4 h 30 du matin.
Il devenait particulièrement difficile de lutter après 7h du matin conte les conséquences de ce choc après arrêt circulatoire.
Les experts précisent que les évènements de cette nuit sont la suite d’une période de 24 h, nuit du J1 à J2 et matinée de J2, durant laquelle une anémie aigue a été constatée et a nécessité une ré intervention d’hémostase et des transfusions. Des lors que la situation était agitée et nécessitait de multiples interventions médicales, la patiente devait être suivie, avec des règles de surveillance précises, dans une unité appropriée; une surveillance électronique dans une chambre conventionnelle ne peut être considérée comme une situation similaire à une USC ou à une USI (personnel expérimenté, médecin dédié). En l’absence de place, un transfert devait être envisagé.
La complication n’a pas été prise en compte suffisamment rapidement et son importance sous-estimée. Tous les moyens n’ont pas été mis en œuvre pour une surveillance optimale dans la nuit de J2 à J3 ».
Du fait de cette prise en charge non en tout point conforme, la perte de chance d’éviter le décès est comprise entre 60% et 80%.
Ils suggèrent la répartition suivante des responsabilités.
25% pour le chirurgien : reprise seulement partielle de la cicatrice ne permettant pas une exposition optimale, pas de décision de transfert avec l’ARE d’autant qu’il a été appelé vers 00 h 30 par l’IDE alors que les redons donnaient du sang.
25% pour l’anesthésiste, pour ne pas avoir décidé un transfert en unité de soins appropriée, ne pas avoir directement informé le médecin de garde de la situation complexe, d’avoir décidé d’une surveillance électronique en chambre mais sans préciser la régularité de cette surveillance et sur les seuils d’alerte (la surveillance électronique permet des alarmes sur les différents paramètres).
50% pour le médecin de garde : non prescription de contrôles sanguins, non suivi du remplissage et non prescription d’une surveillance rapprochée, aucune traçabilité d’examen clinique, pas de notion des pertes par le redon ni de précisions sur le pansement, pas d’appel à l’anesthésiste ou au chirurgien.
Le risque hémorragique concernant cette double intervention était de l’ordre de 10 %, le risque de décès d’une telle hémorragie extrêmement faible, les grandes séries de la littérature n’en mentionnant le plus souvent aucun (risque inférieur à 0,1%). La patiente n’était pas particulièrement exposée au risque de décès par hémorragie (IMC=24, pas de trouble de l’hémostase connu, bilan pré opératoire normal).
AVIS de la CCI (2015)
La CCI retient que le décès est imputable à la survenue d’un choc hémorragique secondaire à la lipectomie.
Conformément au rapport d’expertise, les membres de la Commission retiennent la responsabilité des trois praticiens.
Ils reprochent au chirurgien de ne pas avoir prescrit de surveillance renforcée dans les suites de la reprise, chez cette patiente à haut risque porteuse d’un by pass et victime d’une hémorragie post opératoire. Ils estiment qu’il résulte des feuilles de transmission que le chirurgien ne s’est pas déplacé suite à l’appel de l’IDE (à minuit et 2 heures) et qu’il n’a pas requis le transfert en unité de soins continus.
Ils reprochent à l’anesthésiste de ne pas avoir prescrit de surveillance renforcée alors que l’hémorragie était importante, de ne pas avoir tenu le médecin de garde informé de la situation et de ne pas avoir organisé le transfert en soins continus.
Ils lui reprochent également de ne pas s’être déplacé immédiatement lors de l’appel à 7 h le matin (ce qu’il a vigoureusement pourtant contesté, dossier à l’appui).
Ils reprochent au médecin de garde, appelé dans la nuit, de ne pas avoir prescrit un contrôle sanguin ni de suivi particulier des constantes, ni de surveillance rapprochée. De même, il n’a pas organisé le transfert ni prévenu le chirurgien ou l’anesthésiste de la situation.
Contrairement au rapport d’expertise et suite à leur analyse et aux dires échangés lors de la réunion, ils répartissent différemment la responsabilité, majorant celle du chirurgien et minorant celle du médecin de garde. Ils considèrent que la responsabilité du chirurgien est engagée pour 50%, celle de l'anesthésiste et celle du médecin de garde pour 25% chacun.
Ils concluent « qu’il convient néanmoins de tenir compte de l’état antérieur de la patiente et d’évaluer ses chances de survie à 80% ».
Il leur appartiendra de faire une offre d'indemnisation aux ayant droits du patient décédé.