Retard diagnostique d'une désunion anastomotique après iléo-colectomie pour maladie de Crohn

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Retard diagnostique d'une désunion anastomotique après iléo-colectomie pour maladie de Crohn - Cas clinique

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Femme née en 1977, hôtesse de l’air, chez laquelle le diagnostic de maladie de Crohn était posé en 1998 lors d’une hospitalisation dans le service spécialisé d’un CHU. Traitement par Pentasa et Spasfon. Jusqu’au début 2008, la maladie restait pratiquement asymptomatique, sans retentissement sur la vie professionnelle...

  • Chirurgien
Auteur : La Prévention Médicale / MAJ : 17/06/2020

Cas clinique

  • Jusqu’au début 2008, la maladie restait pratiquement asymptomatique, sans retentissement sur la vie professionnelle. A cette date, la patiente consultait son gastro-entérologue pour des poussées douloureuses abdominales. Ce dernier évoquait plutôt des troubles digestifs banals mais prescrivait néanmoins une échographie.  
  • Cet examen réalisé en avril ne mettait pas en évidence d’anomalies intra-abdominales ou rénales.  
  • En raison de la persistance de violentes douleurs du flanc droit qui allaient en s’amplifiant, consultation, en urgence le 12 avril, de l’associé de son gastro-entérologue (absent ce samedi).  
  •  La scanographie abdominale révélait un important remaniement de la dernière anse grêle, sans image d’abcès, ni épanchement péritonéal.  
  • La patiente était, alors, hospitalisée en clinique pour mettre en place une perfusion d‘antalgiques qui calmait les douleurs en 24 heures. La dernière anse grêle ne pouvait être visualisée ni lors d’une coloscopie (par ailleurs, normale), ni lors d’un transit du grêle.  
  • La sortie était autorisée le 17/04/08 :« (…) Le tableau clinique s’est amélioré sous traitement symptomatique. Je la laisse sortir avec de l’Entocort 9mg/j… Je la reverrai dans une dizaine de jours… Il y a plusieurs hypothèses pour expliquer sa symptomatologie douloureuse : soit une récidive de sa maladie de Crohn, soit la survenue progressive d’une fistule de la dernière anse grêle, soit une sténose cicatricielle (…) »  
  • Une scanographie abdomino-pelvienne (29/04/08) et un transit du grêle (13/05/08) confirmaient « une atteinte des 4 à 5 derniers cms de l’intestin grêle, témoignant d’une iléite ulcéreuse très localisée… »  
  • Dans un courrier adressé au médecin traitant, le gastro-entérologue écrivait : « (…) Sous Entocort, l’état clinique s’est amélioré… Il peut s’agir d’une forme purement inflammatoire … qui doit régresser ou d’un aspect cicatriciel… et, dans ce cas, se pose la question d’une éventuelle résection (…) »  
  • Le 03/07/08, la patiente était adressée par le gastro-entérologue au chirurgien digestif de la clinique : « (…) Elle a fait un premier épisode occlusif il y a 3 mois. Etant donné l’absence d’amélioration sous corticoïdes à 30 mg/j et l’absence de syndrome inflammatoire, il doit s’agir d’une sténose (…) »  
  • L’intervention proposée par le chirurgien était acceptée par la patiente qui signait, le 10/07/08, un document de consentement éclairé.  
  • Le 31/07/08, l’intervention débutée sous coelioscopie se déroulait sans incident mais avec une conversion par laparotomie médiane en raison de l’aspect local. Elle consistait en une résection colique droite avec une courte résection du grêle et un rétablissement immédiat de la continuité avec réalisation de deux anastomoses : l’une sur l’intestin grêle et l’autre entre le grêle et le côlon. L’examen anatomo-pathologique retrouvait des lésions spécifiques de la maladie de Crohn sur les pièces réséquées.  
  • En post-opératoire, une perfusion d’hémisuccinate d’hydrocortisone était mise en place, en compensation du traitement corticoïde préopératoire.  
  • A J1, tachycardie isolée à 130/min. Notion d’un bilan thyroïdien en faveur d’une « légère » hyperthyroïdie. Mise sous Avlocardyl avec retour à un rythme cardiaque inférieur à 100/min.  
  • La PCA de morphine était stoppée à J3. Il n’y avait pas de gaz francs mais des traces de selles.  
  • A J5, la patiente quittait le secteur de soins attentifs pour regagner l’unité de chirurgie de la clinique.  
  • A J6, avant de partir en vacances, le chirurgien autorisait la patiente à boire et envisageait sa sortie pour le lendemain. Le même jour, à 18h, le remplaçant du chirurgien,-- interne en cours de qualification (10éme semestre) --, était appelé auprès de la patiente car elle se plaignait depuis le début de l’après-midi de vives douleurs du bas-ventre qui avaient été, en partie améliorées par l’administration de Profenid. Il prescrivait un bilan biologique pour le lendemain.  
  • A J7, la patiente qui avait recommencé à souffrir dans la nuit, était remise sous Perfalgan, puis Acupan (07h00). Elle n’avait pas de transit et n’était pas réalimentée. Elle recevait la visite de son gastro-entérologue qui prescrivait du Lexomil et disait, selon les transmissions infirmières, « aller voir avec le chirurgien remplaçant pour probable ASP (abdomen sans préparation) demain »  
  • A J8, cet examen montrait la persistance d’un volumineux pneumopéritoine (à plus d’une semaine d’une laparotomie) et la présence d’air dans le côlon gauche. A18h50, visite du chirurgien remplaçant : « (…) gaz à évacuer… douloureuse cet après-midi … perfusion d’antalgique posée (…) »  
  • A J9 (début du week-end), persistance des douleurs avec abdomen tendu. Absence de fièvre mais hyperleucocytose à 10700 /mm3 et CPR à 274 mg/l (normale ≤ 5). Ces résultats étaient communiqués au chirurgien remplaçant à 17h00. En fin d’après-midi, PA à 90/40 mmHg, fréquence cardiaque à 84/min (malade sous Avlocardyl). Pose par l’infirmière d’un flacon de 500 ml de Ringer lactate. La PA restait à 90/60 mmHg toute la nuit. Un autre flacon de Ringer lactate était posé par l’infirmier de nuit qui notait dans le dossier : « ne se sent pas bien, n’arrive pas à dormir… doit revoir le chirurgien dès que possible ».  
  • Le matin (J10), la PA était toujours à 80/50 mmHg. Un nouveau flacon de Ringer lactate était posé, après accord téléphonique de l’anesthésiste qui effectuait également un remplacement pendant le mois d’août dans la clinique. A 10h00, le chirurgien remplaçant prévenu par téléphone examinait la patiente : « (…) Conscience un peu ralentie,…Apyrétique, non tachycarde, PA. Transit : 2 gaz, pas de selles ( …) ». Après concertation avec le gastro-entérologue (également présent), décision de réaliser une scanographie abdominale. Cet examen révélait un volumineux épanchement intrapéritonéal avec pneumopéritoine. La ponction réalisée sous échographie ramenait un liquide louche et nauséabond. La décision de réintervention était immédiatement prise. Le bilan pratiqué en fin de matinée montrait un taux d’hémoglobine à 6,3 g/100 ml avec 3200 leucocytes et 67 000 plaquettes.  
  • La réintervention débutait à J10 à 13h45. A l’exploration, il existait une péritonite par lâchage de la suture iléo-colique : « (…) Evacuation à l’aide d’une aspiration de 2 litres de liquide digestif… on retrouve des tissus très inflammatoires au niveau du grêle et du côlon avec un saignement diffus… on expose l’anastomose : celle-ci est désunie sur 1/3 de sa circonférence (…) ». L’intervention consistait en un démontage de l’anastomose et la confection d’une double stomie temporaire dans le flanc droit. La PA était à 80 mmHg à l’induction (apparemment, absence de prescription d’une réanimation préopératoire par l’anesthésiste prévenu par le chirurgien vers 10h30).  
  • Une heure après le début de l’intervention, chute de la PA à 50 mmHg traitée par une injection d’Ephédrine entraînant une remontée transitoire de la PA. En fin d’intervention, la PA chute à 90 mmHg, entraînant la mise en position déclive de la patiente. Lorsque la PA atteignait 50 mmHg, l’anesthésiste décidait de poser une voie veineuse centrale pour transfuser les culots globulaires commandés en préopératoire, après la mise en évidence d’une anémie à 6,3 g d’hémoglobine /100 ml. Trois tentatives de pose d’une voie sous-clavière étaient infructueuses. Les deux autres anesthésistes de la clinique étaient appelés à l’aide mais ils n’étaient pas joignables. A ce moment, le chirurgien constatait une « absence de pouls ». Il débutait un massage cardiaque externe en relais avec l’anesthésiste. L’équipe du SMUR envoyée après appel du SAMU constatait à son arrivée que la patiente était en arrêt cardio-circulatoire : « (…) Après 40 minutes de réanimation standard de l’arrêt cardio-circulatoire, l’administration de 15 mg d’Adrénaline, la transfusion de 3 culots globulaires et un remplissage massif, récupération d’une hémodynamique à peu près stable (…) ».  
  • La patiente restait hospitalisée dans le service de réanimation du centre hospitalier, du 10/08 au 10/10/08. L’évolution se faisait vers le retour à la normale de la PA après de fortes doses de catécholamines.  
  • L’hémofiltration continue pouvait être arrêtée au bout de 11 jours et la ventilation assistée au bout de 38 jours. En une dizaine de jours, la patiente récupérait une conscience normale.  
  • Elle subissait une première intervention consistant en l’amputation des premières phalanges des quatre premiers orteils gauches pour nécrose et la seconde, le 29/08/08, à la suite d’une hémorragie intrapéritonéale, entraînant une colectomie subtotale et la résection de 140 cm d’iléon pour nécrose ischémique ainsi qu’un cholécystectomie pour nécrose de la vésicule.  
  • Au cours de cette dernière intervention, deux champs étaient laissés en place temporairement pour tamponner et assurer l’hémostase. Ils étaient retirés lors d’une nouvelle réintervention qui avait lieu le 01/09/08 avec, à nouveau, une exérèse du grêle suivie de la réalisation d’une iléostomie dans la FIG. Elle séjournait du 10/10/08 au 01/12/08 dans le service hospitalo-universitaire où le diagnostic de maladie de Crohn , avait été posé, pour régularisation des apports nutritionnels puis regagnait son domicile. Du 09 au 16/01/09, la patiente était réhospitalisée pour la persistance d’écoulements purulents par la médiane alimentés par une fistulisation du moignon rectal ainsi que pour une reprise chirurgicale des moignons d’amputation d’orteils. Lors d’une hospitalisation au CHU du 22/02 au 31/03/09, avait lieu le rétablissement de la continuité entre le jéjunum et le rectum sous couvert d’une jéjunostomie latérale , qui était fermée lors d’une dernière hospitalisation du 11/05 au 17/06/09. La longueur de l’intestin grêle restant était mesurée à 120 cm depuis l’angle de Treitz jusqu’à l’iléostomie terminale.

En mars 201 , la patiente se plaignait de troubles importants du transit (12 selles diarrhéiques par jour avec insécurité permanente). Il existait un syndrome de malabsorption chronique et définitif. Par ailleurs, la marche était lente et difficile avec une certaine fatigabilité, le pied gauche n’ayant plus d’appui par les orteils. L’ensemble de l’avant-pied gauche était douloureux à la palpation et à l’appui.

Saisine de la CRCI par la patiente en réparation du préjudice qu’elle avait subi (janvier 2009).

Analyse

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Jugement

Expertise (octobre 2009)

 

L’expert, chef de service de chirurgie digestive, attribuait le dommage subi par la patiente à une triple cause : un lâchage anastomotique ayant entraîné une péritonite post-opératoire ; un retard diagnostique ayant favorisé l’installation d’un état de choc infectieux sévère ; une réintervention  non précédée de stabilisation tensionnelle. Il rappelait que le lâchage anastomotique sur chirurgie de la maladie de Crohn était une complication « relativement banale en soi ». Ce risque variait de 8 à 16% selon les publications avec une mortalité de 0,5%. Il était plus important  sous corticothérapie. Cette complication survenait habituellement vers le 5-6éme jour postopératoire.

Il considérait qu’« il n’y avait aucun problème sur l’indication opératoire » et que l’intervention s’était déroulée sans incident. Mais «  (…) Le calendrier retenu était imprudent ou, à tout le moins, les transmissions avaient été mal faites.  Le chirurgien aurait dû, soit programmer l’intervention à une période où il serait présent en postopératoire en cas de complication, soit avertir son jeune collègue des risques particuliers encourus par cette patiente. Des consignes plus précises auraient dû être données pour surveiller attentivement le risque de fistule et prescrire un scanner au moindre signe anormal (c'est-à-dire le 06 au soir ou au plus tard le 07) (…)».

 

Au chirurgien remplaçant, l’expert reprochait un retard dans la décision de réintervenir chez une patiente opérée d’une pathologie à haut risque de fistulisation. Il lui reconnaissait : « (…) d’avoir montré tout au long de la surveillance postopératoire qu’il était  diligent et attentionné… Mais  l’idée d’une fistulisation à partir du 5ème jour aurait dû être au premier plan de ses préoccupations compte-tenu de cette chirurgie sur maladie de Crohn sous corticoïdes. Le scanner aurait dû être pratiqué au moindre doute et l’anesthésiste, prévenu. Il y a eu un manque de réactivité (…) ».

 

Pour l’expert, l’anesthésiste avait été confronté à une reprise chirurgicale dans des conditions particulièrement difficiles en extrême urgence. Il n’était pas responsable du retard diagnostique de la complication. A ce sujet, « (…) il fallait sans doute déplorer le manque de véritable transmission médicale concernant les malades à prendre en charge entre le chirurgien et l’anesthésiste (…) ». Toutefois, « (…) L’anesthésiste était présent dans la clinique dès le 09/08. Une visite dans les secteurs opératoires de la clinique aurait dû lui permettre de prendre connaissance de cette patiente dont l’état clinique se dégradait depuis l’intervention et ce, même sans y avoir été formellement invité par le chirurgien ou le personnel. Surtout, il aurait dû prendre le temps de mettre en condition sa patiente avant l’induction anesthésique  et l’on pouvait lui reprocher une insuffisance de remplissage vasculaire et de transfusion préopératoire (...) ».

 

Concernant le personnel de la clinique, et notamment l’infirmier de nuit auquel la patiente reprochait  d’avoir  posé un flacon de  Ringer lactate sans prévenir un médecin, l’expert estimait  qu’« (…) il avait suivi  les pratiques de la clinique reconduisant la prescription médicale chez cette patiente dont la PA était déjà basse à sa prise de poste (...) ».

 

Au total, l’expert estimait que le dommage subi par la patiente était anormal au regard de la pathologie présentée et du traitement subi. Le caractère anormal du dommage provenait de la gravité du choc infectieux qui était en rapport, d’une part avec le retard de la mise en route du traitement (pour 70% du dommage) et d’autre part avec la mauvaise préparation à la réintervention (pour 30%).

Taux d’IPP  évalué à 45%.

 

Avis de la CRCI (décembre 2009)

 

Se fondant sur le rapport d’expertise, la CRCI retenait que le retard imputable au chirurgien remplaçant avait entraîné une aggravation très importante des conséquences de la complication postopératoire  et  était, de fait, à l’origine du dommage subi par la patiente. De même, l’anesthésiste qui avait débuté son anesthésie dans des conditions tensionnelles  très précaires, sans véritable réanimation préalable alors que plus de trois heures s’étaient écoulées depuis qu’il avait été prévenu, avait également contribué à ce dommage. En revanche, on ne pouvait reprocher  au chirurgien  de s’être absenté au 6ème jour postopératoire dans la mesure où il avait confié sa patiente  à son « confrère » lequel était parfaitement habilité à effectuer un tel remplacement.

Pour la CRCI, la responsabilité du chirurgien remplaçant était engagée à hauteur de 70% et celle de l’anesthésiste à hauteur de 30%. Elle excluait toute responsabilité de la part du chirurgien qui avait opéré la patiente, du gastro-entérologue et du personnel de la clinique.