Une jeune femme consulte, en février 1996, un médecin généraliste car elle envisage une prochaine grossesse.
Constatant dans le bilan sérologique prescrit qu’elle n’était immunisée, ni contre la toxoplasmose, ni contre la rubéole, le généraliste lui conseille une vaccination contre cette dernière maladie.
Assignation du médecin généraliste et des deux sages-femmes par la mère de l’enfant en réparation des préjudices subis par sa fille et de ses propres préjudices (décembre 2010).
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Expertise (juillet 2009)
Les experts, l’un professeur des universités, chef de service de gynéco-obstétrique et l’autre, pédiatre hospitalier, soulignaient que : « (…) La mère savait, avant la conception, qu’elle n’était pas immunisée. Pour des raisons personnelles, elle n’avait pas souhaité de vaccination avant le début de sa grossesse alors que le médecin généraliste le lui avait proposé. Lorsqu’elle l’avait consulté pour une éruption cutanée apparue en cours de grossesse, il avait pensé au diagnostic de rubéole et demandé immédiatement une sérologie. Celle-ci était revenue négative, ce qui avait faussement rassuré la mère qui ignorait que les anticorps mettaient jusqu’à trois semaines pour apparaître et confirmer le diagnostic de rubéole récente (…) »
Les experts s’interrogeaient sur l’absence de demande d’un contrôle de la sérologie rubéolique lorsque le généraliste avait demandé un nouveau bilan biologique le 16 juillet. De même, ils s’étonnaient que les deux sages-femmes ayant pris en charge la mère à partir du 16 août, n’aient pas cherché à connaître le résultat des sérologies antérieures de la rubéole ou n’aient pas prescrit une sérologie rubéolique lors de cette consultation puisqu’une primo-infection peut donner des séquelles neuro-sensorielles (surdité) jusqu’à 18 SA. Ils posaient, également, la question de savoir si l’éruption cutanée survenue en début de grossesse avait été évoquée au cours de cette consultation.
Les experts rappelaient qu’ « (…) Au moment du diagnostic clinique probable de rubéole (10 SA), il était simplement possible d’expliquer à la mère qu’il existait un risque d’atteinte foetale puisqu’on était au premier trimestre (90 % d’atteinte à ce stade de la grossesse). La transmission au foetus pouvait être déterminée par ponction du sang foetal (recherche d’IgM) ou du liquide amniotique (recherche de l’ARN viral) à partir de 20 SA. Cette détermination aurait pu être faite en adressant la mère à une équipe spécialisée en médecine foetale à partir du moment où le dépistage de la séroconversion aurait été fait. Une information précise sur les risques et séquelles foetales aurait pu, alors, lui être donnée et la mère aurait eu le choix de poursuivre ou non sa grossesse.
Mais si le généraliste et les deux sages-femmes avaient été négligents pour le diagnostic de séro-conversion, cette faute n’était pas à l’origine des complications observées chez l’enfant. Celle-ci souffrait des séquelles d’une rubéole survenue in utero. Il n’y avait aucun traitement préventif de ces séquelles. Elles n’étaient pas, non plus la conséquence d’un quelconque défaut de traitement car il n’existait pas de traitement de la rubéole in utero (…) »
Les experts concluaient que : « (…) L’état de l’enfant était, en partie, imputable aux séquelles d’une rubéole contractée en cours de grossesse et, en partie, à la maladie de Still possiblement conséquence de la rubéole congénitale .La consolidation n’était pas encore atteinte mais la marge de progression possible du fait de la croissance paraissait, déjà, très ténue. Le taux d’IPP, supérieur à 60 % (surdité totale), s’établissait autour de 80 %. Mais une réévaluation était indispensable en fin d’adolescence (…) »
Tribunal de Grande Instance (septembre 2013)
Sur le droit à indemnisation de l’enfant, les magistrats rappelaient que : « (…) L’alinéa 2 de l’article L114-5 du Code de l’Action Sociale et des Familles subordonnait la réparation du préjudice de la personne née avec un handicap, à un acte fautif ayant ʺprovoqué directement le handicap ʺ ou l’ayant ʺ aggravé ʺ ou n’ayant ʺ pas permis de prendre les mesures susceptibles de l’atténuer ʺ. Or, d’après les experts, la faute imputée au médecin généraliste et aux deux sages-femmes n’a ni provoqué le handicap, ni empêché de prendre les mesures susceptibles de l’atténuer étant acquis qu’il n’existe à cette fin et, en l’état actuel de la science, aucun moyen de l’atténuer (…).
En conséquence, le tribunal décidait de rejeter les demandes d’indemnisation du préjudice direct de l’enfant. Sur le droit d’indemnisation de la mère, les magistrats estimaient que : « (…) Le seul préjudice dont elle pouvait demander réparation était la perte de chance d’avoir pu, en toute connaissance de cause, prendre la décision d’une interruption de grossesse pour motif médical. S’agissant d’une liberté relevant du pouvoir discrétionnaire exerçable en conscience par la mère, nul n’est recevable à lui opposer l’impossibilité de déterminer si, parfaitement informée des risques encourus par le foetus du fait d’une infection rubéolique qui ne peut être traitée à titre préventif, elle eût pris la décision de faire interrompre sa grossesse. Il suffit de constater qu’elle a été privée des moyens d’exercer cette option pour en caractériser le préjudice corrélatif. En revanche, quant à l’appréciation de la perte de chance qu’il en est résulté, l’on doit, aussi, retenir : -qu’elle était parfaitement informée qu’elle n’était pas immunisée contre la rubéole, et -que, pour des raisons personnelles, elle n’avait pas souhaité de vaccination, avant le début de la grossesse alors que le médecin généraliste la lui avait proposée.…
Toutefois, il n’y a pas lieu d’accabler cette mère qui doit d’abord être considérée comme une victime et non comme une co-responsable… D’évidence, l’ampleur de son préjudice moral n’est pas incompatible avec une indemnisation de base de 50 000 €. Ses choix sanitaires, dictés sans doute par une certaine idée de la science et une philosophie toute personnelle de la vie, ne saurait lui valoir qu’une diminution de 40 %(…) »
Condamnation du médecin généraliste et des deux sages-femmes à payer – in solidum- - à la mère de l’enfant la somme de 30 000 €, plus 2 500 € de remboursement de frais de justice.