Défaut de communication au bloc et erreur médicamenteuse

Tout sur la gestion des risques en santé
                et la sécurité du patient

Défaut de communication au bloc et erreur médicamenteuse

  • Réduire le texte de la page
  • Agrandir le texte de la page
  • Facebook
  • Twitter
  • Messages0
  • Imprimer la page
  • Défaut de communication au bloc et erreur médicamenteuse

Un défaut de communication entre professionnels de santé et une erreur humaine conjugués montrent toute la complexité des organisations de travail.
L’analyse systémique de cet événement indésirable met en évidence l’importance du respect des procédures mises en place pour une plus grande sécurité des prises en charge des patients.

Auteur : Bruno FRATTINI – Cadre Supérieur de Santé IADE – Expert en prévention des risques - MACSF / MAJ : 06/01/2022

Présentation du contexte

Mme R., 49 ans, va bénéficier d’une coloscopie de dépistage dans le cadre d’un suivi pour antécédents familiaux de cancer digestif.

Cette patiente consulte un gastro-entérologue pour organiser sa coloscopie de prévention, 5 ans après la précédente qui n’avait relevé aucune anomalie. Elle bénéficie également d’une consultation d’anesthésie au cours de laquelle elle signale une allergie à la pénicilline (dans un contexte de traitement dans l’enfance ayant entrainé un gonflement des mains attribué à une allergie = elle n’a jamais plus jamais reçu de pénicilline depuis). Elle rapporte également quelques antécédents chirurgicaux : appendicectomie dans l’enfance, adénofibrome du sein à l’âge de 25 ans.

Elle bénéficie de sa coloscopie le jour J. Le compte-rendu de l’examen précise que le côlon est moyennement préparé avec un score de Boston de 6/9. La coloscopie est menée jusqu’au caecum. Lors du retrait de l’endoscope, le praticien suspecte une perforation sur un gros diverticule de la charnière recto sigmoïdienne. Le gastroentérologue demande à l’infirmière anesthésiste en charge de la surveillance anesthésique continue de la patiente de lui administrer 2g d’Augmentin® à son réveil.

Quelques minutes après cette administration, la patiente présente les signes d’un choc anaphylactique de grade II (chute tensionnelle et gêne respiratoire). Le médecin anesthésiste est immédiatement prévenu, confirme le diagnostic et met en œuvre le traitement ad’hoc : remplissage vasculaire, adrénaline par titration. La crise allergique est contrôlée et la patiente est transférée en Salle de Surveillance Post-Interventionnelle (SSPI) pour s’assurer de la stabilité des constantes vitales.

Un scanner (TDM) abdominal en urgence est donc demandé pour contrôle, mais il est différé, en attente d’une stabilité tensionnelle retrouvée et pérenne. Deux heures après l’apparition de la crise, cet examen d’imagerie retrouve un volumineux pneumopéritoine diffus avec quelques éléments bulleux périsigmoïdiens…

La patiente est alors prise en charge par un chirurgien digestif qui réalise une coelioscopie exploratoire qui retrouve une perforation large en tissu sain de 3 cm sur le sigmoïde, perforation qu’il va suturer en 2 plans (points séparés sur le plan profond et en surjet sur le plan superficiel) avec un contrôle de l’étanchéité qui semble satisfaisant. 

La patiente est prise en charge dans le service de surveillance continue de la structure de soins pendant 48 heures, avant d’être transférée en service de chirurgie digestive.

Les suites sont aléatoires, avec une reprise de transit à J7, une sortie de l’établissement à J10 après une reprise de l’alimentation mais persistance d’un syndrome inflammatoire avec une Protéine C Réactive (CRP) à 153 mg/l et des Globules Blancs (GB) à 18 700 / mm3.

Elle est hospitalisée de nouveau 7 jours plus tard par le biais des urgences pour un syndrome fébrile avec douleurs abdominales. L’examen clinique et paraclinique montre une aggravation du syndrome inflammatoire avec des GB à 20 800/mm3 et une CRP à 294 mg/l.

Une bithérapie antibiotique sera débutée associée à un TDM abdominal qui retrouve un épanchement minime du Douglas, mais sans autre anomalie. Il est décidé une surveillance en secteur d’hospitalisation = expectative…

Devant l’absence d’amélioration 48 heures plus tard, il est décidé de réaliser une nouvelle exploration chirurgicale par laparotomie par crainte de trop d’adhérences, qui ne retrouve aucun élément contributif pouvant expliquer le tableau clinique. Les prélèvements bactériologiques per opératoires seront également non contributifs.

Devant l’absence d’amélioration de la biologie qui montre une nouvelle augmentation de la CRP à 364 mg/l et des GB stable à 21 020, et une aggravation clinique avec des douleurs difficilement soulagées par un cocktail important d’antalgiques (morphine au pousse seringue et kétamine par voie parentérale, ainsi que OxyContin®, Profenid®, paracetamol* et Acupan® per os, il est décidé d’organiser un transfert vers la réanimation du CHU de secteur.

A son arrivée en réanimation, le TDM abdominal réalisé retrouve un épanchement péritonéal de faible abondance. Dans un premier temps, le traitement antibiotique sera maintenu sur les conseils des infectiologues pendant 5 jours, puis arrêté.

Il est alors noté une disparition de la température 48 heures après cet arrêt des antibiotiques. Les traitements antalgiques pourront être allégés jusqu’à leur arrêt complet. 

Devant l’évolution spontanément favorable de la péritonite inflammatoire, les praticiens du CHU ont conclu à une fièvre aux antibiotiques, pathologie très rare immunoallergique médiée par les lymphocytes.

Conséquences

Cette erreur médicamenteuse, classée comme Événement Indésirable Grave (EIG) aura eu comme conséquences :

  • Un choc anaphylactique de grade II.
  • Un retard de la prise en charge de la complication de la coloscopie (perforation digestive).
  • Un séjour en Unité de Surveillance Continue de 48 heures, puis un séjour en hospitalisation conventionnelle de 8 jours, tous les 2 non programmés dans un contexte de gestion des lits compliqués dans une période hivernale où les places d’hospitalisation sont rares.
  • Une demande d’indemnisation de la part de la patiente qui est convaincue que les complications post-opératoires sont directement liées à cette erreur médicamenteuse.

Le médecin anesthésiste et le chirurgien digestif signalent l’incident par le biais d’une déclaration d’événement indésirable.

Méthodologie et analyse

Devant les conséquences graves pour la patiente et la mise en cause des professionnels de santé de cette dernière, le Comité des Vigilances et Risques (COVIRIS) de la structure de soins sollicite une analyse approfondie du contexte ayant permis cette erreur.

L’objectif de ce retour d’expérience est de comprendre le mécanisme de cet événement, de le partager pour en éviter le renouvellement.

Une analyse de risque a postériori est donc réalisée.

Dans cette analyse, seuls les éléments contributifs à la recherche des causes conduisant à cette erreur seront recherchés. La méthode ALARM est retenue.

Les données analysées proviennent des éléments recueillis au préalable auprès des professionnels de santé qui sont intervenus dans la prise en charge de cette patiente : recueil réalisé lors d’entretiens individuels, analyse de documents, lecture du dossier.

Cause immédiate

C’est la surveillance de la patiente qui a permis de détecter le choc anaphylactique induit par cette erreur médicamenteuse.

Causes profondes

 

Partant de cette analyse, il est important de mettre en évidence les barrières de défenses qui ont été déficientes.  

Barrière qui a détecté l’incident

  • Atténuation
    La surveillance post anesthésique immédiate a permis de détecter précocement le choc anaphylactique et de débuter un traitement curatif rapidement.

Barrières qui n’ont pas fonctionné et qui ont permis l’incident

  • Prévention
    Consultation réalisée par le gastroentérologue qui n’a pas investigué le statut allergique de la patiente.
  • Prévention
    Un entretien d’accueil en secteur ambulatoire réalisé en mode dégradé qui n’a pas permis d’identifier et de tracer l’allergie à la pénicilline.
  • Prévention
    Un entretien d’accueil en secteur d’endoscopie digestive en mode dégradé qui n’a pas permis de valider les informations tracées dans le dossier d’anesthésie.
  • Prévention
    Pas de check-list "sécurité du patient en endoscopie digestive" réalisée dans l’esprit culture de sécurité voulu par la Haute Autorité de Santé.
  • Prévention
    Pas de vérification du statut allergique de la patiente par l’infirmière anesthésiste avant l’administration du médicament.
  • Prévention
    Pas d’action corrective mise en œuvre après l’identification de la vulnérabilité concernant l’absence d’interface entre systèmes d’information, vulnérabilité identifiée depuis très longtemps.

Les pistes de réflexion et/ou d'amélioration

  • Le dossier sur la problématique d’absence d’interface entre les différents logiciels est mis en priorité absolue. L’absence de réactions des différents éditeurs a été jugée inacceptable par les membres du COVIRIS. La Direction du Système d’Information (DSI) de l’établissement a pour mission impérative d’obtenir un résultat positif à 6 mois, avec un point d’étape à 3 mois.
    En parallèle à cette décision, il est également demandé à la DSI de travailler sur d’autres scénarii à forte probabilité de réussite, en envisageant même le changement d’éditeur pour des logiciels communiquant avec le DPI de la structure de soins.
    Enfin, il est demandé de revoir cette problématique d’interface à l’ensemble de l’architecture du système d’information afin d’identifier d’autres vulnérabilités potentielles, et ce dans un délai d’un mois.
  • Organiser un partage pour une communication institutionnelle sur l’intérêt et la nécessité de respecter les process de soins et notamment les barrières de prévention mises en place (entretien d’accueil en secteur ambulatoire – entretien d’accueil en secteur endoscopie digestive) : à travers cet exemple, montrer aux professionnels de santé quels événements indésirables peuvent être redoutés pour la sécurité des patients.
  • Décision prise de construire une structure DPI ambulatoire avec items obligatoires à renseigner lors de l’accueil du patient.
  • Réaliser une cartographie des risques pour ce secteur de soins afin d’identifier les vulnérabilités possibles et revoir collectivement les barrières de sécurité à rappeler, à construire si nécessaire.
  • Discussion en Commission Médicale d’Établissement à l’initiative du coordinateur médical des risques de la structure sur la nécessité de faire remplir un questionnaire à chaque patient avant chaque consultation (à l’instar de ce que font les anesthésistes) pour ne plus oublier d’éléments essentiels à la prise en charge sécure d’un malade. Point accueilli positivement par de nombreux praticiens qui en acceptent le principe.
    Dans la continuité de cette discussion, il souhaite que ce questionnaire soit renseigné électroniquement pour être intégré automatiquement dans le dossier de leur patient pour validation lors de la consultation. 

Conclusion

Seules des exceptions doivent permettre de travailler en mode dégradé. Et aucun professionnel de santé ne doit se permettre d’occulter les barrières de sécurité mis en place pour permettre des prises en charge sécure.

Finalement, cette erreur médicamenteuse a eu un impact modéré sur le pronostic vital de cette patiente, mais elle aurait pu être plus conséquente. Il convient de prendre en compte ce retour d’expérience pour comprendre que tout process est construit pour la sécurité de tous, car il convient d’insister que si le patient est la première victime d’une erreur, le soignant devient de fait la seconde victime…