Les chirurgiens veulent que leurs patients reçoivent des soins sûrs, opportuns et de haute qualité, souvent dans des circonstances difficiles. Mais leur recherche de l'excellence reste souvent priorisée sur la qualité du geste technique. Évidemment le parcours de l’opéré va bien au-delà et explique à lui seul plus d’évènements indésirables (EI) que la technique de l’acte lui-même. Cette réflexion a conduit la communauté académique à proposer une "formule optimisée de survie en chirurgie" qui doit permettre l’évaluation d’un parcours donné, et orienter les efforts d’optimisation qui restent à faire.
C’est dans les années 2000 qu’un groupe international d’anesthésistes-réanimateurs a introduit pour la première fois une formule destinée à déterminer la survie en réanimation cardiorespiratoire(1). Le modèle prenait en compte 3 composantes (science x éducation x implémentation locale = survie). Chaque composante devait être maximisée pour atteindre une survie optimale en cas d'arrêt cardiaque.
Le concept a depuis été affiné dans plusieurs domaines de la réanimation à l'échelle mondiale, notamment les programmes Helping Babies Survive et Helping Mothers Survive(2).Une quatrième composante a été ajoutée plus récemment, relative aux compétences non techniques et collectives en postopératoire.
Cette formule est donc maintenant appliquée à la chirurgie.
Le modèle précise que dans un scénario idéal, chacune des 4 composantes renvoie à une valeur arbitraire parfaite de 1, si bien que le score final idéal est de 1 (1 × 1 × 1 × 1 = 1) :
Cette première composante renvoie idéalement à une médecine exclusivement basée sur les preuves, sur des données solides obtenues grâce à des méthodes de recherche de haute qualité.
La réalité est plus nuancée, particulièrement dans le domaine chirurgical, à la fois parce que le domaine est fortement innovant, et parce qu’il est très vaste et systémique, englobant non seulement la technique (souvent la seule dimension testée dans les protocoles randomisées), mais aussi le plateau dans son intégrité multidisciplinaire et fonctionnelle, avec tout ce que cela peut exiger en termes de ressources humaines à un moment où elles manquent partout dans le monde.
On a pu démontrer, notamment en cancérologie, que la quantité d'activité de recherche est directement corrélée à la mortalité(3). Moins de 1 % des patients atteints de cancer étaient inscrits dans des essais cliniques en 2013(4) (c’est à peine mieux aujourd’hui) et la chirurgie a été décrite comme l'un des facteurs associés au mauvais recrutement des patients ou à des essais non terminés.
Plus globalement, la culture de recherche chez les chirurgiens - hors centres universitaires traditionnels - reste faible et la nature de la chirurgie en tant que discipline clinique n'a probablement pas suscité le même intérêt pour le travail universitaire que pour les spécialités non chirurgicales. Beaucoup de recommandations en chirurgie restent basées sur des preuves de faible niveau.
On peut donc imaginer qu'il reste des marges aisées à gagner en "science chirurgicale" avant d'atteindre le score utopique de 1.
La formation est le vecteur qui apporte des connaissances au chirurgien clinicien ou à son équipe. Là encore, les marges de progrès sont importantes tant les publications et méta-analyses sont nombreuses, pointant soit une grande variation dans l'adoption des résultats des essais dans la pratique clinique(5), soit (et) une fréquence de déviations ou de non maîtrise de recommandations techniques en lien avec des EIG.
La formation chirurgicale commence à intégrer les nouveaux outils numériques de la simulation et des possibilités offertes par les jumeaux numériques ainsi que par la robotique sous toute ses formes, mais elle souffre d’un accès insuffisant à ces outils.
De même, les nouvelles méthodes didactiques telles que la classe inversée, l'apprentissage en équipe, les médias sociaux et la gamification (serious games) restent encore trop souvent de l’ordre de l’essai local.
Un point plus positif à mettre au crédit de la formation sur la maîtrise des gestes techniques reste la montée en puissance des systèmes d’accompagnement et coaching individuels par les collèges professionnels et par un travail suivi et validé par des pairs (ie : le bel exemple de l’endoscopie dans l’accréditation Française).
La recherche apporte les solutions optimisées mais ces solutions ne sont transcrites dans le quotidien que si elles sont adoptées localement. Il n'y a aucun gain à attendre dans les résultats des essais randomisés si les résultats et les leçons des essais ne sont pas mis en pratique clinique. De même, il n'y a aucun gain à attendre si les formations aux nouvelles pratiques ne sont pas traduites dans la pratique de routine.
Malheureusement, les données suggèrent que peu d’études validées montrant de nouvelles avancées ont un impact immédiat sur la pratique chirurgicale à grande échelle(6). Les raisons avancées sont souvent le désaccord individuel avec les nouvelles préconisations (souvent par le fait de difficultés à abandonner ce que l’on croit savoir faire très bien), les conditions manquantes pour l’adoption (plateau technique, ressources humaines) et/ou la pression temporelle (voir l’exemple récurrent de la non-exécution complète de la check-list de sécurité opératoire)(7) sans oublier d’autres raisons plus culturelles ou locales (expliquant par exemple les débordements répétitifs sur la durée de séjour, au détriment de l’intérêt et des risques pour le patient).(8)
Les compétences non techniques sont devenues des éléments essentiels des soins chirurgicaux, de la performance de l'équipe et de la sécurité des patients(9). Une composante majeure de la pratique chirurgicale est le travail d'équipe et elle se trouve particulièrement associée à la maîtrise du risque postopératoire.
On y ajoutera tous les comportements inadaptés dans la relation d’équipe, et avec les apprenants qui contribuent souvent à détériorer profondément la performance du système de soin, et à démotiver ses acteurs(10).
De nouveaux concepts d'enseignement et d'apprentissage par le biais du préceptorat, de la surveillance, du mentorat et de l'encadrement sont apparus comme des modèles pour répondre aux besoins éducatifs des apprenants à tous les niveaux. En bref, les compétences non techniques nécessaires pour obtenir des résultats optimaux en matière de soins chirurgicaux sont considérées comme essentielles, bien qu'il reste encore beaucoup à faire pour donner cette forme et cette fonction dès la formation initiale et jusqu'à la pratique tout au long de la vie.
En conclusion, cette approche proposée avec une "formule de survie chirurgicale" ne révolutionnera pas nos connaissances mais permet quand même de proposer un cadre d’analyse réflexif sur les pratiques en place(11). En tant que telle, elle devrait intéresser à la fois la puissance publique dans ses évaluations externes, les collèges dans leur volonté d’améliorer la discipline et les systèmes d’accréditation qui peuvent y trouver des grilles d’analyse et de coaching efficace des professionnels.
À lire aussi
Sécurité du patient : Ambiguïté sur la définition et dilemme pour l’action >
Publication des résultats qualité et sécurité des hôpitaux n’a pas convaincu les Allemands >
Qualité totale en santé et amélioration continue de la qualité : un manque de considération pour l’engagement et l’expérience émotionnelle >