Une formule magique à découvrir pour optimiser la survie dans le parcours de l'opéré

Tout sur la gestion des risques en santé
                et la sécurité du patient

Une formule magique à découvrir pour optimiser la survie dans le parcours de l'opéré

  • Réduire le texte de la page
  • Agrandir le texte de la page
  • Facebook
  • Twitter
  • Messages0
  • Imprimer la page
  • Trois chirurgiens examinent le dossier d'un patient au bloc opératoire - La Prévention Médicale

Les chirurgiens veulent que leurs patients reçoivent des soins sûrs, opportuns et de haute qualité, souvent dans des circonstances difficiles. Mais leur recherche de l'excellence reste souvent priorisée sur la qualité du geste technique. Évidemment le parcours de l’opéré va bien au-delà et explique à lui seul plus d’évènements indésirables (EI) que la technique de l’acte lui-même. Cette réflexion a conduit la communauté académique à proposer une "formule optimisée de survie en chirurgie" qui doit permettre l’évaluation d’un parcours donné, et orienter les efforts d’optimisation qui restent à faire.

Auteur : le Pr René AMALBERTI, Docteur en psychologie des processus cognitifs, ancien conseiller HAS / MAJ : 03/07/2023

Quelle théorie derrière cette "formule de survie"

C’est dans les années 2000 qu’un groupe international d’anesthésistes-réanimateurs a introduit pour la première fois une formule destinée à déterminer la survie en réanimation cardiorespiratoire(1). Le modèle prenait en compte 3 composantes (science x éducation x implémentation locale = survie). Chaque composante devait être maximisée pour atteindre une survie optimale en cas d'arrêt cardiaque. 

Le concept a depuis été affiné dans plusieurs domaines de la réanimation à l'échelle mondiale, notamment les programmes Helping Babies Survive et Helping Mothers Survive(2).Une quatrième composante a été ajoutée plus récemment, relative aux compétences non techniques et collectives en postopératoire.

Cette formule est donc maintenant appliquée à la chirurgie.

Le modèle précise que dans un scénario idéal, chacune des 4 composantes renvoie à une valeur arbitraire parfaite de 1, si bien que le score final idéal est de 1 (1 × 1 × 1 × 1 = 1) :

  • Bien sûr, il ne faut pas interpréter cela comme une "survie à 100 %" ; il existe toujours des limites biologiques à toute condition donnée. 
  • La formule et ses valeurs arbitraires ne sont pas des mesures exactes. C’est surtout un outil pédagogique pour illustrer l'importance d'une série d'éléments et de leur interconnexion pour influencer un résultat final. Les valeurs présentées ne doivent pas être interprétées comme exactes, mais plutôt comme une unité de valeur relative pour évaluer un impact prévu et souhaité sur les résultats. 
  • Ces valeurs arbitraires proposent une mesure permettant d'évaluer à quel point la réalité du parcours de l’opéré s’éloigne d’un cadre optimal de prestation des meilleurs soins possibles pour une condition ou une maladie donnée. Chaque composante a un effet additif sur le résultat, mais représente également un maillon faible s'il n'est pas pris en compte dans la chaîne de soins.

Première composante : la composante technique scientifique

Cette première composante renvoie idéalement à une médecine exclusivement basée sur les preuves, sur des données solides obtenues grâce à des méthodes de recherche de haute qualité. 

La réalité est plus nuancée, particulièrement dans le domaine chirurgical, à la fois parce que le domaine est fortement innovant, et parce qu’il est très vaste et systémique, englobant non seulement la technique (souvent la seule dimension testée dans les protocoles randomisées), mais aussi le plateau dans son intégrité multidisciplinaire et fonctionnelle, avec tout ce que cela peut exiger en termes de ressources humaines à un moment où elles manquent partout dans le monde.

On a pu démontrer, notamment en cancérologie, que la quantité d'activité de recherche est directement corrélée à la mortalité(3). Moins de 1 % des patients atteints de cancer étaient inscrits dans des essais cliniques en 2013(4) (c’est à peine mieux aujourd’hui) et la chirurgie a été décrite comme l'un des facteurs associés au mauvais recrutement des patients ou à des essais non terminés. 

Plus globalement, la culture de recherche chez les chirurgiens - hors centres universitaires traditionnels - reste faible et la nature de la chirurgie en tant que discipline clinique n'a probablement pas suscité le même intérêt pour le travail universitaire que pour les spécialités non chirurgicales. Beaucoup de recommandations en chirurgie restent basées sur des preuves de faible niveau.

On peut donc imaginer qu'il reste des marges aisées à gagner en "science chirurgicale" avant d'atteindre le score utopique de 1. 

Deuxième composante : l'efficacité de la formation chirurgicale

La formation est le vecteur qui apporte des connaissances au chirurgien clinicien ou à son équipe. Là encore, les marges de progrès sont importantes tant les publications et méta-analyses sont nombreuses, pointant soit une grande variation dans l'adoption des résultats des essais dans la pratique clinique(5), soit (et) une fréquence de déviations ou de non maîtrise de recommandations techniques en lien avec des EIG.

La formation chirurgicale commence à intégrer les nouveaux outils numériques de la simulation et des possibilités offertes par les jumeaux numériques ainsi que par la robotique sous toute ses formes, mais elle souffre d’un accès insuffisant à ces outils.

De même, les nouvelles méthodes didactiques telles que la classe inversée, l'apprentissage en équipe, les médias sociaux et la gamification (serious games) restent encore trop souvent de l’ordre de l’essai local. 

Un point plus positif à mettre au crédit de la formation sur la maîtrise des gestes techniques reste la montée en puissance des systèmes d’accompagnement et coaching individuels par les collèges professionnels et par un travail suivi et validé par des pairs (ie : le bel exemple de l’endoscopie dans l’accréditation Française).

Troisième composante : l'adoption locale

La recherche apporte les solutions optimisées mais ces solutions ne sont transcrites dans le quotidien que si elles sont adoptées localement. Il n'y a aucun gain à attendre dans les résultats des essais randomisés si les résultats et les leçons des essais ne sont pas mis en pratique clinique. De même, il n'y a aucun gain à attendre si les formations aux nouvelles pratiques ne sont pas traduites dans la pratique de routine. 

Malheureusement, les données suggèrent que peu d’études validées montrant de nouvelles avancées ont un impact immédiat sur la pratique chirurgicale à grande échelle(6). Les raisons avancées sont souvent le désaccord individuel avec les nouvelles préconisations (souvent par le fait de difficultés à abandonner ce que l’on croit savoir faire très bien), les conditions manquantes pour l’adoption (plateau technique, ressources humaines) et/ou la pression temporelle (voir l’exemple récurrent de la non-exécution complète de la check-list de sécurité opératoire)(7) sans oublier d’autres raisons plus culturelles ou locales (expliquant par exemple les débordements répétitifs sur la durée de séjour, au détriment de l’intérêt et des risques pour le patient).(8)

Quatrième composante : les compétences non techniques

Les compétences non techniques sont devenues des éléments essentiels des soins chirurgicaux, de la performance de l'équipe et de la sécurité des patients(9). Une composante majeure de la pratique chirurgicale est le travail d'équipe et elle se trouve particulièrement associée à la maîtrise du risque postopératoire. 

On y ajoutera tous les comportements inadaptés dans la relation d’équipe, et avec les apprenants qui contribuent souvent à détériorer profondément la performance du système de soin, et à démotiver ses acteurs(10).

De nouveaux concepts d'enseignement et d'apprentissage par le biais du préceptorat, de la surveillance, du mentorat et de l'encadrement sont apparus comme des modèles pour répondre aux besoins éducatifs des apprenants à tous les niveaux. En bref, les compétences non techniques nécessaires pour obtenir des résultats optimaux en matière de soins chirurgicaux sont considérées comme essentielles, bien qu'il reste encore beaucoup à faire pour donner cette forme et cette fonction dès la formation initiale et jusqu'à la pratique tout au long de la vie.

En conclusion, cette approche proposée avec une "formule de survie chirurgicale" ne révolutionnera pas nos connaissances mais permet quand même de proposer un cadre d’analyse réflexif sur les pratiques en place(11). En tant que telle, elle devrait intéresser à la fois la puissance publique dans ses évaluations externes, les collèges dans leur volonté d’améliorer la discipline et les systèmes d’accréditation qui peuvent y trouver des grilles d’analyse et de coaching efficace des professionnels.

Pour aller plus loin
(1) Chamberlain DA, Hazinski MF. Education in resuscitation. Resuscitation. 2003 ; 59(1) : 11–43. 
(2) Ersdal HL, Singhal N, Msemo G, et al. Successful implementation of Helping Babies Survive and Helping Mothers Survive programs-An Utstein formula for newborn and maternal survival. PLoS One 2017 ; 12(6) : e0178073. 
(3) Are C, Caniglia A, Mohammed M, et al. Global variations in the level of cancer-related research activity and correlation to cancer-specific mortality: proposal for a global curriculum. Ann Surg Oncol. 2018 ; 25(3) : 594–603. 
(4) Chow CJ, Habermann EB, Abraham A, et al. Does enrollment in cancer trials improve survival? J Am Coll Surg. 2013 ; 216(4) : 774–80 ; discussion 80–1. 
(5) Ilyas S, Stone DH, Kang J, et al. Non-guideline-compliant endovascular abdominal aortic aneurysm repair in women is associated with increased mortality and reintervention compared with men. J Vasc Surg. 2022 ; 75(1) : 118-25.e1. 
(6) Oberkofler CE, Hamming JF, Staiger RD, et al. Procedural surgical RCTs in daily practice: do surgeons adopt or is it just a waste of time? Ann Surg. 2019 ; 270(5) : 727–34. 
(7) Pooled analysis of WHO Surgical Safety Checklist use and mortality after emergency laparotomy. Br J Surg. 2019 ; 106(2) : e103.
(8) Byrne BE, Faiz OD, Bottle A, et al. A protocol is not enough: enhanced recovery program-based care and clinician adherence associated with shorter stay after colorectal surgery. World J Surg. 2021 ; 45(2) : 347–55 
(9) Sinyard RD, Rentas CM, Gunn EG, et al. Managing a team in the operating room: The science of teamwork and non-technical skills for surgeons. Curr Probl Surg. 2022 ; 59(7) : 101172. 
(10) Gianakos AL, Freischlag JA, Mercurio AM, et al. Bullying, discrimination, harassment, sexual harassment, and the fear of retaliation during surgical residency training: a systematic review. World J Surg. 2022 ; 46(7) : 1587–99. 
(11) Søreide K, Nymo LS, Kleive D, et al. Variation in use of open and laparoscopic distal pancreatectomy and associated outcome metrics in a universal health care system. Pancreatology. 2019 ; 19(6) : 880–7.