Les pièges de l'évaluation économique et du paiement à la valeur en santé

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Les pièges de l'évaluation économique et du paiement à la valeur en santé : un retour d'expérience américain

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  • Un stéthoscope pointe les USA sur une mappemonde | La Prévention Médicale

Tout le monde veut une médecine la plus performante possible pour le patient à un coût mieux maîtrisé pour le système de soin. Les idées théoriques de paiement à la valeur et d’évaluation économique sont souvent mises en avant pour ces objectifs.
Reste à développer les bons outils de mise en pratique pour en éviter des effets délétères. Cet article réunit plusieurs contributions de retour d’expérience récente sur ce thème parues dans le New England Journal of Medicine.

Auteur : le Pr René AMALBERTI, Docteur en psychologie des processus cognitifs, ancien conseiller HAS / MAJ : 07/09/2022

L'évaluation économique d'une expérimentation locale

Le calcul d’évaluation économique d’une innovation à partir d’une expérimentation locale n’est souvent pas assez transparent pour en faciliter sa généralisation à d’autres sites

Les décideurs des systèmes de santé s'efforcent de mettre en œuvre des soins de qualité fondés sur des preuves scientifiques. Le manque de données économiques est souvent cité comme un obstacle à la mise en œuvre de ces soins, en particulier lorsque les décideurs sont invités à allouer des ressources forcément limitées et à faire face à des demandes concurrentes.

Les études qui évaluent le coût des stratégies de mise en œuvre de soins restent rares, et souvent ces études ne font qu'estimer les coûts de mise en œuvre sans les mettre en corrélation avec les résultats sur les patients. 

Par exemple, Les Norvégiens ont fait une estimation coût-efficacité d’une intervention visant à réduire les temps d'admission à la thrombolyse dans un grand centre d'AVC norvégien. 

Ils ont réduit ces temps de 27 à 13 minutes, avec un gain calculé par minute sur le pronostic patient immédiat, puis des gains secondaires calculés sur les résultats patients à 13 mois et jusqu’à 5 ans (années de mort évitée).

Les auteurs ont évalué le temps gagné (13 minutes) à 44 802 dollars en coûts fixes et 2 141 dollars par mois en coûts récurrents.

En outre, ils évaluent le coût supplémentaire par année de vie sauvée entre 4 961 dollars et 10 543 dollars sur la période mesurée de 5 ans, la fourchette reflétant différentes hypothèses réalistes de parcours patient.

Malgré les détails, il manque encore certains données, notamment le coût des médicaments et, d’une façon générale, celui inhérent aux choix de prise en charge du système national de santé, souvent passé sous silence, pourtant très contributif aux coûts totaux (système de paiement à l’acte, par capitalisation, autre, système de de remboursements, coûts des journées en soins intensifs, salaires des personnels, etc.).

C’est ce type d’information totalement transparente sur le calcul des coûts, directs et supplémentaires, qui peut pourtant aider à évaluer les ressources nécessaires quand elles sont limitées. 

Le contexte de l'intervention et sa réalisation pratique sur le terrain sont également autant de données économiques à fournir pour déterminer la généralisation des résultats (Lewis, 2021).

Par exemple dans l’étude Norvégienne précédemment citée, le passage de 27 à 13 minutes est un progrès spectaculaire. Même si, au demeurant, le temps initial de 27 minutes est un très bon résultat et que les hôpitaux norvégiens sont parmi les meilleurs du monde.

A preuve, une intervention similaire dans des hôpitaux a réduit ce temps de 77 minutes à 67 minutes. C’est encourageant, mais c’est loin du bénéfice lu par les Norvégiens. Les décideurs voudront savoir s'ils peuvent raisonnablement s'attendre à une réduction relative de 50 % du temps admission-thrombolyse en investissant une somme d'argent similaire (44 802 dollars en coûts fixes, plus 2 141 dollars par mois) dans une intervention similaire.

Il faut reconnaître que tous ces réglages à imposer sur la transparence d’une intervention pour décider si elle portable dans son propre secteur/pays, ne sont pas bien maîtrisés et font encore l’objet d’une courbe d'apprentissage pour les chercheurs spécialistes des évaluations économiques.

Le jargon peut déjà en lui-même être un obstacle, les professionnels de l’évaluation ayant une expérience de l'évaluation économique souffrent souvent en raison d'un manque de compréhension mutuelle des autres professionnels de santé sur le langage spécifique à la discipline.

L'utilisation de termes tels que coûts d'opportunité ou coûts fixes et variables doit à chaque fois être bien redéfinie. Par exemple :

  • Les coûts fixes sont des coûts qui ne varient pas selon l'échelle de production. L'achat d'un appareil à rayons X représente un coût fixe - le coût est fixe pour la durée de vie de l'appareil, quel que soit le nombre d'examens pour lesquels il est utilisé.
  • Le personnel (c'est-à-dire la main-d'œuvre) représente par contre un coût variable car le coût varie selon l'échelle de production. 

Mais on lit dans le texte des Norvégiens cité plus haut que la majorité des coûts étaient fixes et attribuables au personnel, ce qui déroutera les spécialistes. Il est possible que les Norvégiens aient utilisé les termes coûts de programme comme synonymes de coûts fixes, mais les coûts de programme varient souvent à un certain niveau. On voit là une exemple parmi de nombreux cas d’utilisation imprécise des concepts.

De plus, pour estimer le coût des stratégies de mise en œuvre, la plupart des chercheurs s'appuient sur des approches de "microcosting", coûts locaux qui consistent à identifier les quantités d'intrants utilisés dans la production d'un service. Ces approches de coûts locaux diffèrent en termes de précision et d'exactitude en raison du moment et de la méthode de collecte des données. 

Idéalement, les études devraient éclairer les mécanismes d'action, inclure plus d'informations sur le processus de mise en œuvre, telles que le temps et les efforts consacrés à faire changer d'avis les parties prenantes et les retards dus au roulement du personnel, pour fournir aux autres décideurs des informations avancées sur les points de décision qui peuvent nécessiter des ressources supplémentaires.

Pour de nombreuses activités de mise en œuvre, les systèmes de suivi du temps peuvent également informer les types d'efforts de mise en œuvre nécessaires à des fins de planification de mise en œuvre future, que ces efforts soient petits et réguliers ou rares mais importants.

Au final, il faut reconnaître que l'intégration de l'information économique dans la mise en œuvre est relativement difficile et aggravée par le manque de chercheurs dédiés.

Le paiement basé sur la valeur n’a pas convaincu pour le moment, il reste un outil très inégal

Le mouvement vers le paiement basé sur la valeur a été une autre caractéristique déterminante de la réforme des soins de santé aux États-Unis au cours de la dernière décennie. Cependant, malgré un enthousiasme et des investissements substantiels, ces efforts ont toutefois été largement décevants. 

La plupart des modèles de paiement basés sur la valeur des Centers for Medicare and Medicaid Services (CMS) n'ont pas réussi à réduire les dépenses de santé de manière significative et à améliorer la qualité des soins.

Plus inquiétant encore, de nombreux programmes de paiement fondés sur la valeur ont même été régressifs, réduisant de chemin vers plus d'équité en santé (Knocke, 2022). Par exemple, le système de paiement incitatif basé sur le mérite (MIPS) de Medicare a pénalisé de manière disproportionnée les cliniciens ambulatoires qui s'occupaient d'adultes pauvres (Johnston 2020). De même, le programme de réduction des affections nosocomiales a pénalisé les hôpitaux les plus déshérités qui s'occupent en proportions élevées d'adultes noirs.

La principale raison est que l'équité n'a pas été priorisée lors de la conception de ces programmes et leur mise en œuvre.

La réalité est que la plupart des programmes de paiement de ce type sont neutres sur le plan budgétaire et, de fait, ils créent des gagnants et des perdants, récompensant certains fournisseurs au détriment des autres. Les différences structurelles préexistantes influencent souvent qui gagne et qui perd. Les cabinets et les hôpitaux disposant de l'infrastructure et des ressources nécessaires pour s'adapter rapidement aux exigences logistiques et de rapport sont beaucoup plus susceptibles de réussir dans les nouveaux programmes. 

De plus, étant donné que les objectifs de dépenses utilisés dans certains modèles de paiement sont basés sur les niveaux de dépenses antérieurs d'un fournisseur de santé, les fournisseurs dont les patients ont historiquement utilisé moins de services en raison d'un manque d'accès aux soins peuvent être confrontés à des objectifs irréalistes. 

Autre sujet, bien que les sanctions financières incluses dans ces modèles visent à encourager les prestataires à fournir des soins de haute qualité, le désir d'éviter les pertes peut favoriser un "jeu" qui nuit de manière disproportionnée aux populations à faible revenu et historiquement marginalisées.

Par exemple, des preuves récentes (Kim 2021) suggèrent que le modèle de soins complets pour les arthroplasties de Medicare, compte tenu de ses critères de financement, a entravé l'accès aux arthroplasties du genou et de la hanche pour les adultes noirs (plus comorbides en moyenne que les blancs), élargissant ainsi les disparités raciales.

Dans le programme MIPS, les fournisseurs de santé disposant de ressources suffisantes ont tendance à choisir stratégiquement des mesures de qualité qui maximisent leurs scores sur la base de leurs performances existantes - un processus qui nécessite souvent des analyses de données, des consultants externes et d'autres investissements -, ce qui leur permet de gagner des récompenses financières sans nécessairement améliorer les soins (Roberts, 2021- Cette dynamique désavantage les prestataires qui s'occupent des populations à faible revenu, car ils ont tendance à avoir moins de ressources à consacrer à l'optimisation des scores. Plus généralement, les modèles basés sur la valeur ont encouragé des augmentations de codages de soins qui ne reflètent pas nécessairement de véritables changements dans la complexité médicale des patients) et qui profitent très probablement aux personnes disposant de ressources suffisantes.

Un point quand même positif dans l'ère des paiements basés sur la valeur a été la création d’organisations de soins responsables (ACO) – des groupes de prestataires qui sont incités à réduire les dépenses en dessous d'un seuil de référence – dont certains ont permis de réaliser des économies pour Medicare

Un nouveau modèle - le modèle ACO Realizing Equity, Access, and Community Health (ACO REACH) – s’inspire de ces rares points positifs. Ce modèle nomme explicitement la promotion de l'équité – et pas seulement de la valeur – comme objectif central.

Plusieurs dispositions de l'ACO REACH pourraient contribuer à faire progresser l'équité en santé.

  • Le modèle comprend un nouvel "ajustement de référence pour l'équité en santé" pour les ACO qui s'occupent de patients défavorisés sur le plan socio-économique. 
  • ACO REACH exige que les ACO participants élaborent et mettent en œuvre un plan d'équité en santé qui implique l'identification des disparités dans leurs populations de patients, l'établissement d'une stratégie d'équité et l'adoption d'initiatives pour réduire les disparités. 
  • Medicaid/medicare exige des ACO qu'ils collectent et soumettent des données sur les données démographiques et les déterminants sociaux de la santé déclarés par les patients. Rendre obligatoire la collecte de ces données pourrait faciliter la mise en œuvre factuelle d'interventions axées sur l'équité.

Mais, bien que ces dispositions représentent un changement important, leurs effets seront limités aux prestataires et aux patients qui participent au nouveau modèle. Pour que ces réformes aient une influence plus large, les décideurs politiques devront encore décider quelles dispositions appliquer aux autres modèles de paiement et sous quelle forme. 

La route est encore longue…

Sources
•    Ajmi SC, Kurz MW, Ersdal H, et al Cost-effectiveness of a quality improvement project, including simulation-based training, on reducing door-to-needle times in stroke thrombolysis BMJ Quality & Safety 2022;31:569-578
•    Gondi, S., Joynt Maddox, K., & Wadhera, R. K. (2022). “REACHing” for Equity—Moving from Regressive toward Progressive Value-Based Payment. New England Journal of Medicine. DOI: 10.1056/NEJMp2204749
•    Johnston KJ, Hockenberry JM, Wadhera RK, Joynt Maddox KE. Clinicians with high socially at-risk caseloads received reduced Merit-Based Incentive Payment System scores. Health Aff (Millwood) 2020;39:1504-1512.
•    Kim H, Meath THA, Quiñones AR, McConnell KJ, Ibrahim SA. Association of Medicare mandatory bundled payment program with the receipt of elective hip and knee replacement in White, Black, and Hispanic beneficiaries. JAMA Netw Open 2021;4(3):e211772-e211772.
•    Knocke K, Wagner TW The Evolving Economics of Implementation BMJ Quality & Safety 2022;31:555-557. https://qualitysafety.bmj.com/content/31/8/555
•    Lewis CC, Boyd MR, Walsh-Bailey C, Lyon AR, Beidas R, Mittman B, Aarons GA, Weiner BJ, Chambers DA. A systematic review of empirical studies examining mechanisms of implementation in health. Implement Sci. 2020 Apr 16;15(1):21. doi: 10.1186/s13012-020-00983-3. PMID: 32299461; PMCID: 
•    Roberts ET, Song Z, Ding L, McWilliams JM. Changes in patient experiences and assessment of gaming among large clinician practices in precursors of the Merit-Based Incentive Payment System. JAMA Health Forum 2021;2(10):e213105-e213105.