Dysfonctionnements multiples lors de la prise en charge d'un syndrome abdominal aigu

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Dysfonctionnements multiples lors de la prise en charge d'un syndrome abdominal aigu

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  • Une professionnelle de santé auprès d'un patient pendant le service de nuit - La Prévention Médicale

L’importance de la communication entre confrères est un des piliers de la sécurité des parcours de soins. Ce cas clinique montre que l’absence de briefing entre les praticiens de garde peut être dramatique pour les malades pris en charge.

Auteur : le Dr Christian Sicot - Président d'honneur de la Prévention Médicale - Ancien chef de service de Réanimation et de Médecine d'Urgences / MAJ : 17/07/2025

Cas clinique

Un patient de 67 ans est amené en début de matinée aux urgences du centre hospitalier proche de son domicile pour "douleur abdominale". On retient dans ses antécédents :

  • médicaux : un surpoids avec Indice de Masse Corporelle (IMC) à 28, Broncho Pneumopathie Chronique Obstructive (BPCO) post tabagique et Syndrome d’Apnée du Sommeil (SAS).
  • chirurgicaux : cure de hernie ombilicale, cure de hernie inguinale et cholécystectomie.
     

À l’admission, l’urgentiste note : "Douleur de la FID d’apparition brutale ce jour, isolée. À l’examen : apyrétique, patient très algique, pas de nausée ni de vomissement, pas de trouble du transit, douleur FI avec défense abdominale, orifices herniaires libres."
Conclusion : "Avis du chirurgien viscéral : à hospitaliser en chirurgie."

Le suivi des paramètres de surveillance aux urgences montre un patient en normothermie, avec des chiffres tensionnels et une fréquence cardiaque dans la normalité, une saturation en oxygène supérieure à 95. Par contre, l’évaluation de la douleur est cotée à 9/10.

Les résultats du bilan biologiques sont rassurants :

  • "GB 6540/mm3 dont 83,2% de neutrophiles.
  • Plaquettes 210000/mm3 - Hémoglobine 15,9 g/dL.
  • TP 100%.
  • CRP 6,2 mg/L.
  • DFG 110 mL/min - Kaliémie 5 mmol/L - Natrémie 140 mmol/L.
  • Acide lactique 1,7 mmol/L (Normale) - Gamma-GT 175 UI/L (3N).
  • Troponine normale."
     

Les résultats du scanner abdomino-pelvien pratiqué par le cabinet de radiologie libéral conventionné avec le centre hospitalier concluent :

  • "Technique : spirale supérieure et pelvienne, sans puis après injection de produit de contraste iodé, avec reconstructions multi planaires.
  • Conclusion : condensation pulmonaire bi-basale avec atélectasie du lobe inférieur gauche, connue ; encombrement du bas-fond caecal avec probable infiltration péri-cæcale chez un patient qui présente une hernie inguinale droite ; stigmates d’intervention de hernie ombilicale."
     

En début d’après-midi, administration de 10 mg de morphine en titration.

Le patient signale à l’équipe des urgences qu’il est appareillé pour l’apnée du sommeil à domicile. Il bénéfice de l’administration de 1 g de paracétamol injectable.

L’interne de chirurgie acte l’hospitalisation en chirurgie.

En fin d'après-midi, le patient est transféré dans le service.

Les constantes prises à son arrivée en chambre : Temp à 38,4°C - TA 118/83 mm de Hg - FC 117 - SaO2 88 % - EN 7.

Lors de la contre-visite, le chirurgien note : "douleurs abdominales +++ défense surtout FID, scan en faveur d’une pathologie appendiculaire (abcès) avec la dernière anse iléale sentinelle, indication de laparoscopie exploratrice, garder à jeun, si vomissement sonde naso-gastrique, anesthésiste prévenu."

Appel du médecin anesthésiste-réanimateur de garde pour signaler le tableau algique du patient : "prescription de 5 mg de morphine car patient algique +++++. Consultation préanesthésique."

Lors du premier tour de soins de nuit, « " Temp. 38,4°C - FC 117 - EN 7."

"Patient se plaint de douleurs abdo, 10 mg de morphine en titration avec l'accord de l’anesthésiste."

À 23 h 08 : "Patient retrouvé en sueur, déperfusé, algique, SaO2 81 %, 02 : 5 l mis en route".

À 23 h 10 : "Temp. 36,3°C - TA 131/94 - FC 115 - SaO2 81 % sous 2,5 l".

À 23 h 15 : "Patient algique ++, 100 mg Topalgic posé, reperfusé, Vu par anesthésiste de garde - deux bouffées Ventoline faites".

À 23 h 32 : "Chirurgien viscéral de garde prévenu que le patient est très algique".

À 00 h 08 : "SaO2 94 % sous 3 l".

À 01 h 01 : "Patient se repose un peu, semble moins algique".

À 02 h 06 : "Patient dort".

À 03 h 51 : "Patient dort".

À 05 h 39 : "Patient retrouvé décédé, (…) Anesthésiste de garde et chirurgien viscéral de garde prévenus".

Saisine de la Commission de Conciliation et d’Indemnisation (CCI) par les ayants droit du patient.

Expertise

Pour les experts (chirurgien digestif et radiologue) : "(…) Le décès est lié à une perforation intestinale avec péritonite stercorale dont le diagnostic n’a pas été posé. Le pneumopéritoine est présent sur le scanner qui montre également un aspect de péritonite et de perforation du côlon sigmoïde. Ces faits imposaient d’intervenir en urgence, compte tenu de la clinique (douleurs très importantes, résistantes à la morphine, aggravation progressive, sueurs, tachycardie).

Il n’y a pas eu de dysfonctionnement des services du centre hospitalier, ni de défaut d’organisation, de moyens techniques ou en personnel de santé.

La responsabilité du décès incombe aux praticiens qui n’ont pas analysé le scanner abdominal correctement et n’ont pas posé une indication opératoire d’urgence (…), ce qui était contraire aux règles de l’art.

Les péritonites stercorales ont une mortalité de 20-30% dans la population générale et de 40% entre 65 et 80 ans. Chez, le patient, l’âge et la BPCO ont participé au décès et, en l’absence de retard au diagnostic, le risque de mortalité pouvait être estimé, chez lui, à 40% (…)."

Avis CCI

Pour la Commission : "(…) La réparation des préjudices incombe au radiologue pour une part de 20% et au centre hospitalier pour une part de 40% (…)" (chirurgien et anesthésiste salariés).

Commentaires

Les dysfonctionnements survenus dans la prise en charge du patient sont nombreux. Évidemment, le plus grave d’entre eux est la lecture des clichés du scanner abdominal avec l’absence de diagnostic du pneumopéritoine témoignant d’une perforation intestinale avec péritonite stercorale.

Ces constations imposaient une intervention d’urgence dans les 2 heures suivant l’imagerie, ce qui n’a pas eu lieu. Le patient a toutefois été transféré en chirurgie après l’avis d’un chirurgien qui l’avait récemment opéré (cholécystectomie et cure de hernie ombilicale - 2 mois auparavant). Ce dernier l’aurait "examiné" (selon les dires de l’épouse) et a conclu à la nécessité d’une laparotomie exploratrice mais sans en préciser l’heure tout en demandant à l’anesthésiste de garde de réaliser une consultation préanesthésique, ce qui a été fait.

En revanche, il n’y a a priori aucune information donnée au chirurgien de garde concernant cette laparotomie exploratrice (et son degré d’urgence), ni aucune demande sur la situation du service de chirurgie au début de sa garde.

En outre, rien n’indique si le chirurgien de garde était sur place ou à son domicile. À une seule reprise, il a été prévenu par l’IDE de garde que "le patient était très algique". La réponse n’est pas mentionnée. En fait, le seul médecin à avoir pris en charge le patient dès lors qu’il avait été transféré dans le service de chirurgie est l’anesthésiste de garde, qui a été appelé à 3 reprises durant la nuit en raison de l’intensité des douleurs dont se plaignait le patient.

Au lieu d’en informer le chirurgien de garde pour le presser d’intervenir, l’anesthésiste de garde s’est contenté de prescrire de la morphine puis du Topalgic®. Il n’est d’ailleurs, pas exclu que l’arrêt cardiaque responsable du décès du patient (retrouvé mort dans son lit à 5 h 39) ne soit la conséquence de la prescription de ces antalgiques opioïdes qui ont vraisemblablement aggravé la pathologie de ce patient qui avait pourtant signalé dès son admission aux urgences qu’il était atteint d’un Syndrome d’Apnée du Sommeil, appareillé à domicile.

En effet, "les opiacés ont un impact sur la respiration nocturne chez 70% des patients, entraînant une respiration ataxique composée d’apnées en majorité centrales entrecoupées de courtes périodes de reprise ventilatoire ou de phases d’hypoventilation"(1).

Ces faits justifient la décision de la Commission de Conciliation et d’Indemnisation (CCI) qui a attribué la responsabilité du décès du patient, non seulement au radiologue (20%) mais surtout au centre hospitalier (40%).

Référence :
(1) HEINZER.  R. - Opiacés et troubles respiratoires nocturnes - Rev. Med Suisse 18 novembre 2009