Contraception et risque thromboembolique : une équation difficile

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Une phlébite de la saphène superficielle apparaît un mois après le début d’une contraception orale chez une jeune femme de 20 ans. Mise sous traitement anticoagulant pendant une semaine avec poursuite du contraceptif, elle décède par embolie pulmonaire massive 4 semaines plus tard. 

Auteur : le Dr Christian Sicot / MAJ : 11/05/2022

Cas clinique

Le 12 mai 2009, une jeune femme âgée de 20 ans, étudiante, consulte une gynécologue pour débuter une contraception orale. 

La gynécologue adopte toujours le même schéma de consultation : interrogatoire, examen, explication sur l'utilisation de la contraception et termine par la prise de pression artérielle quand la patiente est plus détendue. Elle décrit, à cette jeune femme, les effets secondaires de la contraception au niveau du corps mais également l'éventuel risque de thrombose (déclaration lors de l’expertise). 

Dans les antécédents familiaux de cette jeune femme, on relève un cancer du sein chez sa grand-mère à l'âge de 40 ans et d’un point de vue personnel, une appendicectomie. Il n'y a pas d'antécédent connu, personnel ou familial, de thrombose veineuse ou artérielle. Cette jeune femme ne fume pas. Elle pèse 66 kg pour 1,81 m. L’examen clinique est normal, tant gynécologique que général.

Une prescription de Jasminellecontinu® est faite pour 12 mois avec, en parallèle, du Norlevo® en cas d’oubli. La gynécologue explique que la prescription de Jasminellecontinu® repose alors sur le fait que la plaquette comprend des comprimes placebo qui évitent à la femme de se perdre dans ses jours de cycle, qu'elle ne donne pas d'acné, n'engendre pas de prise de poids et qu'elle est alors parmi les pilules les plus prescrites.

La gynécologue ne revoit pas la jeune femme. 

Début juillet 2009, celle-ci termine son année universitaire et regagne sa ville natale pour y travailler comme caissière - en station debout- dans un magasin.

Fin juillet 2009, pendant toute une semaine, elle se plaint d'une douleur du mollet gauche d’aggravation progressive qu'elle interprète comme une contracture musculaire, en l’attribuant à sa position de travail.

Le 31 juillet 2009, elle finit, toutefois, par consulter le médecin traitant de sa famille. Celui-ci lui prescrit du Daflon® (2 comprimés matin et soir pendant 1 semaine puis un comprimé matin et soir pendant 1 mois) ainsi que des applications locales de Niflugel® matin et soir pendant 5 jours.

Un écho-doppler veineux est demandé auprès d'un cardiologue. Le rendez-vous est fixé entre les deux médecins par téléphone le mardi suivant, la consultation ayant lieu un vendredi après-midi.

Le 4 août 2009, l’écho-doppler met en évidence une phlébite saphène interne gauche jusqu'à mi-cuisse, sans atteinte de la crosse. Pas de signe d'insuffisance veineuse tronculaire. Absence d'atteinte des troncs veineux profonds. Le thrombus est pris en photo avec un aspect compatible avec une thrombose veineuse superficielle de la grande saphène à distance de la voie profonde (crosse saphène interne).

Un traitement anticoagulant curatif est instauré par Arixtra® 7,5 pendant 6 jours avec une application locale d'une pommade anti-inflammatoire à base de Phénylbutazone et port de bas de contention. Il est précisé qu'il n'y avait pas lieu d'effectuer un écho-doppler de contrôle sauf en cas d'absence d'amélioration clinique.

Le 7 août 2009, la patiente re-consulte son médecin traitant qui confirme les données du cardiologue et prescrit la poursuite du traitement par Daflon® jusqu'en septembre.

La jeune femme reprend son travail estival sans difficulté et regagne sa ville universitaire, début septembre. 

Le 9 septembre 2009, elle appelle sa mère par Webcam et se dit essoufflée avec du mal à suivre un rythme rapide dans la vie de tous les jours.

Le 15 septembre 2009 au matin, elle se plaint de dyspnée, et perd brutalement connaissance. Elle se réveille au bout de 5 minutes alors que son ami avait fait appel aux pompiers. 

A l'arrivée des pompiers, la jeune femme présente un arrêt cardio circulatoire. Un massage cardiaque est immédiatement entrepris. Après une asystolie de 15 à 20 minutes, le cœur repart avec un ECG en AC/FA, un axe gauche et des troubles diffus de la repolarisation 

A l'arrivée du SAMU : pupilles en mydriase bilatérale aréactive. Cyanose. Une intubation endo-trachéale est réalisée avec ventilation artificielle et injection d'adrénaline et d’héparine.

Lors de l’admission au CHU, le scanner thoracique confirme une embolie pulmonaire massive.

Décès en réanimation le 18 septembre 2009.

Saisine de la Commission de Conciliation  et d’Indemnisation (CCI) par la mère de la patiente pour obtenir réparation du préjudice qu’elle avait subi (octobre 2013).

Expertise (avril 2016)

Pour les trois experts, professeur des universités consultant en pharmacologie, professeur des universités chef de service de Maladies vasculaires et praticien hospitalier anesthésiste-réanimateur :

"(…) La patiente est décédée d'une embolie pulmonaire massive objectivée par un angioscanner thoracique. Les signes cliniques et, en particulier le malaise brutal du matin précédant l'arrêt cardiaque, sont pathognomoniques. Il est probable que l'essoufflement et la limitation à l'effort du début septembre signalés à sa mère correspondaient déjà à des embolies pulmonaires répétées dont le point de départ est la thrombose veineuse superficielle mise en évidence par l’écho-doppler pratiqué le 4 août 2009.

La survenue de cette phlébite superficielle moins de trois mois après la première prescription d’un contraceptif oral, chez une jeune femme sans antécédent personnel et familial et sans risque vasculaire rend cette contraception orale comme cause initiale du décès. En effet plusieurs données montrent que la survenue d’événements thromboemboliques au cours de la contraception par oestro-progestatif, se situe le plus souvent au cours de la première année et plutôt pendant les 6 premiers mois

La prescription de Jasminellecontinu® était-elle conforme aux conditions de l’AMM du produit ? 

Jasminellecontinu® classée dans les contraceptifs dits de 4ème génération correspond à la prise d’une contraception oestroprogestative associant pour les 21 comprimés "actifs : 2 mg d'ethinylestradiol et 3 mg de drospirénone (les 7 derniers comprimés de la boîte d'une couleur différente - blancs et non roses - correspondant à la prise d'un "placebo"). 

L'autorisation de mise sur le marché telle que reflétée par le Résumé des Caractéristiques du Produit (RCP) de 2009 faisait état à cette date d’une indication "contraception orale" sans plus de précision.

Figuraient néanmoins à la rubrique "Mises en garde et précautions d'emploi", l’énumération de facteurs de risque thromboembolique veineux au cours de la contraception : âge, antécédents familiaux d'accidents thromboemboliques veineux, immobilisation prolongée, intervention chirurgicale majeure, obésité (IMC supérieure à 30 kg/m2)...

Il est précisé dans cette même rubrique du RCP que la présence d’un facteur de maladie veineuse ou artérielle peut constituer une contre-indication... En cas de survenue ou de suspicion de thrombose, la contraception orale devra être interrompue, une autre méthode contraceptive doit être instaurée.

On peut donc considérer qu'au moment de la prescription de Jasminellecontinu® (2009), celle-ci était conforme aux données du RCP de cette spécialité. 

En pratique, dans le cas présent, en l'absence de facteurs de risque de thrombose chez cette femme jeune, il n'y avait pas d'indication particulière à cette époque à rechercher des alternatives thérapeutiques. 

Responsabilité des professionnels de santé 

1. Gynécologue

La gynécologue a reçu une seule fois en consultation la jeune femme, pour débuter une contraception orale. Un examen clinique a été effectué, les antécédents recherchés et des informations ont été données sur les effets physiologiques du traitement et surtout sur son utilisation quotidienne avec prescription d'une pilule du lendemain en cas d'oubli et le rappel des moyens de contraception mécanique. 

Il n'est pas possible de savoir si le risque thromboembolique a été réellement abordé et si même cet argument aurait modifié la demande de la patiente. Ce contexte thromboembolique était d'ailleurs tout autre que l'actuel, vis-à-vis du pourcentage de risque. Jasminellecontinu® était alors une pilule parmi les plus prescrites et décrite comme celle qui donnait le moins d'effets secondaires à type d'acné et de surpoids.

La gynécologue a effectué la prescription la plus courante de l'époque vis-à-vis de la demande de la patiente. Elle a encadré cette prescription par un bilan biologique à trois mois comme à l'habitude. (HAS. Contraception chez l'homme et la femme. Avril 2013).

Au total, les experts considèrent que la prescription de la gynécologue était totalement conforme aux données de l'époque même si ce n'est plus le cas actuellement. La responsabilité de la gynécologue ne peut être retenue. 

2. Médecin traitant 

Le médecin traitant qui connaissait la patiente depuis son enfance, a fait un bon diagnostic clinique et a demandé un écho-doppler en appelant lui-même le cardiologue, le vendredi après-midi pour obtenir l'examen le mardi suivant. Devait-Il demander ce doppler en urgence ou conserver ce rendez-vous pour le mardi en instaurant tout de suite un traitement anti coagulant curatif ? Les recommandations actuelles suggèrent de réaliser un écho-doppler, en cas de suspicion de maladie thromboembolique veineuse, dans les 72 heures en fonction de l'offre médicale de la région (voir commentaire 1, en fin d'observation). 

Il n'y avait pas de signe de gravité chez cette patiente sans aucun facteur de risque. Il n'a donc pas mis en route de traitement par héparine et a choisi d'attendre les résultats de l'examen. Son attitude entre dans la norme et ne peut être remise en cause. 

En ce qui concerne la seconde consultation il a prolongé les soins jusqu'en septembre et a suivi les conseils du cardiologue à qui il avait adressé la patiente. 

Il n'a pas arrêté la contraception car les recommandations de l'époque n'étaient pas d'arrêter la contraception orale en cas de thrombose veineuse superficielle. Ces recommandations ont été modifiées depuis 2013 

3. Cardiologue

Le cardiologue a établi le diagnostic de thrombose veineuse superficielle grâce à un écho-doppler et il a choisi un traitement par Arixtra® 7,5 mg, une injection par jour pendant 6 jours. 

A l'époque les thromboses veineuses superficielles (TVS) étaient traitées de façon hétérogène du fait de l'absence de recommandations médicales fondées sur des preuves solides. 

Le pronostic des TVS isolées, sans thrombose veineuse profonde ou embolie pulmonaire associée montrait un taux de décès à 3 mois compris entre 0,1 et 1 %.

En décembre 2009, l'AFSSAPS recommandait un traitement par HBPM à doses prophylactiques pour prévenir le risque de complication embolique et par extrapolation, le fondaparinux (Arixtra) était proposé à doses prophylactiques. La durée de traitement d'au moins 7 jours était recommandée, si un traitement anticoagulant était instauré. 

Le cardiologue a pris l'option du traitement avec un produit qui était l'objet d'une grande étude alors en cours et qui surtout ne nécessitait aucune surveillance biologique. Il était donc en bonne conformité avec les recommandations qui étaient basées sur peu de données à l'époque et en dehors du dosage élevé de la prescription qui a été faite et qui n'a entrainé aucun événement hémorragique, il n'y avait aucun critère de choix pour une thérapeutique validée en 2009 (voir commentaire 2, en fin d’observation).

De même, il n'était pas recommandé d'arrêter la contraception orale à l'époque devant une TVS. Aucun reproche ne peut donc être retenu à son égard. 

Laboratoire de Jasminellecontinu® 

A l'époque des faits Jasminellecontinu® ne faisait pas l'objet d'une suspicion de produire plus de thrombose veineuse et d'embolie pulmonaire. La première étude concluant à un tel sur-risque date de l'été 2009. Elle a été menée sur les bases de données du Danemark.

Cette étude rapportait que, par comparaison avec la prise de contraceptifs contenant du lévonorgestrel (pilules de deuxième génération), la prise d'un contraceptif où le progestatif est la drospirénone (avec la même dose d'estrogène), expose à une augmentation du risque de thrombose veineuse de 64 % (Lidegarard et coll BMJ 2009 ; 339 : b2890).

La méta-analyse de l'ensemble des données disponibles a ensuite amené à considérer que la contraception oestro-progestative à base de drospérinone exposait à un risque accru de thrombose veineuse par apport aux contraceptifs de deuxième génération et équivalent à celui des contraceptifs de troisième génération, mais toutes ces informations sont postérieures à 2009. 

Information 

L'information faite par les trois médecins était conforme aux recommandations de l'époque.

La Thrombose Veineuse Superficielle (TVS) était au premier plan des risques connus du produit et la découverte de la TVS par le médecin traitant confirmée par le cardiologue n'entraînaient pas son arrêt. 

En conclusion

Les experts retiennent l'accident médical non fautif vis-à-vis de cette molécule qui demeure dans le cas présent une contraception pure.

La patiente n'avait aucun antécédent ni prédisposition à ce risque d'embolie pulmonaire. La complication thromboembolique était connue mais de très faible fréquence car sous-estimée à l'époque (…)".

Commission de Conciliation et d’Indemnisation (janvier 2017)

Pour la Commission :

"(…) Il était établi que la patiente était décédée du fait de la prise du contraceptif Jasminellecontinu® qui a provoqué une thrombose veineuse superficielle puis une embolie pulmonaire. Il appartient, à la Commission, de rechercher si, au cas d’espèce, les conditions de la responsabilité de la gynécologue, du médecin traitant, du cardiologue sont réunies et/ou celle de la mise en jeu de la solidarité nationale.

Sur la responsabilité de la gynécologue

La Commission fait siennes les conclusions des experts en ce qu’elles soulignent que le diagnostic et la prescription de ce contraceptif étaient conformes aux données du RCP et qu’il n’y avait pas lieu de rechercher d’alternative thérapeutique pour la patiente qui ne présentait aucun facteur de risque. Elle souligne cependant que le délai de prescription du contraceptif sur une durée d’un an est excessif s’agissant d’une première contraception mais sans relation avec le dommage. 

Sur la responsabilité du médecin traitant

Les experts estiment qu’il a fait, le 31 juillet 2009, un bon diagnostic et qu’il a prescrit de façon justifiée un écho-doppler alors que la patiente se plaignait d’une douleur au mollet.

Mais la Commission considère que la décision de ne pas interrompre la contraception n’était pas fondée dès lors qu’en demandant la réalisation d’un écho-doppler, il suspectait une maladie thromboembolique veineuse. La décision de ne pas interrompre la contraception était encore moins justifiée à partir de la seconde consultation du 7 août 2009 dans laquelle il a eu connaissance des résultats de l’écho-doppler. Le RCP du contraceptif Jasminellecontinu® recommandait : "En cas de survenue ou de suspicion de thrombose, la contraception orale doit être interrompue".

Le manquement du médecin traitant dans l’analyse des symptômes observés et dans le suivi de sa patiente est caractérisé et est à l’origine du décès

Sur la responsabilité du cardiologue

Les experts relèvent qu’il a établi le diagnostic de thrombose veineuse le 4 août 2009 grâce à l’écho-doppler et qu’il a prescrit un traitement par Arixtra® 7,5 mg. Ils considèrent qu’il a agi de manière conforme aux données de la science de l’époque et qu’il n’était pas recommandé d’arrêter la contraception orale dans ce contexte.

La Commission considère, au contraire, que le cardiologue aurait dû compte-tenu des résultats de l’écho-doppler, interrompre la contraception. En effet, tant le RCP que la notice d’information du contraceptif dans leur version applicable au moment de la prescription, faisaient clairement état du risque d’accidents thromboemboliques veineux chez les utilisatrices de ce contraceptif, la rubrique des mises en garde spéciales soulignant que le risque de survenue est plus élevé pendant la première année d’utilisation. Ces recommandations auraient dû conduire le cardiologue à interrompre le traitement dont la poursuite est à l’origine du décès.

Par conséquent, les responsabilités du médecin traitant et du cardiologue sont engagées à hauteur de 50 % chacun.
Il appartient aux assureurs du médecin traitant et du cardiologue d'adresser une offre d'indemnisation aux ayants droit de la patiente, dans le délai de quatre mois suivant la réception du présent avis. (…)."

Les ayants droit de la patiente ayant jugé l’offre d’indemnisation proposée par les assureurs des deux médecins insuffisante, assignèrent le médecin traitant et le cardiologue ainsi que l’ONIAM, devant le tribunal judiciaire.

Jugement du Tribunal Judiciaire (juillet 2021)

Pour les magistrats :

"(…) Le médecin traitant a prescrit un écho-doppler veineux des membres inférieurs le 31 juillet 2009. Il a donc suspecté une thrombose veineuse, sans pour autant interrompre le traitement contraceptif. 

Le 7 août 2009, il a revu sa patiente, alors que le diagnostic de thrombose était confirmé mais Il n’a pas prescrit l’arrêt du traitement.

Le fait de ne pas procéder à l’arrêt du traitement Jasminellecontinu® en présence d’effets secondaires évidents, constitue manifestement une négligence du médecin traitant, laquelle a conduit à la survenue de la complication thromboembolique majeure. 

Compte tenu des signes cliniques de la patiente et du résultat de l'examen écho-doppler qui concluait à une phlébite saphène interne gauche jusqu’à mi-cuisse sans atteinte de la crosse, le médecin traitant aurait dû en effet interrompre le traitement. 

Le cardiologue aurait également dû, compte tenu des conclusions de l'examen écho-doppler, interrompre le traitement. En effet, tant le RCP que la notice d'information du contraceptif, dans leur version applicable au moment de la prescription, faisaient clairement état de risques, chez les utilisatrices de contraceptifs, d'accidents thromboemboliques veineux, la rubrique des mises en garde spéciales soulignant que le risque de survenue est plus élevé pendant la première année d'utilisation. 

Les recommandations à adopter en cas de survenue de signes évocateurs de thrombose auraient dû conduire le cardiologue à interrompre la prise du contraceptif.

En conséquence, la responsabilité du médecin traitant et celle du cardiologue sont engagées, puisque leur faute a fait perdre à la patiente une chance de se soustraire aux conséquences de l’accident

Le médecin traitant et le cardiologue seront donc tenus in solidum à la réparation du préjudice résultant de la perte de chance de survivre, qui peut être évaluée à 80 % compte-tenu des conclusions du rapport d’expertise. Dans leurs rapports entre eux, au vu de leurs manquements respectifs et de leur qualité, ils seront tenus à hauteur de 50 % chacun.

L’ONIAM sera tenu à réparation des préjudices à hauteur de 20 % au titre de l’accident médical non fautif justifiant la mise en jeu de la solidarité nationale, compte-tenu du décès de la victime. (…)". (voir commentaire 3.1)

Indemnisation de 119 147 € à verser aux ayants droit de la patiente dont :

  • 47 959 € pour le médecin traitant,
  • 47 959 € pour le cardiologue,
  • 23 229 € pour l’ONIAM.

Commentaires

Commentaire 1

En cas de suspicion de maladie thromboembolique veineuse, tout délai (qu’il soit inférieur ou supérieur à 72 heures) sans anticoagulation efficace, expose au risque d’embolie pulmonaire, parfois mortel(1).

Dans ce domaine, Erdmann et al(2) ont proposé une stratégie apparemment plus sécurisante :

"(…) En cas de probabilité faible ou intermédiaire de Thrombose Veineuse Profonde (TVP) des MI, le dosage des D-dimères plasmatiques est préconisé. En cas de D-dimère négatifs, ce qui est le cas d’environ 40 % des patients, une TVP peut être exclue avec une valeur prédictive négative de 95 %.

Chez les patients avec une suspicion clinique élevée de TVP le dosage des D-dimères n’est pas indiqué. Ces patients doivent être directement envoyés chez l’angiologue pour une imagerie diagnostique; dans ce dernier contexte, en fonction du risque hémorragique du patient, une anticoagulation thérapeutique peut déjà être débutée dans l’attente de l’examen écho-doppler confirmatif. (…)".

Commentaire 2 

Les recommandations actuelles concernant le traitement des Thromboses Veineuses Superficielles (TVS) sont les suivantes(3) :

"Il est recommandé de traiter les patients avec une TVS symptomatique isolée, de plus de 5 cm de longueur, située à plus de 3 cm de la jonction saphèno-fémorale (critères de Calisto), par fondaparinux 2,5 mg/j pendant 45 jours. fondaparinux (Arixtra®). Il n’existe aucune donnée disponible pour les TVS symptomatiques ne répondant pas aux critères de l’étude Calisto". 

Commentaire 3

3.1. Il est rare qu’après un accident médical, il y ait trois d’avis différents, voire opposés, pour en désigner les responsables. Dans cette observation, les experts ont conclu à un accident non fautif.

La Commission de Conciliation et d’Indemnisation a rendu un avis attribuant la responsabilité de cet accident au médecin traitant et au cardiologue (50 % pour chacun).

Enfin, le tribunal judiciaire a jugé que 80 % de la perte de chance de survivre subie par la patiente étaient la conséquence des fautes commises par le médecin traitant (pour 40 %) et le cardiologue (pour 40 %). Les 20 % restants étaient en relation avec un accident médical non fautif, indemnisable par l’ONIAM.

Les arguments donnés par les magistrats étaient les suivants :

"Dans l'hypothèse où un accident médical non fautif est à l’origine de conséquences dommageables mais où une faute commise a fait perdre à la victime une chance d'échapper à l'accident ou de se soustraire à ses conséquences, le préjudice en lien direct avec cette faute est la perte de chance d'éviter le dommage corporel advenu et non le dommage corporel lui-même, lequel demeure tout entier en lien direct avec l'accident non fautif. Par suite, un tel accident ouvre droit à réparation au titre de la solidarité nationale si ses conséquences remplissent les conditions posées au II de l'art L. 1142-1. L'indemnité due par l'ONIAM sera toutefois réduite du montant de l'indemnité mise, le cas échéant à la charge du responsable de la perte de chance, égale à une fraction du dommage corporel correspondant à l'ampleur de la chance perdue".

3.2. Cette observation est loin d’avoir abordé tous les problèmes que pose la prise en charge d’une patiente sous contraception orale, victime d’un accident thromboembolique, et dont certains attendent encore leur solution.

La preuve en est qu’après un accident thromboembolique justifiant l’arrêt du contraceptif, certaines patientes, sous anticoagulation efficace, peuvent souffrir de saignements utérins anormaux :

" (…) Les recommandations actuelles contre-indiquent l’utilisation d’une contraception orale combinée (COC) après un épisode de maladie thromboembolique veineuse (MTEV) (à distance ou durant l’anticoagulation thérapeutique).

Néanmoins, des experts proposent le maintien de la COC à la phase aiguë d’une MTEV lorsque l’anticoagulation est bien conduite (Klok et al Thromb Res 2017 ; 153 : 101-7). En effet, dans une analyse secondaire des études randomisées de phase III EINSTEIN (rivaroxaban vs warfarine pour thrombose veineuse profonde (TVP) et embolie pulmonaire (EP)), un traitement hormonal (y compris COC) n’était pas associé à un risque accru de récidive de MTEV (IC 95 % : 0,23-1,39) durant l’anticoagulation thérapeutique (Martinelli et al Blood 2016 ; 127 : 1417-25). Ceci suggère que l’efficacité très importante d’une anticoagulation annule l’effet prothrombotique induit par les hormones. Par ailleurs, nous observons régulièrement des saignements utérins anormaux à l’arrêt de la COC. Ceci est particulièrement problématique au début du traitement anticoagulant oral direct, à doses élevées dans les 1 à 3 premières semaines qui provoquent plus de saignements utérins anormaux que les antivitamines K.

En pratique, la problématique de la contraception doit être discutée activement lors de diagnostic de MTEV chez les femmes en âge de procréer. Ces dernières doivent être orientées rapidement vers une consultation spécialisée pour éviter les arrêts intempestifs de contraceptif.

En effet, une contraception efficace est importante pour éviter une grossesse après un événement thrombotique et durant l’anticoagulation, possiblement tératogène. Si une COC est poursuivie au décours du diagnostic de MTEV, elle devra impérativement être arrêtée au plus tard environ 4 à 6 semaines avant l’arrêt planifié de l’anticoagulation, bien que la prolongation de l’effet prothrombotique à l’arrêt d’une COC reste floue et soit le sujet d’une étude aux Hôpitaux Universitaires de Genève. Le choix d’une contraception non hormonale ou progestative pure (en dehors de l’acétate de médroxyprogestérone) doit être privilégié (…)" (4).

Références

(1) Sicot C. Suspicion de phlébite du membre inférieur chez un patient de 24 ans. Site La Prévention Médicale 06/09/2017
(2) Erdmann A et al. Quelle prise en charge pour une suspicion de thrombose veineuse profonde des membres inférieurs ? Revue Medicale Suisse 2015 ; 11 : 337-41
(3) Recommandations pour la prise en charge de la maladie veineuse thromboembolique chez l'adulte - Version longue. Revue des Maladies Respiratoires 2021 (avril), volume 38 supplément 1 : Pages e1-e178 
(4) Blondon M,Casini A,Fontana P,Hugon-Rodin J. Contraception et maladie thromboembolique veineuse. Rev Med Suisse 2020 ; 16 : 2383-6  

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