En 1995, chez cet homme de 34 ans, est posé par un premier gastroentérologue le diagnostic de RCUH dans une forme basse (rectum et les premiers centimètres du sigmoïde).
Du calcium lui est prescrit. Le médecin ne reverra pas le patient.
Il porte plainte au Tribunal civil, mettant en cause son généraliste et son dernier gastroentérologue.
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Ces deux expertises ont été rédigées en se replaçant à l’époque des faits contestés (soit de 2000 à 2011).
1/ La première expertise (2013, expert gastroentérologue), donne lieu à un rapport de 40 pages, se référant à une abondante bibliographie.
Au chapitre de l’information dont a pu bénéficier le patient concernant la corticothérapie en général et en particulier sur ses effets secondaires :
Parallèlement, il a introduit assez précocement un traitement immunosuppresseur, l’Imurel®, dont le but était de le sevrer de sa corticothérapie, prévenant ainsi les effets secondaires éventuels de ce traitement.
« Concernant le généraliste, nous n’avons trouvé aucun élément qui pourrait témoigner d’une information sur les risques de poursuivre une corticothérapie au long cours. Il s’agit pour la quasi-totalité des consultations de renouvellement d’ordonnance ».
« Concernant l’utilisation d’une corticothérapie locale, les lavements de Betnesol® sont plus efficaces (que d’autres topiques) mais présentent l’inconvénient de contenir comme principe actif de la béthamétasone. Ce corticoïde est largement absorbé par la muqueuse digestive (environ 50 %). Il ne s’agit donc plus d’un traitement topique mais d’une véritable corticothérapie systémique exposant aux signes d’imprégnation cortisonique après quelques semaines d’administration. Leur utilisation se doit d’être limitée dans le temps.
Le Vidal, facilement consultable, en précise les modalités d’utilisation : Traitement de la poussée : un lavement par jour. La durée moyenne d’une cure est de 15 à 20 jours. Traitement d’entretien : 4 à 6 lavements par mois.
L’expert fait un long développement sur les effets osseux délétères de la corticothérapie sur l’os et sur les recommandations, à l’époque des faits, se référant à la prévention et du traitement de l’ostéoporose.
« ....... La perte osseuse est maximale au cours des six premiers mois de traitement. Ce déséquilibre est accentué par la carence en vitamine D et en calcium, carence fortement aggravée par la corticothérapie. La perte nette de la masse osseuse augmente le risque ostéoporotique tel qu’il est évalué par l’ostéodensitométrie. L’augmentation du risque de fracture est liée à une diminution de la densité osseuse confirmée par de nombreuses études. Parallèlement, la perte de la masse musculaire induite par les corticoïdes provoque un affaiblissement des haubans musculaires dont le tonus est essentiel pour maintenir la stabilité de la colonne vertébrale et des articulations. Tous les auteurs s’accordent à dire que le risque fracturaire associé à la prise de corticoïdes est dosé et de durée dépendante. Si le risque est certain à partir de 5 mg/j d’équivalent prednisone pour une durée supérieure à trois mois, il semble moins défini pour des doses inférieures.
...... S’il existe, sans aucun doute, une corrélation claire entre le risque, la dose de corticoïdes et la durée d’administration, il n’y a pas de dosage dépourvu d’effets délétères au niveau de l’os et les faibles doses, entre 5 et 7,5 mg, ne peuvent être considérées comme anodines dès lors que la prescription dépasse trois mois.
D’après l’Affaps en 2003, si la supplémentation vitamino-calcique a une justification physiopathologique, il n’existe pas de preuve du bénéfice de ces molécules dans la prévention de l’ostéoporose lors de la mise en route d’une corticothérapie et l’on ne dispose pas de preuve d’effet densitométrique fémoral ni de l’effet anti-fracturaire de ces traitements dans l’ostéoporose cortisonique. Concernant l’association MICI et ostéoporose, Il insiste également sur l’augmentation de la prévalence de l’ostéoporose au cours des maladies inflammatoires chroniques de l‘intestin qui est bien documentée : 50 à 60 % pour l’ostéopénie, 20 à 30 % pour l’ostéoporose. Il est difficile de faire la part du rôle de la MICI et celle de la corticothérapie, tellement ces deux facteurs sont étroitement liés. Plusieurs résumés d’articles sont cités à l’appui de ces conclusions.
Au chapitre de l’état antérieur à la prise en charge par ces 2 médecins, il s’étonne des résultats de la première ostéodensitométrie en 2000 qui témoigne, chez un patient âgé de 39 ans seulement, de scores d’ostéoporose déjà sévères, notamment au niveau du rachis dorso-lombaire, et que deux traitements par corticoïdes par voie générale de moins de trois mois ne suffisent pas à expliquer.
Les soins délivrés par le généraliste avec le renouvellement quasi-systématiques de prescriptions de lavement de Betnesol® sur plus de huit ans ne peuvent être considérées comme conformes aux données acquises de la science. L’on ne peut que regretter qu’il n’ait pas fait appel à des tiers compétents tant sur le plan digestif que sur le plan rhumatologique ».
Au total, la responsabilité du généraliste est engagée à hauteur de 30 %, en tenant compte :
Les soins délivrés par le spécialiste sont jugés conformes.
2/ Ce rapport contesté a fait l’objet d’une contre-expertise décidée par la Cour d’appel en 2016. Les plaignants s’appuient notamment sur le fait que le premier expert n’a pas consenti à s’adjoindre un sapiteur rhumatologue et réclament l’indemnisation du préjudice économique lié à la cessation de l’entreprise du patient ainsi qu’une majoration de l’évaluation de divers préjudices physiques.
3/ La deuxième expertise (2016), (experts gastroentérologue et rhumatologue) est aussi longue et assortie d’autres documents bibliographiques.
Les experts comptabilisent les 260 boites de Betnesol® prescrites en 8 ans ainsi que les doses de Solupred® orales (2011) pour sa sciatique (uniquement due en fait à des tassements vertébraux) équivalentes à une dose quotidienne de 40 mg pendant trois mois.
L’ostéoporose cortisonique en 2000 (en l’absence d’autre cause connue) s’est progressivement aggravée. En 2011 le patient est à l’évidence atteint d’un syndrome de Cushing et présente pas moins de 11 fractures vertébrales.
« Un traitement par vitamine D, calcium et biphosphonates, prescrit dès 2000 aurait sans doute permis d’éviter les fractures vertébrales, surtout si la corticothérapie avait été distribuée moins généreusement, ce qui était possible avec la prescription d’anti TNF (Humira®) dont l’AMM date de 2007. C’est l’absence de ces mesures thérapeutiques qui a conduit à la dégradation brutale de son état en 2011 ».
« Le gastroentérologue n’a pas conseillé de traitement ni de surveillance adaptée de l’ostéoporose de son patient, ni informé son patient qu’une corticothérapie prolongée pourrait provoquer des fractures ostéoporotiques, ni conseillé à son patient de prendre l’avis d’un rhumatologue. Par son attitude non offensive, il a contribué à la pérennité du traitement corticoïde ».
Au MG, ils reprochent « l’absence d’information du patient sur les risques de la RCUH (dysplasie, cancer...) et de l’ostéoporose, l’absence d’avis spécialisé pendant 8 ans, aucun avis rhumatologique. Eut-il été jugé non indispensable, encore aurait-il fallu qu’il sache à la fois mettre en route un traitement adapté de l’ostéoporose et se montrer plus mesuré dans ses prescriptions, au besoin en sachant résister aux demandes de son patient. Les observations médicales sont réduites à « renouvellement du traitement » sans bilan clinique, sans suivi de l’ostéoporose. « Renouvellement sans jamais de remise en question. Doses considérables de corticoïdes ».
Les experts ont pris en compte la personnalité du patient :
« Une information est donnée par le rapport d'hospitalisation qui souligne la dépendance psychologique et physique du patient pour que soient renouvelés les traitements corticoïdes seuls à même de le soulager ».
Les déclarations du MG vont dans ce sens et la personnalité du patient, homme actif, pris par un travail physique, ses responsabilités de chef d’entreprise, de surcroît confronté à des difficultés de couple comme il l'a signalé lors de la réunion laissent à penser que les démarches auprès de spécialistes, les changements thérapeutiques alors qu'il est soulagé par un traitement pourvu qu'il soit pris presque en permanence vont dans ce sens. Pourtant, le médecin doit-il s'incliner devant la volonté de son patient alors qu'un traitement lui fait courir des risques ? Certainement non. Le médecin doit dans un premier temps mettre en garde, dans un deuxième temps refuser la poursuite d'un traitement susceptible d'être dangereux. Par ailleurs, les explications pouvaient parfaitement être comprises par cet homme responsable et intelligent, parfaitement à même si on lui fournit les explications d'accepter une réévaluation de sa pathologie et des traitements par l'intermédiaire de consultations spécialisées. Les tentatives en ce sens n'ont pas été faites et si elles l'avaient été, il aurait été impératif de noter dans le dossier les explications fournies et le refus de prescription ».
La part de responsabilité du MG est estimée à 80%, celle du spécialiste à 20 %.
Le jugement est en attente.
Références :Conseil de pratique, INDICATIONS ET SUIVI DES CORTICOIDES ; Société Nationale Française de Gastro Entérologie. 2014. Rédacteur Catherine Reenaer ; Relecteur Guillaume Savoye (GETAID), Alexandre Aubourg (GETAID), Patrick Faure(CREGG).