Erreur médicamenteuse au bloc opératoire

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Erreur médicamenteuse au bloc opératoire

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  • anesthésiant

Un patient est admis au bloc pour une opération de hernie inguinale. Au cours de l’induction anesthésique, l’équipe soignante constate une perte de connaissance associée à une apnée, liée à un surdosage de l’analgésique. Cette erreur médicamenteuse majeure entraînera pour le patient une hospitalisation complète au lieu d’une prise en charge en ambulatoire.

Auteur : Bruno FRATTINI, Cadre Supérieur de Santé IADE – Expert en prévention des risques / MAJ : 03/03/2021

Anamnèse

Mr P, âgé de 57 ans, est adressé par son médecin traitant à un chirurgien digestif pour suspicion de hernie inguinale du côté droit. L’examen clinique du praticien confirme la nécessité d’un traitement chirurgical. Le malade accepte d’être opéré. La consultation d’anesthésie ne relève aucune contre-indication à la réalisation d’une anesthésie générale, protocole retenu par le patient.

Le jour J, le malade est accueilli au bloc opératoire, bénéficie de l’entretien pré-opératoire pour détecter les non-conformités dans la préparation du futur opéré, et est installé en salle d’opération une fois toutes les vérifications d’usage réalisées.

L’induction débute. Le MAR administre 15 mcg de sufentanyl. L’hyper oxygénation est débutée. Le patient perd connaissance rapidement et est complètement aréactif. L’IADE ventile le patient, puis l’intube. Les constantes restent stables, hormis une bradycardie à 45 battements par minute. L’équipe d’anesthésie essaie de trouver une explication à cette perte de connaissance avec une apnée associée.

L’IADE reprend toutes les seringues des médicaments d’anesthésie injectés et se rend compte que le MAR a injecté la seringue de sufentanyl non diluée alors que la concentration du médicament était bien précisée.

Dans l’armoire des stupéfiants, il n’y a plus d’ampoules de sufentanyl 50 mcg/10 ml. L’IADE a donc pris une ampoule de sufentanyl de 250 mcg/5 ml, soit 50 mcg/ml au lieu d’une concentration de 5 mcg/ml habituellement.

Il a préparé 1 seule seringue de 5 ml de sufentanyl à 5 mcg/ml et laissé la seringue de sufentanyl 50 mcg/ml dans le plateau (contenant 4 ml du principe actif).

Habituellement, les ampoules de 10 ml sont divisées en 2, et le produit est pompé dans 2 seringues de 5 ml. Cette pratique est habituelle pour les équipes d’anesthésie.

Le patient a donc reçu 10 fois la dose de sufentanyl, ce qui explique parfaitement la perte de connaissance rapide et l’apnée.

En raison d’une rupture de stock d’ampoules de 50 mcg/10 ml, la pharmacie a mis à disposition du bloc opératoire temporairement une dotation d’ampoules de 250 mcg/5 ml en dépannage.

Le patient pourra bénéficier de l’intervention chirurgicale prévue. Par contre, son passage en Salle de Surveillance Post-Interventionnelle (SSPI) sera beaucoup plus long qu’à l’habitude.

Les suites : le patient a dû bénéficier d’une hospitalisation complète au lieu d’une prise en charge en ambulatoire. Il a bénéficié de l’information adéquate pour comprendre les raisons de la prolongation de son hospitalisation. Il a compris la genèse de l’erreur dont il a été victime. Il exprime une inquiétude a posteriori en disant qu’il n’est pas anodin de bénéficier d’une intervention chirurgicale.

Le patient a formulé son mécontentement car il exerce une profession libérale et il précise qu’il avait un rendez-vous important programmé en début de matinée le lendemain.

Conséquences de cette erreur de dosage

Cette erreur médicamenteuse a eu comme conséquences :

  • Une prolongation de la surveillance en secteur réveil, générant des difficultés de gestion de places dans ce secteur en surtension pour cette journée opératoire très dense.
  • L’obligation de trouver un lit en secteur d’hospitalisation complète (transformation du parcours ambulatoire en séjour une nuit) dans un contexte compliqué de disponibilité des lits (obligation de trouver une place en transférant un patient en service de rééducation un jour plus tôt).
  • Une réclamation du patient pour bénéficier d’une indemnisation pour préjudice financier dans le cadre de son exercice libéral.

Analyse des causes

L’exploitation de la fiche de déclaration d’événement indésirable par le groupe de professionnels chargé de la veille a retenu leur attention : cette erreur médicamenteuse (EM) et ses conséquences interpellent les professionnels de santé du Comité Qualité et Gestion des Risques qui souhaitent connaitre les raisons qui ont conduit à cet incident, les comprendre et trouver éventuellement des actions correctrices à mettre en place.

Une analyse de risque a postériori est donc réalisée par le gestionnaire de risques de l’établissement et le pharmacien.

La méthode REMED, proposée par la Société Française de Pharmacie Clinique (SFPC), recommandée par la Haute Autorité de Santé, est retenue.

Cette méthode est décrite dans le classeur REMED mis à disposition sur le site de la SFPC.

Pour cette analyse, les outils suivants ont été choisis :

  • La liste des questions proposées pour faciliter le recueil des informations concernant l’incident/accident.
  • Les éléments signifiants pour caractériser l’EM.
  • La liste des 250 causes ou facteurs contributifs à la survenue de l’EM.
  • Le plan d’actions d’améliorations, document qui doit nous permettre de structurer l’action, mais également de jalonner son suivi.
  • Le compte-rendu synthétique pour chaque analyse d’EM qui, une fois rédigé, permettra d’alimenter la longue liste des éléments de preuve en vue de la future certification.

La liste des questions a permis de résumer les faits relatés ci-dessus.

Caractérisation de l’EM

  • Catégorie du produit de santé : morphinique
  • Libellé du produit 1 : sufentanyl
  • Nature de l’erreur : erreur dosage
  • Niveau de réalisation : erreur avérée/identifiée
  • Gravité constatée de l’EM : majeure
  • EM porteuse de risque : oui
  • Étape initiale de survenue : administration du principe actif

Diagnostic des causes

8 domaines de facteurs contributifs :

M = produits de santé – P = patient – PS = professionnel de santé – PP = pratiques et procédures opérationnelles – E = équipe – CT = environnement de travail – O = organisation et management – I = institution

Les facteurs contributifs retenus et leurs justifications :

  • M : Utilisation inappropriée, inadaptée, absente : seringue présente dans le plateau de drogues anesthésiques sans dilution effectuée pour obtenir la concentration du principe actif habituel.
  • P : Exposition au risque de "never event" : utilisation systématique et pluriquotidienne de médicaments identifiés à risque pour la pratique de l’anesthésie.
  • S : Erreur de calcul : relative à la dose, à la concentration
    Pas de calcul du tout… utilisation d’une seringue présente dans le plateau de drogue sans lecture de l’étiquette de la seringue. Choix réalisé uniquement sur la taille de la seringue (5 ml) et la couleur de l’étiquette (bleue).
  • S : Fatigue, manque de sommeil
    L’IADE sortait l’avant-veille d’une garde de nuit reprise au pied levé pour palier à une absence pour maladie. L’alternance de rythme jour-nuit génère un état de fatigue et donc une baisse de vigilance.
  • PP : Indisponibilité des produits de santé
    Problème d’approvisionnement : pharmacie en rupture de stock de la forme galénique habituelle.
  • PP : Erreur de préparation extemporanée du médicament
    Pas vraiment une erreur. Le MAR explique qu’habituellement, il n’y a que des seringues de Sufenta® dosées à 5 mcg/ml à disposition.
  • I : Pression de production
    Pour cette journée opératoire, le programme était très dense, et chacun se pressait pour éviter des pertes de temps. L’IADE n’a pas pris le temps de diluer le reste du sufentanyl à 50 mcg/ml ou de sortir la seringue contenant le médicament.
  • I : Retour d’expérience non partagé : sujet non abordé en réunion de service, ni par voie d’affichage. Quelques partages entre collègues, mais pas de manière organisée pour une diffusion la plus large possible afin de sensibiliser.

Enseignements et actions retenues

  • Éviter de modifier les dotations de manière unilatérale (pharmacie) : le changement des habitudes de travail peut être à l’origine des erreurs graves.
  • Prendre en compte les rythmes de travail dans l’affectation des ressources humaines : positionner les personnels fatigués sur des programmes moins denses.
  • Sensibilisation des professionnels sur la lecture des étiquettes des seringues : rappeler les fondamentaux lors de l’administration des médicaments d’anesthésie. La démocratisation des étiquettes sur les seringues avec des codes couleur ne doit pas être le motif d’un non-respect des règles de sécurité élémentaires.
  • Diviser les seringues dans 2 plateaux de drogues différents : 1 premier plateau qui contiendra les seringues de l’anesthésie en cours, et uniquement les drogues d’anesthésie pour minimiser le nombre de seringues (abaissement du seuil de risque d’erreur) et 1 second plateau pour les drogues d’urgences et les drogues en réserve.
  • Prendre le temps d’uniformiser les concentrations d’un même médicament lors de la préparation des drogues d’anesthésie le matin.

Le niveau de gravité retenu pour cette EM est celui de majeure.

N’ayant pas atteint le niveau critique ou catastrophique, les actions d’amélioration seront organisées à la suite du COPIL.

En conclusion

Cette erreur de dosage fait partie des incidents rencontrés parfois en secteur d’anesthésie, mais très souvent atténués par une organisation rigoureuse pour la prise en charge des urgences vitales.

La prise de conscience par les soignants que ce type d’événements pouvant survenir doit générer plus de vigilance pour diminuer leur fréquence.

Une réflexion collective doit permettre de convenir d’une conduite à tenir connue de tous pour ne pas générer d’erreurs évitables.