Erreur médicamenteuse en secteur naissances

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Erreur médicamenteuse en secteur naissances

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  • Une femme hospitalisée

Une jeune femme, victime d'une erreur médicamenteuse en secteur naissances est hospitalisée en soins intensifs. L'analyse de cet événement indésirable grave (EIG) montre qu'avec des moyens simples et peu onéreux, un accident peut être évité…

Auteur : Bruno FRATTINI – Cadre Supérieur de Santé IADE – Expert en prévention des risques - MACSF / MAJ : 30/06/2021

Anamnèse

Mme M. est admise en maternité pour bénéficier d’une césarienne programmée. Cette jeune parturiente de 28 ans, est suivie par son obstétricien. Dans ses antécédents obstétricaux, on note une première grossesse sans particularité, hormis un accouchement par césarienne pour stagnation du travail à 9 cm sans engagement du fœtus dans la filière génitale. Un petit garçon naît en parfaite santé, sous le signe du verseau.

Lors du suivi de cette seconde grossesse, au contrôle du 9e mois, l’examen clinique montre une hauteur utérine plus importante que la normale. Après discussion avec la parturiente, et au vu des circonstances de l’accouchement du premier enfant, il propose la réalisation d’une pelvimétrie par IRM.

Il revoit donc Mme M. quelques jours plus tard, dans les suites de son IRM, et cette pelvimétrie montre un indice de Magnin calculé entre 20 et 21. Il réalise alors une échographie fœtale pour mesurer le diamètre bipariétal du fœtus et trouve un chiffre supérieur à 105 mm. Devant tous ces éléments, il discute avec la parturiente des alternatives envisageables au vu du contexte, à savoir épreuve du travail avec une probabilité importante d’avoir recours néanmoins à la chirurgie pour l’extraction fœtale et césarienne programmée.

La parturiente retient la seconde solution : une césarienne programmée. Celle-ci est programmée à 39 semaines d’aménorrhée (SA).

La consultation d’anesthésie ne relève pas de contre-indication à la réalisation d’une anesthésie loco-régionale. On note néanmoins une allergie à la pénicilline, et surtout un malaise vagal lors de la pose de la péridurale analgésique lors de l’accouchement du premier enfant.

Il est retenu une péri-rachi combinée (PRC).

Le jour J, la patiente arrive en secteur maternité où elle est prise en charge directement en service suite de couches, et préparée pour descendre au bloc opératoire.

A son arrivée en zone opératoire, elle bénéficie de la pose d’une voie veineuse périphérique, la sage-femme de secteur naissance vient réaliser un enregistrement du rythme cardiaque fœtal (RCF) qui ne présente aucune anomalie en zone d’accueil.

La patiente est alors installée en salle d’opération, en position assisse pour réaliser la RPC. Après consultation du dossier d’anesthésie, le médecin anesthésiste réanimateur (MAR), habillé en condition stérile (casque et gants) demande à la sage-femme présente de procéder à l’injection de 1 mg d’Atropine prophylactique en vue de pallier un malaise vagal potentiel. L’infirmier anesthésiste diplômé d’État (IADE) est quant à lui occupé à faire prendre la bonne position à la parturiente pour une pose plus aisée de la PRC.

Quelques secondes après l’injection, la patiente, qui avait été monitorée au préalable, décrit un malaise avec oppression thoracique, une dyspnée et une tachycardie est objectivée sur l’écran du moniteur (chiffres de la fréquence cardiaque similaire entre le tracé électrocardiographie et la saturation en oxygène).

La situation clinique le permettant, le MAR termine la pose de la PRC sans difficulté, avec injection intrathécale d’un mélange de Bupivacaïne® et de Sufenta®, et la montée facile d’un cathéter dans l’espace péridural. Le pansement est réalisé, et la patiente est installée en décubitus dorsal avec latéralisation gauche.

Le MAR demande à la sage-femme de refaire un enregistrement du RCF, qui montre une bradycardie fœtale, avec des chiffres tensionnels maternels légèrement au-dessus de ceux pris avec la pose de la PRC. Profil hémodynamique stable ultérieur, le co-remplissage au Ringer Lactate® et Éphédrine® ayant par ailleurs été ralenti au vu de ces éléments hémodynamiques satisfaisants, mais on note une tachycardie à 140 bpm.

La césarienne est réalisée très rapidement au vu du contexte fœtal, sans aucune difficulté, et le nouveau-né naît 6 minutes après l’incision, 11 minutes après l’installation de la PRC. Une petite Scorpion présentera un score d’Apgar à 10 dès la première minute.

A la fin de l’intervention, la patiente est installée en salle de surveillance post-interventionnelle (SSPI) : la patiente continue à signaler une pesanteur retro sternale, une sensation de vertiges, des troubles visuels, une tension artérielle normale et une tachycardie à 120 bpm. L’examen neurologique est par ailleurs sans particularité.

Les traitements antalgiques sont initiés et la surveillance habituelle du post-partum également (saignements et qualité du globe utérin).

La patiente continue à décrire les mêmes symptômes. Le MAR demande alors un dosage de troponine, qui sera communiqué 90 mn plus tard lors d’une alerte téléphonique du médecin biologiste avec une valeur de 3854 ng/L.

Au vu de ce nouvel élément, on suspecte alors une erreur d’administration lors de l’injection de l’Atropine®. L’IADE recherche dans la boîte à ampoules et retrouve 2 ampoules vides d’Adrénaline® 1 mg.

La patiente est transférée dans un service de soins intensifs cardiologique d’un autre établissement. Son hospitalisation durera 8 jours. Au cours de son séjour, les explorations cliniques et paracliniques concluent :

Sur le plan cardiologique :

  • A l'entrée, une dysfonction sévère du Ventricule Gauche (VG) avec une Fraction Éjection VG (FEVG) à 20 %, et une dysfonction du Ventricule Droit (VD) avec troubles de la cinétique – pic de troponine à 5643 ng/L.
  • L'évolution est favorable avec récupération d’une bonne fonction du VD et une FEVG de sortie à 50 %.
  • Une IRM cardiaque est en faveur d’un syndrome de Tako-Tsuko. Pas de nécrose ni de lésion ischémique.

Sur le plan neurologique :

  • Devant la persistance des céphalées avec troubles visuels, une IRM cérébrale est réalisée ne met pas en évidence de lésion ischémique ou hémorragique. L’examen neurologique ne retrouve pas d’argument pour un PRES syndrome.

Sur le plan gynécologique :

  • L'examen gynécologique reste rassurant avec une bonne cicatrisation de la paroi abdominale et l’absence de saignements pathologiques.

En résumé, une évolution somme toute favorable.

Conséquences

Cette erreur médicamenteuse, classée dans les événements indésirables graves (EIG), aura eu comme conséquences :

  • Une hospitalisation en secteur de soins intensifs cardiologiques non programmée et surtout dans un autre établissement, ce qui a généré également un transport sanitaire spécialisé.
  • Cette hospitalisation en USIC l’aura séparée de son enfant pendant plusieurs jours, le temps d’organiser un transfert du nouveau-né dans le même établissement que sa maman (où se trouvait une maternité) et qui a pu être pris en charge par l’Unité Kangourou de manière exceptionnelle (visite 2 fois par jour dès que son état de santé s’est amélioré).
  • Gérer une communication délicate avec ce couple, et notamment le mari qui est médecin…
  • Gérer une réclamation de la famille demandant une analyse de cet événement indésirable avant un entretien avec le médiateur médical.
  • Gérer une plainte qui a été adressée à l’établissement en vue d’une indemnisation potentielle.

Méthodologie et analyse

Cette erreur médicamenteuse a été très difficile à gérer par les professionnels de santé impactés par cet accident. De plus, l’annonce de cet événement indésirable au sein de l’équipe a généré de nombreuses réactions. Certain(e)s professionnel(le)s ont pris conscience que cela aurait pu les impacter de la même façon.

Devant les réactions de l’ensemble des professionnels de santé de cette unité, la responsable d’unité et le MAR sollicitent une analyse approfondie du contexte ayant permis cette erreur.

L’objectif de ce retour d’expérience est de comprendre le mécanisme de cet événement et d’éviter de renouveler ce type d’incident dans l’avenir.

Une analyse de risque a posteriori est donc réalisée.

Dans cette analyse, seuls les éléments contributifs à la recherche des causes conduisant à cette erreur sont recherchés. La méthode ALARM est retenue.

Les données analysées proviennent des éléments recueillis au préalable auprès des professionnels de santé qui sont intervenus dans la prise en charge de ce patient : recueil réalisé lors d’entretiens individuels, analyse de documents, lecture du dossier.

Cause immédiate

Erreur de produit. C’est le résultat du dosage de la troponine qui a permis d’orienter l’identification de l’erreur médicamenteuse et sa cause.

Causes profondes

 

Les conséquences de cet Événement Indésirable Grave (EIG) pour la patiente ont été médicalement conséquentes à court terme :

  • une erreur médicamenteuse qui a potentiellement mis en jeu un pronostic vital,
  • une prise en charge en unités de soins intensifs cardiologiques non programmées,
  • une hospitalisation de 8 jours en soins intensifs,
  • et, finalement, un bilan modéré.

Partant de ce constat, il est important de mettre en évidence les barrières de défenses qui ont été déficientes. 

Barrière qui a détecté l'incident

  • Atténuation : c'est le dosage de troponine qui a permis de mettre en évidence cette erreur médicamenteuse.

Barrières qui n'ont pas fonctionné et qui ont permis l'incident

  • Prévention : pas de formulation d'une prescription orale claire et conforme (patient > ok ; médicament > ok ; voie d'administration > ok ; dose > non conforme ; moment > ok).
  • Prévention : pas de vérification des ampoules sélectionnées dans le chariot d'anesthésie (ultime barrière en principe robuste).
  • Prévention : soin confié à une professionnelle qui n'est pas une experte dans le maniement des drogues d'anesthésie.
  • Prévention : rangement des médicaments dans le chariot d'anesthésie non conforme.
  • Prévention : contenants de principes actifs similaires > pas de détrompeur installé...

Les pistes de réflexion et/ou d'amélioration

Rappel des bonnes pratiques sur les points de contrôles à réaliser tout au long d’une préparation médicamenteuse administrée par voie parentérale. Les recommandations de bonnes pratiques préconisées par la Haute Autorité de Santé doivent être rappelées à l’ensemble des professionnels, du prescripteur à la personne qui va administrer le traitement.

Rappels sur les règles de reconditionnement des chariots de soins de manière générale pour alerter sur le risque d’erreur de répartition des médicaments dans les casiers attribués aux différents médicaments : rigueur, absence d’interruption de tâche, ambiance de travail calme…

Revoir les contenants similaires dans les chariots de soins : plusieurs pistes évoquées :

  • voir avec les fournisseurs pour trouver des principes actifs avec des contenants différents ;
  • Ou mettre des détrompeurs dans les chariots de soins pour ne pas confondre les ampoules : mettre les ampoules d’Adrénaline® dans des pots à ECBU fermés et étiquetés par exemple ;
  • Ou acquérir des seringues pré-remplies d’Atropine® en blister individuel (problème de stockage dans les chariots d’anesthésie néanmoins).

Rappels sur les actes délégués ou prescrits : choix du professionnel choisi pour ne pas le mettre en difficulté notamment = prendre en compte le périmètre de compétences et des soins habituellement réalisés quotidiennement. Pratiquer la délégation contrôlée.

Conclusion

La sécurité médicamenteuse est une thématique importante de la sécurité des soins.

Les erreurs sont nombreuses et chaque professionnel doit comprendre qu’il peut en être à l’origine.

Les conséquences peuvent être graves, voire irrécupérables, et après le patient, le soignant devient de fait la seconde victime de ces événements indésirables graves.