Vieillissement et mobilité

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Les contre-vérités d’une médecine trop restrictive et prudentielle qui voudrait - pour leur bien et celui des tiers- empêcher nos anciens de conduire et de se déplacer.

  • Médecin
Auteur : Pr. René AMALBERTI / MAJ : 19/04/2016

Vieillir dans nos sociétés est une chance avant d’être un risque. Nous avons changé les codes de la société en faisant massivement progresser la durée de vie de la population. Nous sommes plus riches (même si la notion est toujours relative), infiniment plus protégés des agressions de la misère (froid, nourriture avariée, saleté, promiscuité),  nous avons obtenu des durées de survie de plusieurs décennies pour des maladies aigues qui nous emportaient  en deux à trois ans il y  encore 20 ans (sida, infarctus, AVC, cancers, insuffisances graves cardiaques et pulmonaires), nous vivons mieux grâce une médecine de réhabilitation qui nous maintient en autonomie jusqu’à des âges très avancés (prothèses de tous ordres, sensorielles et physiques).

Même en reculant l’âge de départ à la retraite, et par le fait la définition de l’entrée dans la vieillesse, notre durée de vie dans cette tranche de vie va dépasser tout ce que l’on a connu jusqu’à présent, sans doute en moyenne près de 25 ans en 2050 et représenter plus de 20% de la population.

Aucune société ne peut imaginer médicaliser et institutionnaliser une telle frange de sa population. Seule une autonomie préservée jusqu’à l’extrême limite de la vie sera financièrement et socialement acceptable.

La mobilité préservée est un aspect essentiel de cette autonomie préservée, mais elle ne sera pas facile à organiser. La France n’a pas investi encore cette autonomie au juste niveau. Les infrastructures et les solutions pratiques manquent. Les bus sont rares en milieu rural, l’information difficile à rechercher, et souvent sans accès facile pour des personnes à mobilité réduite ; les transports des villes sont surchargés d’actifs qui rejettent la lenteur de la vieillesse, les ruptures de transports entre modes sont une plaie béante dans l’accès pour ces personnes moins alertes.

Et bien sûr, l’autonomie et la mobilité conservée dans les transports collectifs et dans la conduite se heurtent au vieillissement naturel des capacités cognitives.

L’association des usagers de la route anglais (IAM) avance en 2014 le chiffre de 800,000 personnes souffrant actuellement de démence au Royaume Uni, dont 17,000 âgées de moins de 65 ans. Appliquées à la population française, ces proportions donnent comme au Royaume Uni 860 000 personnes souffrant aujourd’hui de démences de type Alzheimer. Le nombre de malades devrait atteindre deux millions en France en 2020.

Le sujet n’est pas neuf. Dans un numéro de juillet 2004 de La Revue canadienne de psychiatrie, les Canadiens annonçaient quelque 34 000 conducteurs en Ontario souffrant de démence. Compte tenu du nombre grandissant de conducteurs âgés, on prévoyait que ce nombre passerait à près de 100 000 d’ici 2028.

L’estimation de prévalence la plus souvent avancée de la maladie d’Alzheimer est de 0,5 % avant 65 ans, 2 à 4 % après. Mais elle augmente fortement avec l’âge, pour atteindre 15 % à 80 ans.

On sait que les conducteurs atteints de démence importante courent statistiquement entre deux et cinq fois plus de risques d’être impliqués dans une collision par rapport aux conducteurs qui ne sont pas atteints de cette maladie. Les collisions aux intersections sont très courantes chez ces personnes.

Mais beaucoup de ces déments seront capables de conduire de façon relativement sure dans les premières phases d’évolution de la maladie, bien après qu’elle soit diagnostiquée (puisque le diagnostic sera de plus en plus précoce). Porter le diagnostic précoce de démence n’ira donc pas, loin s’en faut, avec une interdiction immédiate et simple de conduire ; ce serait une attitude médicale contre-productive, qui résulterait dans un préjudice majeur imposé au patient sans bénéfice pour la société.

Le problème sera de trouver le bon temps / bon critère pour indiquer quand cette conduite devient un risque pour le patient et les autres usagers ; une question évidemment importante compte tenu du nombre de conducteurs concerné.

Dans le fond, et c’est un message d’espoir, tout a longtemps été fait en sécurité routière pour réduire le danger. La solution la plus facile revient à interdire, restreindre les aptitudes, ne pas conseiller de se déplacer dans des conditions difficiles.

Ces solutions faciles ne sont pas bonnes.

On confond souvent dans nos priorités l’objectif de sauver un potentiel d’une centaine de vies causées par des accidents évitables, avec celui de sauver des centaines de milliers de vie écourtés et gâchés par une vieillesse mal gérée par la société. C’est ce dernier objectif qui doit nous éclairer dans nos choix stratégiques de mobilité.

Paradoxalement, c’est en préservant au maximum l’autonomie, la mobilité et la conduite que l’on a gagnera ce bien vivre et ces milliers de vie épargnées de demain. Bien sûr, il faudra évaluer, et il faudra aider: aider la conduite, sûrement penser des véhicules adaptés, aider le déplacement, recréer une ville propice à cette vie citoyenne préservée avec des espaces et des lieux de vie publics, encourager à sortir et à parler, et certes ponctuellement sécuriser les moyens pour préserver les autres usagers des insuffisances physiques et cognitives accumulées avec l’âge.

Un immense avenir pour la recherche se dessine avec ces besoins : recherche sur l’approche globale de la sécurité, sur l’adaptation des outils de mobilité (parc automobile et transport en commun, intermodalité sans coutures, informations réellement accessibles à tous), sur le vieillissement cognitif et physique et la préservation de l’autonomie de mobilité, et sur les modèles de sécurité spécifiques à développer.

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