Gérer la pénurie d’effectifs et de moyens par une meilleure logique d’engagement collectif

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Gérer la pénurie d’effectifs et de moyens par une meilleure logique d’engagement collectif

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  • Une médecin senior apporte des explications à des étudiants en médecine - La Prévention Médicale

L’amélioration de la qualité en médecine se heurte souvent au besoin de l’institution de soigner plus de volumes de patients pour satisfaire la demande médicale, et cette situation s’est encore aggravée avec les problèmes de déficit chroniques en ressources humaines (et parfois techniques). Pour autant, il faut être pragmatique et apprendre à faire avec cette situation pour éviter - ou tout au moins réduire - les événements indésirables (EI). À ce titre, apprendre de l’expérience indienne, placée en situation extrême de contraintes, peut offrir des pistes concrètes pour renforcer une logique d’engagement collectif.

Auteur : Professeur René AMALBERTI – Docteur en psychologie des processus cognitifs, ancien conseiller HAS / MAJ : 11/06/2025

Comment faire, et comment faire mieux pour les territoires et secteurs hospitaliers les plus déshérités ?

La question peut faire sourire, mais ce qui était une situation d’exception dans les pays riches devient une situation de tous les jours. Seul le degré de carence des moyens diffère, mais les solutions pourraient bien être les mêmes. Toute une littérature est en train de s’installer pour "vivre avec" ces carences au quotidien, sans préjudice ou avec le minimum de préjudices pour les patients.

Cette littérature revient de plus en plus souvent dans les colonnes de revues de presse de La Prévention Médicale, décrivant les conditions dégradées et les ajustements imaginés par les équipes pour faire face. Le thème a même nourri, en partie, le récent congrès de l’association.

Un éditorial et un article nous donnent quelques pistes qui viennent de pays encore plus durement touchés que nous. Leur proposition de solutions fait déjà sens dans beaucoup de nos établissements de santé.

Les auteurs, Indien et Pakistanais (Roy & Nattif, 2025), nous mettent au cœur d’une situation de pénurie et de tension médicale des plus aiguës dans le monde. Ils donnent leur vision en réaction d’un article paru dans le même journal sur la Qualité de pratique des accouchements par césariennes au Bihar, une des régions les plus pauvres d’Inde (et du monde), avec un taux de natalité très important supérieur à 1000/mois, et surtout un taux paradoxalement dramatiquement bas de césarienne en rapport du reste du monde, inférieur à 3% qui ne fait que souligner la difficulté d’accès de la population à des professionnels (Mehndiratta, et al 2025).

Une intervention basée sur le coaching de pairs de l’hôpital

L’intervention décrite dans cette étude indienne est de type Avant (10 mois) / Après (16 mois de suivi actif puis un contrôle encore 10 mois après). Elle repose sur :

  • la mise en place de workshops et de sessions d’apprentissage de leaders hospitaliers étalées sur une durée de 1 an ;
  • couplés à un programme de coaching ;
  • en créant une mini communauté médicale impliquée et engagée dans chaque secteur hospitalier reposant sur une équipe de "champions" médecins, infirmiers, obstétriciens, sages-femmes et administrateurs de l’hôpital pour aider et motiver les équipes de terrain. Cette équipe de "leaders" - "champions" devient ainsi comptable de la performance des césariennes en motivant chaque jour l’engagement des autres acteurs de terrain sur leur pratique, en facilitant la mise en place de solutions locales d’amélioration et en suivant les progrès au jour le jour.
     

Les résultats montrent un effet positif avec une multiplication par 3 du taux de césariennes, ce qui est bien, mais reste encore loin des standards recommandés en regard du très bas niveau de départ. 

La leçon principale de cette étude reste qu’il ne faut pas juste regarder l’accès à l’hôpital, mais qu’il faut - peut être encore plus - regarder l’accès aux soins de qualité dans l’hôpital, notamment l’accès à la compétence.

Le fait de créer une dynamique de communauté médicale, d’engager les acteurs locaux et de les coacher avec des champions réellement présents sur le terrain, de les informer aussi en permanence par un suivi réflexif de leur performance, représente des facteurs prouvés d’amélioration. Ce simple retour d’information sur le comptage de césariennes peut être d’ailleurs complété avantageusement par un retour réflexif, quasi individualisé vers les équipes, sur leurs écarts les plus évidents aux recommandations, et leur suivi du taux de complications.

L’étude montre aussi le bénéfice à associer toutes les structures privées et publiques dans une logique de territoire, sans oublier l’implication de l’état en grande partie responsable des moyens techniques mis à disposition et même des politiques de recrutement à travers les aides accordées à ces régions déshéritées.

Toute bonne idée a sa limite, mais l’application à nos environnements de santé français reste sans doute largement possible

La note finale des auteurs est plus modérée. 

Ils soulignent que ce type de solution, pour engager les équipes et gérer la pénurie, connaît toujours elle-même ses propres limites ; au-delà d’un certain taux de manque de personnel, plus rien ne fonctionne. 

Nous n’en sommes pas encore à ces extrémités en France et l’application de l’idée décrite à nos environnements de santé semble avoir toute sa légitimité. 

Pour Aller plus loin

Mehndiratta A, Moharana PR, Mahapatra T, Srikantiah S, Babu S, Simba S, ... & Barker P (2025). Quality improvement collaborative to increase access to caesarean sections : lessons from Bihar, India. BMJ Qual Saf 2025;34:405–13

Roy N. Latif A Increasing surgical volumes in resource limited-healthcare systems : team-based quality improvement as a novel approach to quantity improvement BMJ  Quality & Safety  Published Online First : 26 March 2025. doi : 10.1136/bmjqs-2024-018296

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