Don Berwick propose, dans un article publié dans le JAMA, sa vision sur dix immenses défis qui restent à relever en 2022 aux Etats-Unis pour sortir le système de soins américain de l’ornière (plus mauvais rapport coût bénéfice de tous les pays occidentaux).
Le contenu innovant et provocateur du propos, même s'il vaut surtout pour les Etats-Unis, pourra surprendre le lecteur Français et faire réfléchir sur notre propre système de santé.
Ils réparent, atténuent les effets de dommages causés ailleurs. Pour le dire autrement, les soins relèvent d’un travail essentiel et noble, mais ils ne sont que largement réactifs à d’autres causes.
Les véritables déterminants de la santé, de la maladie, ainsi que des inégalités et des variations en matière de santé, sont autres, et pour beaucoup connus et bien documentés.
Et pourtant, presque tous les investissements américains dans la santé (près de 20 % du produit intérieur brut américain) portent encore sur la seule logique de réparation, celle du soin.
Les coûts financiers de cet investissement déséquilibré sont énormes, et le bilan sur l’efficacité humaine est encore plus préoccupant.
La contribution des soins techniques à la santé reste importante, et elle est réalisée par une main-d'œuvre clinique fort dévouée, pas de doute sur ce sujet.
Mais 40 % de la variation de l'état de santé de la population (4 fois plus que la part sous contrôle des soins de santé) découle de déterminants sociaux de la santé, résumés avec élégance en 2015 par Marmot en 5 catégories :
À la base de ces cinq facteurs se trouve un sixième facteur fondamental : l'équité, impliquant les attitudes des communautés envers la solidarité, y compris le racisme. Les communautés équitables sont des communautés plus saines.
Certains leaders soutiennent que la gestion des soins dans le système de santé est suffisamment importante et complexe en soi pour ne pas s'occuper en plus des déterminants de la santé.
Mais l'industrie de santé n'est pas juste spectatrice du sous-investissement du pays dans les déterminants de la santé, Elle en est aussi une cause. L'argent à investir dans la petite enfance, les écoles, le logement et le reste doit venir de quelque part, soit du secteur privé, soit des impôts.
Le pool commun total d'investissements est plus ou moins fixe entre :
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Ce compromis à somme nulle est particulièrement visible dans les budgets publics ; ce sont d’abord les budgets des villes, des Etats et du gouvernement fédéral qui doivent absorber l’inflation incessante des coûts des soins de santé et qui, en retour, sont amenés à économiser de plus en plus sur l’argent mis sur les déterminants.
Le niveau actuel des dépenses de santé aux Etats-Unis est de fait devenu incompatible avec un investissement significatif sur ces déterminants de santé. En l'absence d'une directive autoritaire du gouvernement, la seule voie consiste maintenant à envisager des changements volontaires dans les priorités et les stratégies des hôpitaux et des autres organisations de soins.
Pour catalyser ces changements, chaque hôpital américain et système de santé intégré qui en a les moyens devrait immédiatement constituer et soutenir dix équipes, chacune investie d’une action spécifique sur des déterminants de santé. Chaque équipe devrait :
Les dix équipes pourraient inclure les éléments suivants :
Bien d’autres sujets à traiter pourraient encore être ajoutés, comme par exemple la réduction des décès et blessures liés aux armes à feu ; des substitutions et des ajouts à ces TEN TEAMS pourraient être envisagés selon les régions.
Une telle approche n’exige pas de repartir de zéro. La plupart des hôpitaux ont probablement une ou plusieurs de ces activités déjà en cours. Chaque hôpital dispose aussi dans sa communauté locale de représentants de la société civile et d’agences gouvernementales déjà impliquées sur ces thèmes, qui seraient heureux de se rallier à une équipe en charge de l’hôpital.
Il existe aussi, à l'échelle nationale, et pour chaque sujet, des hôpitaux exemplaires, des experts en la matière qui ont des idées prêtes à être adoptées et des consortiums déjà à l'œuvre pour accueillir de nouveaux membres.
Qui est Don Berwick ? Professeur de pédiatrie à Harvard, figure mondiale de la sécurité du patient, ancien fondateur et directeur de l’IHI à Boston (Institute for Healthcare Improvement), ancien ministre d’Obama en charge de la réforme si contestée du système américain de santé pour prétendre à une couverture plus universelle des soins - finalement remise en cause par l’administration Trump -, teneur depuis ses débuts d’une médecine centrée sur le patient, très à l’écoute aussi de la population et de la dimension sociale des déterminants de santé. |