L’intelligence artificielle (IA) a beaucoup fait parler d’elle depuis quelques années dans le domaine de la santé. Récemment, l’IA dite générative s’est développée à un rythme soutenu. Porteuse de beaucoup d’espoirs dans un contexte de pénurie médicale et de difficultés d’accès aux soins, tiendra-t-elle toutes ses promesses ?
On sort d’une période de 15 ans où le domaine de l’informatique médicale a été surinvesti, en espérant monts et merveilles. La transition s’est faite sur les dossiers médicaux électroniques, et sur beaucoup d’autres aspects. Mais la souffrance a été, et reste, grande pour le personnel et les institutions, confrontés sans compétences particulières à des univers nouveaux, fragiles, immatures dans de nombreuses applications, sans parler de l’arrivée de nouveaux risques sérieux comme la cybersécurité.
Pour le dire différemment, la transition vers le numérique était sans doute inévitable et largement profitable à terme. Elle avait un potentiel considérable et indiscutable d’amélioration de la sécurité (traçabilité, communication en réseau, partage d’informations). Mais la maturation de l’offre du marché et des usages a demandé pas loin d’une génération pour atteindre les buts annoncés, toute la période de transition et d’appropriation n’ayant été que souffrance et source de problèmes.
Un article récent de Robert Watcher, une des grandes figures de la sécurité du patient (Watcher 2012, 2014), fait le point sur le sujet (Watcher 2024).
La question se pose d’abord avec l’arrivée massive de Chat GPT et de ses dérivés depuis 2022 : ce que l’on appelle l’IA générative.
Watcher est bien plus réservé sur ces gains attendus, en rappelant et développant ce qu’il appelle le paradoxe de la productivité.
Brynjolfsson (1993) rappelle dans ce paradoxe qu’il y a deux raisons récurrentes à ne pas profiter des bénéfices attendus d’une technologie nouvelle :
Ce paradoxe de la productivité se retrouve complétement en santé, et particulièrement avec l’introduction de ces nouveaux outils. La lenteur de l’adoption de l’informatisation en est un exemple évident. L’intelligence artificielle va probablement suivre le même chemin chaotique que l’introduction de l’informatique il y a 20 ans.
Watcher nous en propose cinq :
Il reste que ces progrès ne seront vraiment réels qu’on changeant profondément plusieurs aspects du système de santé et de sa culture. C’est sans doute le plus difficile à faire. Il faudra en grande partie "réinventer" le travail de demain. Toutefois, même si on sait que ces systèmes menacent plusieurs emplois, on vit avec le paradoxe en santé qu’on a un tel sous-effectif qu’ils pourraient être mieux acceptés que dans d’autres industries.
Une page s’ouvre… une révolution à faire sur le fond.
On va vivre au moins 10 ans de transition.
Espérons qu’on en tirera le meilleur et qu’on évitera le pire.
Pour aller plus loin
Berwick DM, Hackbarth AD. Eliminating waste in US health care. JAMA. 2012;307(14):1513-1516.
Brynjolfsson E. The productivity paradox of information technology. Commun ACM. 1993;36(12):66-77.
Wachter RM (2012). Understanding patient safety 2. New York, McGraw-Hill Medical.
Wachter RM. The Digital Doctor : Hope, Hype and Harm at the Dawn of Medicine’s Computer Age. McGraw-Hill ; 2015.
Wachter RM, & Brynjolfsson E (2023). Will Generative Artificial Intelligence Deliver on Its Promise in Health Care ? JAMA 2024;331(1):65-69.