"Safety 2" : signaler le positif dans le travail, du rêve à la réalité difficile

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"Safety 2" : signaler le positif dans le travail, du rêve à la réalité difficile

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"Safety 2" est une approche de la sécurité qui met l'accent sur les aspects positifs de la prise en charge. Mais il est encore difficile aujourd'hui à mettre en place.

Auteur : le Pr René AMALBERTI, Docteur en psychologie des processus cognitifs, ancien conseiller HAS / MAJ : 11/01/2023

"Safety 2" : une autre vision de la sécurité

Erik Hollnagel (2015), apôtre du courant "resilience engineering" soutient depuis presque 10 ans l’idée de deux approches radicalement différentes de la sécurité : 

  • "Safety 1" correspond à la sécurité classique, centrée sur la réduction des erreurs et défaillances ; le signalement se concentre logiquement sur ces mauvais résultats, déviations et prise en compte de tout évènement indésirable "négatif" pour en trouver parade à l’avenir.
  • "Safety 2" correspond à une toute autre vision de la sécurité qui met surtout l’accent sur le positif. Il s’agit de capturer les savoirs des opérateurs mis en jeu dans l’immense majorité des cas où tout se passe bien (en rapport du très petit nombre de cas où l’on observe des défaillances sérieuses et des évènements indésirables). Ces succès arrivent même - et surtout - dans un nombre toujours plus grand de situations dégradées, de manque de ressources, et de difficultés de tous ordres. L’idée fondatrice de "Safety 2" est que ce savoir sur "le succès" peut et doit être mieux récupéré (par des retours d’expériences positifs) et doit être mieux enseigné ; c’est là le cœur de l’effort de la sécurité à développer. Le "système apprenant" de sécurité doit d’abord apprendre de ses succès, et non de ses échecs.

Jeffrey Braithwaite (2015) est le plus proche collaborateur d’Erik Hollnagel et traducteur de cette idée pour le champ médical.

Plusieurs études intéressantes

Mais comme toujours, il y a un pas entre l’idée et la réalité du terrain avec la mise en pratique de l’idée. 

Plusieurs tentatives récentes, particulièrement en matière de mise en place de système de signalement des faits positifs, méritent d’être connues, montrent les difficultés, et justifient cet article.

On trouve par exemple une étude récente conduite en pédiatrie dans un hôpital d’enfants Suédois (Wahl, 2022). Le dispositif renvoie à un projet plus global appelé "méthode de la ligne verte" (Green Line Method), mis en place en 2018, qui organise chaque jour dans chaque service plusieurs temps collectifs courts ("des hudles" de 5 à 10 minutes maximum) pour se retrouver et parler du "positif" puis pour suivre les actions par une méthode classique d’amélioration continue de la qualité avec PDSA (Plan-Do-Study-Act).

Deux infirmiers et un médecin sont responsables de l’animation dans chaque service. Les questions sont ouvertes : "comment avez-vous fait pour gérer telle situation, pour gérer cette condition dégradée, pour gérer cette surprise, etc. ? Pouvez-vous entrer plus dans le détail, etc. ?"

Chaque matériel recueilli est classé :

  • soit en retour sur un bon résultat (Safety 2),
  • soit en retour sur un évènement indésirable (Safety 1),
  • soit sans leçon particulière.

Cette expérience a suscité une forte adhésion générale des professionnels avec un taux de satisfaction élevé et quelques idées d’amélioration qui ont germé des échanges et des pratiques rapportées par les uns et les autres.

Les limites de "Safety 2"

Mais, les difficultés restent importantes : ce type d’approche est moins efficace que prévu.

On retrouve dans cette étude les mêmes limites que celles trouvées d’autres tentatives similaires dans d’autres pays (Hedge 2022, Verhagen 2022) : le nombre de rapports positifs est toujours moindre qu’espéré, les professionnels qui s’engagent dans le processus sont peu nombreux en rapport de ceux qui gardent des distances dans les services. 

Les difficultés tiennent au fait que :

  • Parler de ses succès en situation adverse, c’est souvent avouer des façons de faire peu classiques dans la démonstration que tout à bien marché ; les professionnels ont quelques craintes à le dire.
  • Les qualiticiens ont des craintes récurrentes sur ce qu’on fait de ce matériel recueilli : les astuces contextuelles recueillies sont souvent pleines de dérives d’application des procédures, et on peut craindre qu’elles deviennent des généralisations. 
  • Plus globalement, l’exploitation du matériel recueilli dans une logique de qualité continu est un vrai casse-tête qui mobilise très fortement l’équipe en charge.

Les enseignements à retenir

Au bilan, il paraît difficile aux professionnels de la Qualité d’imaginer abandonner totalement une vision sur les évènements indésirables pour juste adopter cette nouvelle vision, comme  suggéré par Hollnagel.

Les professionnels considèrent plutôt qu’il faut marier les deux approches, et que les bonnes méthodes restent encore à écrire ; dans tous les cas, le leadership est important pour canaliser ce mariage de deux visions contradictoires (Schwarz 2021).

Et le but même de ces courts moments collectifs répétés dans la journée nécessite régulièrement une force de conviction et une présence de coordinateurs avec des recalages sur l’objectif poursuivi (Hybinette 2021), sans parler de la faisabilité pour que ces moments existent vraiment dans des services plutôt surchargés.

En conclusion, l’idée de "Safety 2" est sans doute généreuse, mais la réalisation sur le terrain est difficile, et n’apparait en tout cas pas comme un changement radical de principe de sécurité comme le voulait la théorie. 

Pour aller plus loin

  • Braithwaite J, Wears RL, Hollnagel E. Resilient health care : turning patient safety on its head. Int J Qual Health Care. 2015 ; 27 (5) : 418–Hollnagel E, Wears R, Braithwaite J. From Safety-I to Safety-II : A white paper. 2015. Accessed 15 Sept 2021.20.
  • Hegde S, Jackson C, D. Reflections on the Experience of Introducing a New Learning Tool in Hospital Settings. In : Nemeth CP, Hollnagel E, editors. Advancing resilient performance. Switzerland : Springer ; 2022. p. 71–83.
  • Hybinette K, Pukk Härenstam K, Ekstedt M. A First-line management team’s strategies for sustaining resilience in a specialised intensive care unit - a qualitative observational study. BMJ Open. 2021 ; 11 (3) : 1–10.
  • Schwarz A, Isaksson S, Källman U, Rusner M. Enabling patient safety awareness using the green cross method : a qualitative description of users’ experience. J Clin Nurs. 2021 ; 30 (5–6) : 830–9
  • Verhagen MJ, de Vos MS, Sujan M, Hamming JF. The problem with making safety-II work in healthcare. BMJ Qual Saf. 2022 ; 31(5) : 402–8.
  • Wahl, K., Stenmarker, M. & Ros, A. Experience of learning from everyday work in daily safety huddles - a multi-method study. BMC Health Serv Res 22, 1101 (2022).