Une hyponatrémie évitable

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Une hyponatrémie évitable

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Patiente difficile, peu observante,… Iatrogénie des diurétiques ? Un exemple peu banal…

  • Médecin
  • Patient
Auteur : C. LETOUZEY / MAJ : 21/11/2016

Cas clinique

  • Une patiente asiatique, âgée de 66 ans et retraitée, ne parlant pas le français est suivie depuis 2003 par un médecin généraliste qui parle sa langue. Elle consulte tous les trois mois environ. Elle vit avec son mari et sa fille.
  • En dehors du renouvellement régulier de Xanax et de Stilnox, elle est traitée depuis quelques années pour HTA peu sévère :
    • La prise en charge de cette HTA n’est pas simple ! La patiente surveille sa tension avec un appareil à domicile, prend seule ses médicaments, ….est « colérique d’après son entourage »… Si parfois, le médecin constate des chiffres supérieurs aux attentes (mais plus souvent normaux), la patiente constate à domicile des chiffres tensionnels variables …. qui la conduisent à modifier son traitement….
  • De 2005 à 2008, le traitement par Trandate (1/2 à 1 comprimé 2 fois par jour) et Practazin (1 puis 1/2 comprimé par jour, association d’Altizide et de spironolactone), initialement instauré par un cardiologue est renouvelé. Une hyponatrémie modérée et asymptomatique à 128 mmol/l a été constatée fin novembre 2007, (normale en 2006) alors que la patiente était sous Practazin à faible dose. Elle est attribuée au régime sans sel strict que suivait la patiente. Correction rapide sous régime sodé.
  • Les modifications thérapeutiques (antagonistes calciques, béta bloquants, inhibiteurs de l’angiotensine…) qui vont intervenir de 2008 jusqu’en 2011 sont régulières : la liste est impressionnante… es modifications (à l’initiative ou sur incitation de la patiente) surviennent pour des motifs divers : équilibration imparfaite de la TA, habitudes de prescripteurs spécialisées et surtout intolérances arguées… Par exemple, le traitement par Lercan prescrit par un cardiologue est stoppé pour douleurs thoraciques, l’Aprovel est censé induire des cervicalgies et des vertiges, le Pratazin donne temporairement des crampes…et de nombreux autres médicaments sont également accusés d’effets secondaires variables qualifiés d’ « intolérances ».
  • La patiente, à plusieurs reprises, modifie d’elle-même le traitement en cours, pour l’augmenter, l’arrêter ou le remplacer par d’anciens traitements qu’elle associe de sa propre initiative….traitements qui, finalement, avaient plus faveur….Le tiroir de sa cuisine semble être la réserve d’une large pharmacopée.
  • A plusieurs reprises des consultations cardiologiques, des examens complémentaires dont un scanner cérébral (vertiges) seront prescrits mais non exécutés.
  • Au mois de mai 2008, il est noté que la patiente est indisciplinée car elle modifie le traitement (en plus ou en moins) ou l’arrête temporairement sans avis médical. Elle a arrêté le Practazin accusé de lui donner des crampes. Aucune prescription d’un diurétique n’est faite de mai 2008 à fin 2010.
  • Plusieurs contrôles systématiques de la natrémie (tous les six mois) sont normaux entre novembre 2007 et décembre 2009.
  • En janvier 2010, une exploration de l'HTA en service spécialisé remet en cause le diagnostic d'HTA, qui est cependant confirmé par une MAPA en février 2010. Parmi les examens prescrits en externe par ce service, seule la MAPA sera faite. Après plusieurs nouveaux essais thérapeutiques, en octobre 2010, le traitement que la patiente a repris d’elle-même associe de nouveau Trandate et Practazin (1 comprimé par jour). Le cardiologue traitant propose de conserver le traitement en contrôlant l’ionogramme pour s’assurer d’une bonne tolérance du traitement diurétique. Nous ne retrouvons pas trace de bilan biologique dans l’année suivant au gré des quelques consultations peu renseignées.
  • Le 7/09/11, elle se présente à la consultation. Elle ne prend plus de traitement hypotenseur depuis ??? : le traitement est modifié et au Trandate est ajouté de l’Aldactazine (1/2 comprimé par jour ou 1 comprimé par jour ?) pour 3 mois. Elle a un bilan biologique très complet le 24 septembre 2011 (normal) mais le contrôle de l’ionogramme est oublié ! Elle a des examens urologiques en octobre, novembre 2011 dont une cystoscopie (calcul vésical connu, cystite et pollakiurie).
  • Le 30 novembre 2011, consultation pour frissons. La TA est normale au cabinet. Le MG prescrit une visite chez le cardiologue (non revu depuis 2009) et chez un neurologue (malaises et vertiges) et rédige des courriers. La patiente ne consultera pas ces spécialistes car….
  • Le 01 décembre 2011, elle consulte pour des vomissements, sans fièvre, sans diarrhée ni trouble de la conscience ou du comportement. L’état général n’est pas altéré. Le médecin prescrit un traitement symptomatique évoquant un diagnostic de gastroentérite.
    • Dans la nuit, comme elle continue à vomir, sa famille l’amène aux urgences du CH : la TA est à 142/76 mm Hg, la glycémie capillaire normale. Elle est apyrétique. « Vomissements depuis 2 jours marrons. Pas de signe infectieux, pas de diarrhée ou de constipation, pas de rectorragies, pas de voyage récent, a vu hier son médecin traitant mais Dompéridone sans efficacité » ; elle serait arrivée dans la nuit du 1er au 2 décembre, aurait vu le médecin le 2 décembre vers 5 h du matin et serait sortie vers 6 h 30 avec une ordonnance (Inexium, Vogalène, Motilium). Aucun examen biologique n’a été réalisé ou prescrit.
  • Le dimanche 4 décembre 2011, elle retourne au CH car les vomissements persistent. L’examen clinique ne note pas de signe d’appel avec une altération de l’état général mais une conscience non altérée. Le résultat de l’ionogramme plasmatique, connu vers 23 H, est très pathologique :
    • La Natrémie est à 98 meq/l la Kalièmie à 2,1 meq/l et la glycémie à 8,1 mmol/l. Elle est contrôlée à 100 meq/l à 3 heures du matin. La créatinine est normale. Le traitement diurétique est arrêté, la patiente mise en restriction hydrique, puis sous perfusion de solutés divers…contenant sel et potassium également administrés à la seringue électrique La natrémie prévue vers 7 H n’a pas été prélevée. La Natrémie est à 121 meq/l à 15 h 30 le lendemain.
    • Elle est transférée en médecine interne. Elle est mise en restriction hydrique et la natrémie oscille autour de 130 meq/l puis atteint 134 meq/l le 13 décembre. Elle sera normale ultérieurement.
  • Le 14 décembre 2011, apparaissent des signes neurologiques progressifs et diffus : troubles cognitifs, syndrome cérébelleux, troubles de la marche, déficit moteur des extenseurs du poignet.
  • Après de multiples examens, le diagnostic porté est celui d'une myélinolyse centro-pontine notamment du fait des anomalies constatées à l’IRM cérébrale dans ce contexte. Les séquelles sont importantes et nécessitent l’aide de tierces personnes, malgré une récupération partielle.
     Quel est le rôle des diurétiques ? des vomissements ? d’une pathologie associée ?

Analyse

Ce matériel est réservé à un usage privé ou d’enseignement. Il reste la propriété de la Prévention Médicale, et ne peut en aucun cas faire l’objet d’une transaction commerciale.

Jugement

EXPERTISE (2014)

Les experts sont neurologue et interniste.

Les enfants s’inscrivent en faux contre les assertions d’indiscipline de cette patiente.
Ils rapportent qu’elle aurait présenté des épisodes vertigineux voire des malaises dans les mois précédant l’hospitalisation. Elle devait faire des pauses en marchant car elle se sentait « étourdie ».
L’absence de troubles de conscience lors des visites et lors de l’arrivée à l’hôpital est confirmée par la famille.
Les vomissements étaient très fréquents pendant trois jours, abondants au début. Quand elle est arrivée aux urgences la première fois, elle vomissait toutes les demi-heures pendant les 5 heures où elle a séjourné au service des urgences.
Les experts considèrent que l’HTA était peu sévère et l’observance inconstante chez cette patiente « indisciplinée ».

Concernant le retard diagnostique de cette hyponatrémie :
« Le MG a prescrit de l’Aldactazine, certes à faible posologie et le risque d’entrainer une hyponatrémie était faible. Néanmoins la tolérance d’un traitement diurétique est très variable selon les individus et ce d’autant plus que les personnes sont âgées. Il est vrai, qu’à l’époque des faits, la patiente n’avait que 69 ans. Il n’y a pas eu de contrôle biologique dans les deux mois qui suivent.
L’élément important dans son cas est la survenue de vomissements abondants répétés pendant plusieurs jours.
L’hyponatrémie peut résulter de ces seuls vomissements et n’avoir aucun lien avec le traitement.
Mais on peut supposer aussi que le diurétique ait pu entrainer une hyponatrémie peu importante que les vomissements sont venus aggraver.
On ne peut pas non plus éliminer, même si cela parait peu vraisemblable, que les vomissements aient été l’expression d’une hyponatrémie majeure et qu’ils n’étaient pas liés à une gastro entérite ».

Ils attribuent la myélinolyse à l’inadaptation du traitement de cette hyponatrémie majeure, dont le diagnostic a été très tardif. « La myélinolyse centro pontine survient classiquement après un intervalle libre après correction de l’hyponatrémie, plus souvent après une hyponatrémie chronique ». « Les apports de Nacl (24 gr) ont été excessivement importants au cours des 17 premières heures passées à l’hôpital sans surveillance électrolytique associée ».

Les responsabilités :
« Le MG aurait dû demander, chez cette patiente âgée, un ionogramme systématique dans un délai de quelques semaines après la primo prescription.
Aux urgences, le diagnostic de gastro entérite a été porté sur des éléments cliniques seulement. Une prise de sang aurait dû être faite pour juger du retentissement de ces vomissements.
Lors du constat de l’hyponatrémie, la réalisation des mesures correctives n’a pas respecté la lenteur de progression qui est la règle. Selon certaines références la correction doit être inférieure à 10/12 mmol/l en 12 heures, inférieures à 18 mmol/l en 48 heures.
Le contrôle de la natrémie n’a pas été fait entre 3 h du matin et 15 h le lendemain.
Cette hyponatrémie menaçait le pronostic vital…
L’urgentiste n’a pas pris la mesure de la gravité et de la sévérité de l’état de la patiente. Il aurait dû la transférer en réanimation ».
Les experts proposent de partager la responsabilité des séquelles entre le MG (20%) et l’hôpital (80 %).

AVIS CCI (2016)

Après avoir entendu les parties, la Commission répartit différemment les responsabilités de l’indemnisation des séquelles : MG 10 % et 90 % pour l’hôpital.

Commentaires

Cette observation est doublement exceptionnelle du fait de la profondeur de l’hyponatrémie et de sa relative bonne tolérance et par la complication finale à type de myélinolyse.
Les examens faits lors de son hospitalisation en médecine interne n’ont pas retrouvé de pathologie susceptible d’être à l’origine d’un syndrome inapproprié d’ADH comme une cause tumorale….
Il est vraisemblable qu’une hyponatrémie s’est constituée progressivement (traitements diurétiques successifs à dose réellement absorbée inconnue) et a été accentuée par les vomissements de cause X.
Ce syndrome rare de myélinolyse centro pontine (actuellement ODS- syndrome de démyélinisation osmotique) est bien décrit, de mécanisme complexe. La rareté de cette complication n’a d’égal.. ..dans cette observation que le constat d’une hyponatrémie non mortelle à moins de 100 meq/l…
Certains écrivent que ces myélinolyses sont plus fréquentes chez des patients prenant des thiazidiques avec des corrections très rapides de l’hyponatrémie secondaires à des perfusions de sérum physiologique, d’autant plus que la kaliémie est basse.

Références bibliographiques

HAS, 202 HAS – DAQSS – SPPIC – Octobre 2012,Coprescription diurétiques

Approche diagnostique de l’hyponatrémie Rev Med Suisse 2010;2074-2079

Verbalis JG, Goldsmith SR, Greenberg A, Schrier RW, Sterns RH. Hyponatremia treatment guidelines 2007 : Expert panel recommendations. Am J Med 2007;120(11 Suppl. 1):S1-21

Stern, Disorders of plasma sodium, causes, consequences and correction NEJM 2015; 372:55-65;

Bollaert: myélinolyse centro pontine. Données actuelles et spécificités en réanimation. Reanimation. DOI 10/2007 13546-012-0504-7

Heng.Centro pontal myelinosis. A report of 58 cases. Clin Neuropathol 6:262-70 Furger P. Guide de médecine interne, D&F ; 2004

Yeates KE,. Salt and water: a simple approach to hyponatremia. CMAJ 2004 ; 170 (3): 365-

Spasovski G, Clinical practice guideline on diagnosis and treatment of hyponatraemia. Eur J

Endocrinol March 1, 2014; 170: G1-G47

HJ Androgue, Hyponatremia, NEJM 2000; 342:1581-

1 Commentaire
  • Juan S 25/12/2016

    Un des signes du début d’une hyponatrémie grave sont les vomissements

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