Une femme de 51 ans, paraplégique à la suite d’un accident de la circulation survenu vingt ans plus tôt, fait une chute de son fauteuil roulant sur la voie publique, qui lui provoque un œdème de la jambe.
Il s’agit d’une patiente victime d’un accident de la route ancien en 1987 (alors âgée de 30 ans), ayant entraîné une paraplégie sensitivo-motrice (fracture D11-D12). Sous Dantrium® au long cours, la patiente ne décrit pas de douleurs spastiques mais se plaint de contractures lombaires. Elle effectue 4 à 5 autosondages quotidiens en position assise. Malgré ce handicap, la patiente a pu récupérer une autonomie : elle se prend seule en charge pour les activités de la vie quotidienne (toilette, transferts, habillage), conduit une voiture aménagée et travaille à temps partiel dans une banque.
Ultérieurement, le remplaçant précisera ne pas avoir trouvé trace de la notion de chute dans le dossier médical, ce que confirmera le médecin traitant, en précisant que les comptes-rendus des visites effectuées à domicile, ce qui est le cas depuis l’accident, n’apparaissent pas dans le dossier de la patiente. En revanche, la patiente et son mari affirment avoir précisé, à chaque médecin, les circonstances de l’accident avec la notion d’un traumatisme.
La patiente assigne les 3 médecins généralistes devant le tribunal de grande instance pour obtenir réparation du préjudice subi.
Ce matériel est réservé à un usage privé ou d'enseignement. Il reste la propriété de la Prévention Médicale, et ne peut en aucun cas faire l'objet d'une transaction commerciale.
L’expert, spécialiste de médecine physique et de réadaptation estimait que : « (…) Le fait de ne pas avoir prescrit un bilan radiographique du genou et de la jambe gauches dans les suites de la chute de la patiente de son fauteuil roulant, lors des 4 consultations réalisées par les médecins généralistes qui se sont succédé auprès de la patiente, constituait une faute indiscutable et un manquement aux règles de la science médicale d’autant que la patiente et son mari soulignaient qu’ils avaient évoqué à chaque visite médicale, les circonstances de survenue de la chute.
Le premier médecin, consulté 72 heures après la chute, avait prescrit un doppler veineux du membre inférieur gauche. Cette prescription n’était pas illogique en soi, car la survenue de thromboses veineuses est fréquente chez les paraplégiques et qu’existait un œdème conséquent. Il n’en reste pas moins que le premier examen à demander après une chute chez une patiente dépourvue de sensibilité, et donc de douleurs, dès lors qu’il existe des signes cliniques, reste, selon les règles de l’art, une radiographie standard.
Il en est, de même, concernant le second généraliste, médecin traitant de la patiente, qui l’a vue à deux reprises et qui n’a pas jugé utile malgré le rappel du fait traumatique par le couple, de prescrire un bilan radiographique.
Des remarques identiques s’appliquent au troisième médecin qui, outre le rappel des faits par la patiente, disposait du compte-rendu du doppler veineux réalisé le 29 décembre 2008 faisant état dans les indications
ʺ…ayant présenté un épisode traumatique par chute en novembre 2008ʺ. Par ailleurs, à cette date, soit plus d’un mois après les faits, il existait une déformation évidente de la jambe gauche, d’après la patiente et son mari, notamment en position de décubitus. (à noter que les examens pratiqués par les médecins généralistes et les radiologues avaient toujours été
réalisés, en station assise, au fauteuil roulant) (…) »
L’expert admettait qu’ « (…) Il s’agissait d’un dossier complexe puisque le doppler prescrit initialement, avait mis en évidence une thrombose veineuse, pouvant expliquer l’œdème (…) » mais il ajoutait qu’ « (…) Un traitement anticoagulant efficace avait permis de retrouver une perméabilité satisfaisante de l’ensemble du réseau veineux profond du membre inférieur gauche, alors que l’œdème persistait (…). A ce propos, l’expert rappelait que le radiologue ayant réalisé le second doppler avait mentionné dans son compte-rendu que : « (…) Cet examen n’explique, donc, pas la persistance de l’œdème (…) ».
En ce qui concernait les trois radiologues, l’expert considérait qu’ils n’avaient commis aucune faute ou manquement.
Concernant la perte de chance subie par la patiente, l’expert estimait qu’ « (…) Une prise en charge immédiate, chirurgicale ou orthopédique, au vue de l’importance de la fracture, aurait permis sa consolidation en position anatomique, éviter le raccourcissement et de ce fait préserver l’autonomie de la patiente… Le fait qu’existait initialement une thrombose veineuse de la jambe avec un traitement anticoagulant en route, à condition qu’il eut été réalisé un doppler veineux du membre inférieur, ce qui est loin d’être courant devant un œdème d’origine traumatique, aurait fait plutôt préconiser un traitement orthopédique sous traitement anticoagulant prolongé, au moins dans un premier temps.
Ce cas aurait pu se présenter si le médecin traitant, lors de sa visite le 1er décembre 2008, soit 6 jours après le traumatisme, avait suspecté le diagnostic de fracture de jambe. En l’absence du diagnostic de thrombose veineuse, l’option chirurgicale aurait probablement été choisie en raison de la complexité de la fracture
(…) ».
Se fondant sur les données du rapport d’expertise, les magistrats jugent que les trois médecins généralistes ont commis des fautes de nature à engager leur responsabilité.
Mais comme l’expert n’avait pas chiffré la perte de chance subie par la patiente, les magistrats ordonnent « un complément d’expertise afin de définir précisément la perte de chance subie, de l’évaluer et de détailler les préjudices strictement imputables au retard de diagnostic ».
Une indemnisation de 10 000 € est versée à titre provisionnel.