Prise en charge d'une urgence vitale la nuit

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Prise en charge d'une urgence vitale la nuit

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Un téléphone oublié par un médecin de garde, un afflux de patients, l’absence de ligne dédiée aux urgences vitales, le service des urgences ne répond pas ! Grâce à une équipe paramédicale compétente et soudée, le pire est évité mais tout reste à faire en matière de permanence des soins urgents.

Auteur : Bruno FRATTINI – Cadre Supérieur de Santé IADE – Expert en prévention des risques - MACSF / MAJ : 03/06/2022

Présentation du contexte

Madame L., 78 ans, est hospitalisée dans un service de médecine depuis 4 jours, pour altération de l’état général (AEG). Elle a dans ses antécédents médicaux, une valvulopathie gauche, générant une insuffisance cardiaque.

Vers 22 h, l’infirmier de nuit est en train de faire son tour de soins de début de nuit. Il est alors appelé par l’aide-soignante qui travaille avec lui, car Madame L. a du mal à respirer.

L'aide-soignant arrive immédiatement dans la chambre de la patiente. Il constate que la malade présente une gêne respiratoire angoissante, qui s’est visiblement installée rapidement car il l’avait vue 20 minutes auparavant et elle ne se plaignait de rien, une toux avec expectoration rosée et mousseuse et un début de cyanose des extrémités (mains et lèvres).

Il demande à l’aide-soignante d’appeler le médecin des urgences et d’approcher le chariot d’urgence… Il prend les paramètres vitaux et constate les éléments suivants : 

  • une tension artérielle à 183/98 mm de Hg,
  • une tachycardie à 135 pulsations par minute,
  • une saturation en oxygène à 84 %,
  • une auscultation pulmonaire avec des râles crépitants.

L’aide-soignante revient avec le téléphone portable, et annonce à son collègue que les urgences ne répondent pas.

Il met alors en œuvre les mesures conservatoires suivantes :

  • il met en place un moniteur multiparamètre (PNI toutes les 3 minutes et SpO2 en continu) ;
  • débute une oxygénothérapie au masque à haute concentration avec un débit à 6 litres par minute ;
  • il pose une voie veineuse périphérique, et prélève en même temps les tubes permettant un bilan standard (NFS, Hémostase, Iono, Troponine) et s’assure que le débit de la perfusion soit au minimum.

L’équipe paramédicale essaie de rappeler entre temps le service des urgences à deux reprises, sans obtenir de réponse.

Le tableau clinique de la patiente s’aggrave, avec une saturation en oxygène qui, après une légère amélioration à 88 %, baisse de nouveau pour une valeur de 80-81 %.

L’infirmier demande alors à sa collègue de descendre aux Urgences, 2 étages en dessous, pour aller chercher un médecin urgentiste.

Entre temps, la patiente devient confuse et présente des signes de marbrures. Elle a toujours un pouls, mais la saturation en oxygène descend à 79 %. L’infirmier augmente l’oxygène à 10 litres par minute et s’assure que la planche à massage cardiaque est bien présente dans la chambre.

Il consulte le dossier de la patiente et trouve sur le compte rendu de l’hospitalisation précédente qu’elle avait déjà fait un épisode d'Œdème Aigu Pulmonaire (OAP), qui avait bien répondu à l’administration de 20 mg de furosémide.

Il décide alors d’administrer la même dose de diurétique, reconnaissant le même tableau clinique… la saturation en oxygène commence à remonter (84 %) lorsque le médecin urgentiste arrive 5 minutes plus tard.

Il est mis au courant de la situation, et son examen clinique conclut bien à un OAP. Il demande également :

  • la mise en route d’un dérivé nitré au pousse seringue électrique, 
  • la pose d’une sonde urinaire à demeure pour quantifier la diurèse avec précision,
  • la réalisation d’une radiographie pulmonaire,
  • un prélèvement artériel pour faire une gazométrie,
  • que le prélèvement prélevé lors de la pose de la voie veineuse soit immédiatement envoyé au laboratoire,
  • un ECG.

Après 15 minutes, les soins prescrits sont réalisés. Les premiers résultats des examens arrivent :

  • la gazométrie met en évidence une hypoxémie, un début d’hypercapnie, une acidose respiratoire ;
  • la radiographie pulmonaire montre des opacités alvéolaires, floconneuses, bilatérales et symétriques…

La patiente reprend connaissance, et son état clinique s’améliore : sa saturation en oxygène remonte à 92 %, la tension artérielle descend à 155/90 mm de Hg.

Un transfert en Unité de Surveillance Continue (USC) est organisé. Le relais est pris alors par l’équipe soignante de l’USC.

L’équipe paramédicale de médecine exprime alors son très vif mécontentement, car cette attente dans ce contexte d’urgence vitale leur a paru très longue. Après une enquête rapide, il s’est écoulé près de 15 minutes où ils ont été seuls confrontés à cette patiente en détresse vitale.

Méthodologie et analyse

L’IDE en charge du service cette nuit-là a rédigé une déclaration d’événement indésirable qu’il a classée dans la catégorie grave…

L’exploitation de cette fiche par le groupe de professionnels chargé de la veille s’est traduite par la décision de rechercher les causes qui ont conduit à cet incident, sans conséquence majeure pour la patiente, les comprendre et trouver éventuellement des actions correctrices à mettre en place pour éviter qu’une telle situation ne se reproduise.

Une analyse de risque a posteriori est donc réalisée.

Dans cette analyse, seuls les éléments contributifs qui ont généré l’absence d’une présence médicale nécessaire à la prise en charge de cette urgence vitale sont recherchés.

Le contenu de la prise en charge paramédicale et médicale sera également exploré afin d’évaluer la pertinence des actes de soins mis en œuvre.

Cause immédiate

C’est l’absence de réponse médicale immédiate qui a mis l’IDE en difficulté et qui a potentiellement mis en jeu le pronostic vital de la patiente.

Causes profondes

 

En résumé

  • Le dimensionnement des équipes paramédicales n'appelait pas de commentaires particuliers.
  • La permanence médicale au sein de la structure de soins à partir de 21h00 ne semble plus adaptée à l’augmentation de la charge de travail constatée et récurrente depuis plusieurs mois.
  • Les charges de travail sur les deux secteurs concernés, même si elles étaient au-dessus de la charge de travail habituelle, étaient compatibles avec les moyens humains mis en œuvre au sein de l’établissement de santé.
  • Le numéro de téléphone sur lequel peut être joint l’urgentiste n’est pas un numéro dédié et unique pour ce contexte. La ligne peut être non accessible ponctuellement et transitoirement.
  • La prise en charge de cette urgence vitale a été compliquée au début par absence de consignes médicales, mais a pu permettre une issue favorable pour la patiente.
  • L’administration de diurétiques par l’IDE a été retenue adaptée à la situation et confirmée par le médecin urgentiste. L’IDE a été conforté dans sa prise de décision qui a été retenue comme justifiée au vu du contexte. Son excellente appréciation du tableau clinique et sa recherche de données médicales antérieures ont permis d’anticiper les consignes médicales.

Les pistes de réflexion et/ou d'amélioration

La procédure de prise en charge des urgences vitales a été revue, et les améliorations suivantes ont été apportées :

  • La mise en place rapide d’un numéro dédié aux seules urgences sur l’établissement a été retenue. Ce téléphone est constamment dans la poche du sénior des urgences.
  • Un mode dégradé est également préconisé : en cas d’impossibilité de joindre pour quelle que raison que ce soit l’urgentiste, le numéro de téléphone du médecin de garde de l’Unité de Surveillance Continue est précisé, et doit être maintenant appelé en seconde intention.
  • La nuit, les équipes paramédicales sont dimensionnées à minima, et les professionnels de santé doivent être constamment postés dans leur secteur. Il est également recommandé, de joindre le cadre de santé de nuit lors de la prise en charge des urgences pour apporter une aide logistique et permettre une mise en œuvre rapide des mesures conservatoires.

La permanence médicale a été également revue au vu des données collectées lors de l’analyse de cet EIG et de l’examen plus attentif des indicateurs de fonctionnement du service des Urgences.

Les pistes de réflexion ont été :

  • de demander au médecin de l’Unité de Surveillance Continue de passer en garde sur place ;
  • Et/ou de demander au second médecin urgentiste de rester jusqu’à minuit.

Le président de CME (coresponsable de la sécurité des soins de l’établissement de santé) a soutenu l’association de ces deux mesures et obtenu de la Direction Générale un budget supplémentaire pour améliorer le niveau de présence médicale : avec deux praticiens présents sur place 24h/24, la sécurité s’en est trouvée logiquement renforcée.

Conclusion

En partant d’un Événement Indésirable régulièrement rencontré dans les structures de soins, les actions correctrices ont été d’importance avec la mobilisation de moyens humains supplémentaires, permettant maintenant, dans cet établissement de santé, d’augmenter le niveau de sécurité des patients.

La revue de la procédure de prise en charge des urgences vitales a été également un élément organisationnel marquant.

Toutes ces actions correctrices bénéficieront d’un suivi pour mesurer si elles sont adaptées.

En partant d’un signalement d’un EI, cette structure de soins a su réagir concrètement à partir de discussion structurante associant la Direction Générale et la communauté médicale.