Retour d'expérience : erreur d'asepsie dans la réalisation d'un soin

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Retour d'expérience : erreur d'asepsie dans la réalisation d'un soin Evénement indésirable grave

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Juliette, 19 mois, est amenée par ses parents aux urgences pédiatriques. Elle présente une fièvre à 40,3°C.

  • Paramédical
Auteur : La Prévention Médicale / MAJ : 17/06/2020

Présentation du contexte

Ses parents précisent que l’enfant a vomi la veille, une seule fois. Depuis rien. Une dose de DOLIPRANE* lui a été donnée quelques heures seulement avant l’arrivée aux Urgences.

A l’interrogatoire, les parents déclarent que le bébé ne présente pas de diarrhée, de vomissement, qu’il ne se plaint d’aucune douleur. Juste une petite rhinorrhée. L’enfant « ne mange pas bien depuis hier », mais boit correctement. L’examen clinique fait la veille par un pédiatre de ville n’a trouvé aucun point d’appel à une infection potentielle.

A l’examen clinique, l’état général est bon, mais l’enfant pleure beaucoup. L’auscultation cardio-pulmonaire met en évidence quelques râles à l’inspiration et à l’expiration d’origine haute, mais ne retrouve pas de foyer infectieux. Pas de sibilant. Les bruits du cœur sont réguliers, sans souffle. L’examen trouve un abdomen souple, non sensible, pas de masse. Pas de signe de splénohépatomégalie. L’examen ORL montre un conduit auditif gauche rouge, mais avec des tympans normaux, une gorge propre. Pas d’adénopathie. L’examen cutané est sans anomalie. Aucune raideur méningée n’est retrouvée.

Le bilan biologique : la bandelette urinaire est négative, les Globules Blancs sont à 17000, la CRP à 64, et la PCT à 0,46. Le reste du bilan est sans particularité, une hémoculture est prélevée.

Le pédiatre urgentiste conclut à une otite congestive Gauche.
Il prescrit un traitement d’Amoxicilline, et un retour à domicile de l’enfant est décidé.

Toutes les données relevées lors de la prise en charge de ce bébé sont saisies en direct sur le Dossier Patient Informatisé du secteur.

Le lendemain, le pédiatre qui prend sa garde fait une revue de dossier, et surtout contrôle les résultats biologiques demandés pendant les 24 heures précédentes. Il constate que l’hémoculture prélevée 24 heures auparavant est positive à Cocci gram négatif. Il décide de reconvoquer l’enfant et il appelle les parents.

A son arrivée, Juliette bénéficie d’un nouvel examen clinique, et le pédiatre urgentiste ne retrouve aucun autre élément contributif. Une hospitalisation est proposée aux parents et acceptée.

A son arrivée en secteur d’hospitalisation, l’enfant bénéficie :
- d’un autre bilan biologique, qui montre des résultats sensiblement identiques à ceux de la veille,
- d’une radiographie thoracique, ne trouvant aucun élément pathologique,
- d’une autre hémoculture, avec des résultats qui reviendront négatifs,
- d’une ponction lombaire revenue stérile.

Décision est prise de modifier le traitement antibiotique : arrêt de l’amoxicilline (CLAMOXYL*), et prescription de cefotaxime (CLAFORAN*) et ceftriaxone (ROCEPHINE*).

Aucun élément n’est signalé dans les jours qui suivent, pouvant expliquer la fièvre de l’enfant.

Au plan clinique, l’enfant est devenu apyrétique au bout de 24 heures du nouveau traitement.

72 heures plus tard, la culture du premier prélèvement revient positive à Neisseria SP, germe non pathogène.

Un nouveau bilan est réalisé à J5 de la nouvelle antibiothérapie, et retrouve des Globules Blancs à 5000, une CRP à 9.

Devant le résultat de l’hémoculture contaminée lors du prélèvement, l’absence de point d’appel clinique pouvant expliquer la fièvre, et le bon état général de l’enfant, l’arrêt de l’antibiothérapie est décidé (J5), ainsi qu’un retour à domicile.

Face à cette problématique, les pédiatres et les bactériologistes de l’Etablissement échangent, et tout le monde est convaincu que l’hémoculture a été contaminée lors de son prélèvement.

Une recherche est réalisée à partir des résultats émis par le Laboratoire d’Analyses Médicales, et il est noté un taux important d’hémoculture positive par contamination.

Une déclaration d’événement indésirable est réalisée.

Conséquences

Cette erreur a provoqué :

- une hospitalisation de 5 jours,
- la réalisation de nombreux examens paracliniques : radiographie pulmonaire, hémoculture, et surtout une ponction lombaire,
- un changement du traitement antibiotique, réalisé par voie parentérale, et surtout beaucoup plus onéreux,
- une majoration potentielle des résistances aux antibiotiques,
- une angoisse des parents à gérer au vu des informations données, et des hypothèses émises.

A l’énonce de ces éléments, il semble que nous soyons face à un Evénement Indésirable Grave.

Méthodologie et analyse

La cellule de Gestion des Risques de l’Etablissement décide de faire une analyse pour ce cas clinique, et de proposer d’éventuelles actions correctrices en fonction des enseignements mis en lumière.

Une analyse de risque a posteriori est donc réalisée.

Dans cette analyse, seuls les éléments contributifs à la recherche des causes conduisant à cette erreur seront recherchés. La méthode ALARM est retenue.

  • Les facteurs contributifs discutés en équipe :

Facteurs liés au patient :

Cet enfant ne présente aucun antécédent particulier.
Son état clinique n’était pas inquiétant, lors de la première ou la deuxième consultation aux urgences, selon les pédiatres urgentistes interrogés.

Les parents, qui accompagnaient l’enfant, étaient très inquiets, car la fièvre était pour eux anormalement élevée.

Facteurs liés aux tâches à accomplir :

Le protocole de soins concernant le prélèvement pour hémoculture est présent au sein de l’établissement de soin. De plus, ce type de soins n’a aucune particularité et appartient aux fondamentaux de la profession infirmière.

Cette hémoculture a bien été prescrite par le pédiatre urgentiste.

Cette hémoculture a été réalisée dans un contexte de travail habituel. Aucune difficulté n’a été signalée par les paramédicaux qui ont réalisé le prélèvement. Toutes les ressources matérielles étaient présentes pour réaliser ce soin.

Les personnels présents étaient des professionnels fixes du service.

C’est un acte toujours sensible en terme de réalisation, car il s’agit d’un jeune enfant peu coopérant face à un geste technique « agressif ». Il a été effectué sous Kalinox* (prescription médicale) pour faciliter les conditions techniques.

Facteurs liés à l’individu (professionnel impliqué) :

L’IDE qui a réalisé le prélèvement est un soignant qui exerce au sein des Urgences depuis plus de 2 ans. Il n’a pas exprimé de difficultés particulières. Il réalise ce type de soin régulièrement.

Cet acte de soin a été pratiqué en fin de matinée ; le professionnel était dans un cycle de travail normal, et n’a pas exprimé un contexte particulier (fatigue, maladie, …)

Facteurs liés à l’équipe :

Aucun problème de communication n’est à relever au vu de cette situation de soin. Les relations entre équipe médicale et équipe paramédicale étaient sereines ce jour là (déclaratif contradictoire).

Ce contexte de soin est habituel, et ce cas clinique ne présentait aucune difficulté particulière.

Ce prélèvement a été réalisé à 4 mains, un soignant chargé d’administré la Kalinox*, et un autre qui a réalisé le prélèvement. Ce prélèvement a été effectué en même temps que le reste du bilan.

Le binôme paramédical qui a réalisé le prélèvement sanguin n’a exprimé aucune difficulté particulière.

Facteurs liés à l’environnement de travail :

La charge de travail était habituelle, puisque cet acte de soin a été réalisé en matinée, alors que le nombre de patients présents aux urgences ce jour là était habituel.

Les effectifs paramédicaux étaient ceux validés par la Direction Général de l’Etablissement.
Il est important de signaler que ces effectifs ont toujours été jugés insuffisants par les acteurs de ce secteur de soins. Des demandes répétées sont faites depuis de nombreux mois pour obtenir un paramédical de plus en cycle de jour pour faire face à la charge de travail importante.

Facteurs liés à l’organisation et au management :

Cette analyse de dysfonctionnement a généré un questionnement : le nombre de personnes pour réaliser ce prélèvement est-il suffisant pour préserver les règles d’asepsie nécessaires ?

Le protocole rédigé concernant ce soin est relu avec les intéressés : il est relevé que certains éléments n’ont pas été observés :
- l’antisepsie n’a pas été respectée,
- l’hémoculture n’a pas été prélevée en première position,
- le professionnel paramédical ne portait pas de gants stériles.

Facteurs liés au contexte institutionnel :

Cet établissement de santé est organisé pour prendre en charge ce type de pathologie.

  • En résumé : les facteurs contributifs suivants sont retenus

- Une charge habituelle de travail lors de ce contexte de soin
- Des effectifs soignants conformes au schéma d’organisation validée
- Une procédure de soin non respectée

Les pistes de réflexion et/ou d'amélioration

L’analyse de cette situation a été communiquée à l’ensemble à l’équipe lors d’une réunion de service et un échange entre professionnels favorisé. Les éléments suivants ont été retenus :

- une prise de conscience des conséquences d’un non respect des protocoles de soins,
- une prise de décision précisant qu’une personne de plus lors de la réalisation d’une hémoculture en secteur pédiatrie est nécessaire, avec un gain pour la fiabilité du soin et un gain dans le temps de réalisation. 

Aucune autre décision n’a été prise, puisque collectivement, l’ensemble de l’équipe a jugé que les conditions étaient réunies pour réaliser un soin en toute sécurité. Le respect strict des règles établies doit contribuer à augmenter le niveau de sécurité du soin.

Conclusion

Une erreur d’asepsie qui pourrait paraître banale, mais très lourde de conséquences, puisqu’il semble certain que cette hospitalisation était inutile.
Et même si il n’y a eu aucune conséquence pour le pronostic vital de cet enfant.

Les barrières de protection mises en place pour sécuriser la réalisation des soins ont été négligées et ont généré un contexte de iatrogénie.

Ce retour d’expérience a été relayé au sein des autres services, pour que chacun prenne conscience de son importance dans la chaine des soins.

Et surtout pour que chacun comprenne qu’il peut être à l‘origine de complications graves pour les patients que nous prenons en charge.