Retour d'expérience : oubli de soin

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Retour d'expérience : oubli de soin

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Monsieur F. 45 ans, est hospitalisé en chirurgie orthopédique et traumatologique depuis 14 jours...

  • Paramédical
Auteur : La Prévention Médicale / MAJ : 17/06/2020

Présentation du contexte

Ce monsieur a été admis dans le service suite à un accident de la voie publique en 2 roues motorisées. Il présentait une fracture bi-malléolaire gauche ouverte et déplacée, avec une perte de substance au dessus du foyer de fracture (surface tibiale) de la taille d’une balle de golf.

Opéré dans les 6 heures qui ont suivi son accident, il a pu bénéficier d’une ostéosynthèse sous anesthésie générale. La zone correspondant à la perte de substance a été nettoyée chirurgicalement.

Une antibiothérapie a été prescrite pendant 10 jours.

Les suites post-opératoires ont été globalement simples.

Le chirurgien a indiqué l’installation d’un pansement type VAC pour diriger la cicatrisation de la zone de la perte de substance depuis 7 jours. Ce type de pansement est choisi devant les difficultés de cicatrisation observées, et devrait préparer une potentielle greffe cutanée.

Les intérêts de cette technique mis en avant :
- assure le drainage et l’élimination des éléments infectieux, des exsudats et de l’œdème interstitiel local par aspiration,
- augmente la perfusion périphérique au niveau de la plaie,
- favorise la formation de tissu de granulation.

Les consignes accompagnant la prescription sont les suivantes :
- dépression à 125 mm Hg si absence de douleurs, en mode continu,
- changement du pansement tous les 3 jours,
- avis chirurgical tous les 6 jours.

L’équipe paramédicale, en charge du service, est une équipe habituée à la prise en charge de ces typologies de patient. Durant cette période, une étudiante en soins infirmiers de 3ème année est présente dans le service dans le cadre de son stage préprofessionnel depuis 8 semaines (il est important de signaler que cette étudiante aura son diplôme dans 6 semaines, qu’elle a validé l’ensemble des étapes avant présentation à l’examen final).

La veille, il lui a été confié la réalisation du pansement de M. F. par l’infirmière en charge du secteur. Le lendemain, elle signale spontanément qu’elle n’a pas réalisé ce soin. Elle l’a oublié.

Dans le contexte de cet oubli, il faut préciser qu’il manquait une partie du matériel, qui a été commandé immédiatement à la pharmacie dans la cadre d’une commande urgente en fin de matinée, que le matériel est arrivé l’après-midi. Le patient recevant de la visite, le mode opératoire demandant près de 30 minutes de soins, il a été décidé de réaliser le pansement en fin d’après midi. La charge de travail de cette fin de journée, avec l’entrée des patients programmés, mais également de 4 urgences, était lourde.

Cette étudiante est très appréciée par l’ensemble de l’équipe pour son professionnalisme et son comportement au quotidien. Elle est catastrophée par cet oubli, pour les conséquences potentielles pour le patient, et surtout elle craint pour la suite de sa formation pensant qu’une interruption de son cursus est possible. Elle rend compte à son cadre formateur référent de cet incident.

Le chirurgien est mis au courant de cet incident. Il relativise immédiatement les conséquences de ce retard dans l’évolution de la cicatrisation, demande à ce que le pansement soit refait le jour-même et que l’on modifie la planification.

Une déclaration d’événement indésirable est réalisée par le Cadre de Santé du service.

La Directrice des Soins de l’Etablissement, informée de l’incident par sa collègue de l’Institut de Formation en soins Infirmiers dont dépend l’étudiante (l’étudiante était catastrophée), demande une analyse rapide de ce dysfonctionnement et une restitution toute aussi rapide à l’équipe paramédicale : il était primordial pour elle de montrer à travers cet exemple qui n’a aucune conséquence pour le patient, l’importance de rechercher les facteurs contributifs ayant générés cet incident. Elle pense qu’à travers cette démarche, on favorisera une culture de gestion des risques au sein de l’établissement, mais surtout auprès des étudiants en soins infirmiers.

Méthodologie et analyse

Le groupe de professionnels chargé de l’exploitation des fiches de déclaration d’événement indésirable a validé la demande de la Direction des Soins, afin de rechercher les causes qui ont conduit à cet incident, sans conséquence majeure pour le patient, les comprendre et trouver éventuellement des actions correctrices à mettre en place.

Une analyse de risque a posteriori est donc réalisée, selon la méthode ALARM.

Pour cette analyse, les éléments contributifs aux causes de cet incident sont recherchés.

  • Facteurs contributifs 

Facteurs liés au patient 

Le patient ne présente aucun antécédent, ni médical, ni chirurgical. C’est son premier séjour hospitalier.

Il est acteur dans son traitement, mais il n’a pas réagi la veille voyant que son pansement n’était pas refait, pensant qu’il le serait le lendemain. Il avait compris que la charge en soins du jour était lourde.
C’est un malade qui fait confiance à l’équipe qui l’a pris en charge.

Il a été informé de ce décalage dans la planification de son pansement, et a bien compris que cela n’aurait aucune incidence sur sa guérison.

Facteurs liés aux tâches à accomplir 

Ce type de pansement est réalisé en routine dans ce service depuis plusieurs années les équipes sont parfaitement rodées à ce soin. Il est enseigné aux étudiants en soins infirmiers dans le cadre de leur formation.

L’intégralité du matériel ad hoc n’était pas présente dans le service pour réaliser le soin immédiatement.
Il s’avère que l’Infirmière Coordinatrice en charge des commandes pharmacie pour le service est absente depuis plusieurs jours pour maladie (période hivernale) et que la commande a été réalisée par une infirmière du service.

Le mode dégradé pour la réalisation de la tâche « commande pharmacie » a fonctionné, mais avec une professionnelle ne maîtrisant pas bien les dotations du service.

Facteurs liés à l’individu 

Le soin confié à l’étudiante infirmière était dans son champ de compétences. Ce type de délégation a été autorisé après une évaluation mi-stage, conformément au projet d’encadrement institutionnel des étudiants.

La vérification de l’infirmière en charge de l’étudiante n’a pas eu lieu, au vu de la charge de travail de fin de journée (accueil des patients dans le cadre de l’activité programmée et urgente).

La charge de travail a été décrite comme stressante, avec une pression forte de la part du service des Urgences pour que les patients soient accueillis rapidement, eux-mêmes étant confrontés à un afflux de patients au-dessus de la moyenne (éléments vérifiés à partir des indicateurs d’activités du service des Urgences).

Facteurs liés à l’équipe 

La phase de transfert d’informations ne pose pas de problème dans le service : les transmissions ciblées sont retenues pour faciliter les échanges entre professionnels.
Les étudiants sont inclus dans ces temps de transmissions, éléments particulièrement importants dans l’apprentissage de cette profession (partie intégrante du cœur de métier).

L’Infirmière Coordinatrice, absente ce jour, a pour mission de vérifier la bonne réalisation des planifications de soins. Son absence n’a pas permis cette vérification croisée.

Le Cadre de Santé en charge du secteur n’a pu palier à cette absence, étant elle-même absente du service pour raison de formation.
Aucun mode de soutien n’était prévu pour palier à ces absences.

Facteurs liés à l’environnement de travail 

L’absence d’une dotation suffisante de matériel pour réaliser le pansement a été analysée : une commande de pharmacie urgente a été faite, mais la charge de travail n’a pas permis d’aller chercher immédiatement les éléments manquants à la pharmacie (Aide-Soignantes et Infirmières très occupées).

Hormis l’absence de l’Infirmière Coordinatrice et du Cadre de Santé, les effectifs étaient complets pour tous les métiers (Agents de Service Hospitalier, Aides-Soignantes, Infirmières), et il faut noter la présence d’une étudiante infirmière de 3ème année (concernée par la problématique décrite) et une étudiante Aide-Soignante.

La charge de travail était lourde, mais l’apport de 2 étudiants avec une réelle valeur ajoutée dans les effectifs n’avait pas généré d’alerte de la part de l’équipe soignante.

C’est surtout en fin d’après-midi que la charge de travail était extrême, et chacun a fait face. Il faut noter que ces contextes de travail lourds sont réguliers aux dires des professionnels de santé du service.

Facteurs liés à l’organisation et au management 

Le dossier de soins est toujours sous un format papier (le dossier patient informatisé devant arriver dans quelques mois, la réflexion étant en cours) : la vérification globale des planifications de soins n’est pas réalisable sans reprendre les dossiers un par un.

La planification murale du service n’était pas à jour du fait de l’absence de l’infirmière coordinatrice et de la charge de travail lourde.

La commande de pharmacie a été incomplète, et du fait exclusif du service. La pharmacie était en mesure de fournir les éléments manquants.

Facteurs liés au contexte institutionnel 

Le suivi des déclarations d’événements indésirables de même classe ne montre pas une augmentation de ce type d’incidents.

  • En résumé : les facteurs contributifs suivants sont retenus

- Un patient bien au courant du problème, qui a bien compris l’absence d’incidence sur sa guérison potentielle.

- L’intégralité du matériel n’était pas présente dans le service pour réaliser le pansement.

- Le décalage dans la planification pour plusieurs raisons a été à l’origine de cet oubli.

- La commande de pharmacie a été réalisée par une infirmière, dans le cadre d’un mode dégradé prévu dans le schéma d’organisation du service, mais avec un retour d’expérience sur la tâche modeste, ce qui explique l’oubli de certains articles.

- Une absence de contrôle de la tâche déléguée par l’infirmière responsable de l’encadrement de l’étudiante.

- Une charge de travail lourde et stressante ce jour qui peut expliquer un nombre de modes dégradés importants.

- La vérification croisée de la planification des soins n’a pas eu lieu (généralement faite à partir de la planification murale), du fait de la charge de travail et de l’absence de l’Infirmière Coordinatrice et/ou du Cadre de Santé.
 

Les pistes de réflexion et/ou d'amélioration

L’analyse de cet incident est là encore une démonstration concrète du modèle de Reason ; c’est l’addition de plusieurs dysfonctionnements qui a généré l’incident.

Collectivement, les pistes de réflexion suivantes ont été abordées :

- Modifier les bordereaux de commandes pharmacie, avec mention des dotations pour un travail plus efficient dans le cadre d’un mode dégradé.

- Mettre au centre de l’organisation du service la phase de vérification croisée des actions de soins, par le biais de la planification murale.

- Reprendre au plus tôt la réflexion pour le choix et le déploiement du dossier patient informatisé, en insistant sur les valeurs ajoutées en termes d’organisation dans la réalisation des soins.

- Rappeler le nécessaire contrôle de la tâche déléguée aux étudiants par les professionnels en charge de leur encadrement. Cette mesure n’appelle pas une modification du projet d’encadrement institutionnel.

- Organiser dans le cadre d’un mode dégradé la fonction de coordination des soins.

- Prendre en compte le nécessaire soutien des équipes paramédicales lors des absences des responsables paramédicaux du secteur de soins concerné. L’absence concomitante de l’Infirmière Coordinatrice du service et du Cadre de Santé ne sera plus autorisée.

En conclusion

A partir d’un incident sans aucune conséquence pour le patient, ce retour d’expérience, à partir de cette analyse a posteriori, a permis à l’ensemble des intervenants de mieux percevoir l’approche systémique des process et procédures.

Une nouvelle fois, il faut mettre un focus sur l’interdépendance des métiers et des professionnels entre eux : un manque de rigueur, une mauvaise maîtrise d’un protocole et d’une procédure peuvent avoir des répercussions directes sur le travail de ses collègues.

Partant du postulat que toute erreur humaine est involontaire, les différents modes de contrôle doivent être compris et appliqués.

Cette analyse a permis à tous (étudiants et professionnels confirmés) de comprendre le concept de la pédagogie par l’erreur. Exercice à développer dans tous les Instituts de Formation de Professionnels de Santé.

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