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2021 - Les erreurs humaines : 3e cause de mort aux USA ?

18/01/2021

Gorski D. WEB publication, Are medical errors really the third most common cause of death in the U.S.?, Science-Based medecine, exploring issues and controversies in science and medicine,  May 9, 2

Résumé

 On le dit depuis 20 ans, la presse s’en délecte, mais est-ce vrai ?

Selon le CDC (Direction de la santé US, centre for Disease Control and Prevention), il y a environ 2,6 millions de décès toutes causes confondues aux États-Unis chaque année.

Mais tout le monde sait que les estimations des erreurs médicales et de leur évitabilité dépendent beaucoup de la façon dont elles sont définies. Cet article s’inspire d’un blog US (Gorki, 2016) pour développer plus à fond les questions scientifiques de fond que cela pose :

Parlons d’abord taxonomie des erreurs évitables…

Certains cas d’erreurs sont faciles. Par exemple, si un chirurgien opère un abdomen, ripe et fait une plaie de l'aorte, conduisant à une exsanguination rapide du patient, il est évident que l'erreur a causé la mort du patient.

Mais qu'en est-il quand on donne un antibiotique inadéquat à un patient septique gravement atteint de dysfonctionnement multi-systémique.

De même, faut-il attribuer l’imputabilité à une erreur sur le traitement / délai ou oubli de test ou autre sur un patient en toute fin de vie qui a une forte probabilité de mourir même avec des soins parfaits. Et faut-il sommer ces cas si différents dans une enveloppe unique qui fait les délectations de la presse, tant il y a du sensationnel derrière ces extrapolations. Il suffit de regarder ces unes de la presse pour s’en persuader :

Medical Errors Are No. 3 Cause Of U.S Deaths, Researchers Say (NPR)”

Researchers: Medical errors now third leading cause of death in United States” (The Washington Post)

Why Are Medical Mistakes Our Third Leading Cause of Death?” (Huffington Post)

Second study says medical errors third-leading cause of death in U.S.” (USA TODAY)

Ces « Unes » sensationnelles font tous référence à un article provocateur publié en 2016 dans BMJ par Makary et Daniel intitulé «Erreur médicale - la troisième cause de décès aux États-Unis», qui affirme notamment que plus de 251 000 personnes décèdent dans les hôpitaux à la suite d'erreurs médicales. Mais réfléchissons…étant donné que, selon le CDC, seulement 715 000 décès survenaient dans les hôpitaux en 2016, ce serait dire 35 % des décès de patients hospitalisés étaient dus à des erreurs médicales. Qui peut croire sincèrement à de tels chiffres ?

Il y a évidemment beaucoup de problèmes avec cet article, et encore plus de problèmes avec la façon dont les résultats ont été rapportés à la presse. La communauté des spécialistes a fortement réagi, et a condamné clairement la démarche dès sa sortie, mais ça n’a pas empêché cet article d’être cité presque 2000 fois depuis Google Scholar, justement parce qu’il est sensationnel…

Le premier point critiquable, c'est que ce n'est en rien une nouvelle étude comme l’affirme la presse. Il s'agit plutôt d'une simple reprise de données déjà existantes, basée sur une extrapolation outrancière et peu scientifique de 4 sources scientifiques dont les extrapolations étaient déjà sensationnelles, mais toutes discutables :

  • Le premier texte est le célèbre rapport de l’académie de 1999, to err is human, qui avait extrapolé que le nombre de victimes d’erreurs humaines se situait entre 40000 et 98000/an aux USA à partir de trois études locales, une extrapolation dont la fiabilité avait été discutée dès le départ par les spécialistes du domaine (Brennan, 2000, NEJM), mais dont le côté lanceur d’alerte était quand même reconnu par tous
  • La seconde est un article paru dans le NEJM signé Landrigan (2010) utilisant une méthode automatique de détection d’EI dans les dossiers patients d’hôpitaux de la Caroline du Nord  et concluant par extrapolation que le nombre de décès était bien supérieur à celui prédit par le rapport de l’IOM. (La méthode Global trigger tools -GTT-, recherche avec un algorithme dans tous les dossiers électroniques patients, toutes anomalies biologiques passées possiblement inaperçues (sans réaction associée dans le dossier médical), tout prolongement d’hospitalisation suspecte, ou toute prescription dans les dossiers faisant penser à une erreur antérieure, par exemple prescription contre une hyperkaliémie).
  • Le troisième est l’article de Classen (2011) qui, utilisant la même méthode de Global Trigger Tools, en était arrivé à extrapoler à partir de données hospitalières locales que le taux de décès réel associé aux EIG était 4 fois supérieur à celui retrouvé par le rapport de l’IOM.
    • o Le point faible de ces deux études (Landrigan et Classen), reste leur hypothèse de base que toute anomalie dans le parcours du patient est évitable.
  • La quatrième étude est le rapport annuel US des risques médicaux basé sur le recueil de PSI (Patient Safety Indicators), conduisant à des inférences assez importantes sur les domaines de risques qui ne sont pas couverts par les indicateurs, ‘mais qui se comporteraient de la même façon’ 

Au total, l’article de Makary et Daniel propose une extrapolation sur la moyenne des extrapolations… on n’est effectivement pas loin d’une infox, à tout le moins d’une liberté scientifique osée.

Le second point est encore plus critiquable, c’est la notion même d’erreur fatale évitable.  Par exemple, les auteurs décrivent un cas clinique : Une jeune femme se rétablit après une opération de transplantation réussie. Mais elle est réadmise à l’hôpital pour des plaintes non spécifiques évaluées par des tests approfondis, y compris une péri-cardiocentèse. Elle est à nouveau sortante, mais revient à l'hôpital quelques jours plus tard avec une hémorragie intra-abdominale et un arrêt cardio-pulmonaire. Une autopsie révèle que l'aiguille insérée pendant la péri-cardiocentèse a effleuré le foie, provoquant un pseudo-anévrisme qui a entraîné une rupture et la mort.

Malgré son caractère dramatique, l’évitabilité de ce cas est loin d'être aussi simple que les auteurs semblent le penser. On peut discuter la pertinence de l’indication de l’examen (peut-être compréhensible dans le cadre d’un retour à l’hôpital sans diagnostic évident) et son exécution.

Sur cette exécution, et même si la procédure percutanée a contribué de façon certaine à la mort, il faut rappeler que le saignement retardé est une complication connue des procédures percutanées, même dans des mains expertes, tout comme les dommages aux organes adjacents, notamment les plaies punctiformes du foie. Lorsqu'un tel saignement se produit, cela ne signifie pas nécessairement qu'il y a eu une «erreur» médicale. Selon qu’on généralise et inclut -ou pas- ce type d’EI dans les causes d’événements indésirables évitables, on peut rapidement avoir un écart de comptage final des décès évitables de facteur 10 voire plus.

Mon avis

Un article à lire pour comprendre toute l’ambiguïté des chiffres sur les décès associés aux erreurs humaines