La médecine vétérinaire doit être à la fois scientifique et bienveillante

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La médecine vétérinaire doit être à la fois scientifique et bienveillante

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  • Un vétérinaire ausculte un chat - La Prévention Médicale

La mode actuelle des "médecines alternatives" et/ou "complémentaires" amène parfois à les opposer à une médecine conventionnelle. Or, la médecine moderne est UNE, elle est résolument fondée sur la science ("evidence based medicine"). La situation est la même en médecine vétérinaire. 

Auteur : le Dr Michel Baussier, Docteur vétérinaire / MAJ : 21/04/2023

Un succès des pratiques alternatives né des reproches de déshumanisation de la médecine

Le succès croissant de ces pratiques, dites alternatives, tient sans doute, mais pour partie seulement, aux critiques qui peuvent être faites à la médecine moderne, telle qu’elle est conçue, pratiquée et organisée. Cette cause paraît également transposable à la médecine vétérinaire, malgré les différences d’organisation.

Parmi les critiques souvent entendues, on peut citer :  

  • tout ne peut être fondé sur la science, 
  • la médecine (humaine et vétérinaire) est dépendante du business pharmaceutique, 
  • la médecine est trop agressive, ses effets secondaires peuvent tuer, 
  • elle n’est pas suffisamment globale (holistique), 
  • elle contrarie la nature, 
  • elle est technique et déshumanisée… Et ce dernier reproche gagne aussi la médecine vétérinaire : "mon vétérinaire ne m’écoute pas", "je n’ai pas pu lui parler", "la consultation est une consultation faite chronomètre en main", "mon vétérinaire n’a les yeux rivés que sur son ordinateur", "il n’aime pas les animaux", "il n’aime pas les gens", "il n’aime que l’argent"…
     

A l’inverse, ces diverses thérapies à la mode, ou parfois traditionnelles, faute d’efficacité rigoureusement démontrée, tiennent souvent leur succès de la magie opérée par le contexte ainsi que par le charisme du praticien, créant une situation de confiance, pourtant parfois abusée quand elle est fondée sur l’escroquerie intellectuelle.

Les nécessaires compétences humaines

Dans ces colonnes, on a souvent insisté à très juste titre sur la nécessité d’une médecine vétérinaire bienveillante, partenariale, à l’écoute et informative, privilégiant les approches empathiques tant de l’animal que de son maître.

Bref ! En d’autres termes, une médecine vétérinaire qui soit "humaine", qui permette aussi à tous les effets contextuels positifs de s’exercer, tant sur l’animal que sur son maître. Ce qu’on a parfois appelé l’effet placebo du bon médecin est parfaitement transposable avec intérêt au vétérinaire.

Être un brillant vétérinaire, disposant d’un excellent savoir médical et d’un savoir-faire technique tout aussi bon ne garantit pas le succès s’il manque la confiance, laquelle ne résulte pas seulement d’une compétence technique mais aussi de tant de qualités et compétences non techniques déjà décrites sur ce site. Et l’on a dit aussi, que les événements indésirables graves au cours des soins étaient plus souvent le fait de manquements à des compétences non techniques qu’à des compétences techniques.

Les compétences techniques et les compétences non techniques sont l’une et l’autre isolément des conditions nécessaires mais non suffisantes du succès de l’acte médical ou vétérinaire. La conjonction des deux est indispensable. 

L’indispensable compétence technique, basée sur la science

La base - le socle – reste toutefois, à l’issue d’une formation initiale, relayée par la formation continue, la compétence technique fondée sur la science. Et aujourd’hui la seule médecine qu’on puisse décemment qualifier de médecine est celle fondée sur les preuves.

C’est sur celle-ci qu’aujourd’hui, dans ces colonnes, l’on insistera auprès des vétérinaires praticiens, lesquels ne doivent jamais perdre de vue les bases scientifiques de leur formation et doivent entretenir leur esprit critique pour parer aux dérapages et résister à la pression d’une demande pas forcément rationnelle.

Il reste important d’avoir à l’esprit que tant que la médecine, humaine ou animale, n’a été fondée que sur des théories ou doctrines nées, à partir d’observations limitées, dans l’imagination d’individus s‘en faisant les chantres et n’agissant que pour conforter leurs propres idées érigées en théories, elle n’a pu progresser ni remporter les succès qu’on lui connaît et qui ne sont guère contestables. 

La médecine moderne, fondée sur la science, est, selon David Sackett, cité par Singh et Ernst, "l’utilisation consciencieuse, explicite et judicieuse de la meilleure preuve connue pour décider le soin à donner à un patient".

Singh et Ernst poursuivent : "La médecine basée sur les preuves accepte et encourage tout traitement qui s’avère efficace, sans considérer qui en est le promoteur et sans a priori quant à son éventuelle étrangeté.

Le jus de citron pour le traitement du scorbut était un remède peu plausible mais la communauté médicale dut l’accepter puisque les essais en ont apporté les preuves. La saignée, en revanche, était un traitement standard mais le corps médical a finalement été contraint de l’abandonner devant les preuves qui l’accablaient." À propos du scorbut, on peut dire que le premier essai clinique contrôlé remonte au milieu du XVIIIe siècle et qu’il fut le fait de Lind, tombé par la suite dans l’oubli… Au XIXe siècle, Florence Nightingale, infirmière, a convaincu le corps médical, hostile, de l’efficacité de l’hygiène dans les hôpitaux, statistiques à l’appui, pour lutter contre les infections qui tuaient les blessés et les opérés. À la même période en France, Pasteur, preuves à l’appui, amenait le progrès de la connaissance sur les bactéries pathogènes, sur l’immunité par la vaccination, sur l’hygiène en général… Un siècle plus tard Hill et Doll ont prouvé, statistiques à l’appui, le lien entre tabac et cancer du poumon.

La médecine fondée sur les preuves, moteur de progrès

Les moyens de la sémiologie et donc du diagnostic ont considérablement évolué, confortant l’examen clinique par les moyens de la biologie, de l’imagerie, du numérique, de l’intelligence artificielle… Les progrès extraordinaires de l’anesthésiologie ont permis d’aussi extraordinaires progrès de la chirurgie. La maîtrise des maladies métaboliques et fonctionnelles, celles des pathologies néoplasiques ont objectivement connu partout de grandes avancées. La lutte contre les maladies infectieuses, en particulier contagieuses, voire épidémiques ou épizootiques, ne doit strictement aucun de ses progrès aux soi-disant "médecines alternatives" et autres pseudo-médecines fumeuses. De même pour les maladies parasitaires. Faudrait-il s’empresser de l’oublier ? Quelle amnésie ou quel déni du réel conduirait-il à ne pas voir que la seule médecine qui vaille est celle strictement fondée sur les preuves scientifiques ? 

Aujourd’hui les essais cliniques randomisés, contrôlés, en double aveugle, jouent un rôle central en médecine fondée sur les preuves. Dans une approche critique de la preuve, il convient d’avoir toujours présent à l’esprit la notion de niveau de preuve. On représente souvent le niveau de preuve par une pyramide. Les témoignages, les avis d’expert se situent à l’étage inférieur tandis que les méta-analyses de publications scientifiques occupent le sommet.

Source : Delvenne C. Définition des principaux types d'études [En ligne].
Université de Liège, Bibliothèque de la faculté de médecine; 2002

 

D’autres approches du niveau de preuve sont proposées. Par exemple celle-ci, visant la médecine vétérinaire :

Source : Échelle des preuve d'après Fricke - zeterinaires.fr

Approche scientifique et approche humaine vont de pair

La médecine, notamment la médecine animale qui nous intéresse ici, n’est nullement déshumanisée par l’approche scientifique. Celle-ci en constitue la base, elle n’exclut nullement la considération empathique à apporter au patient animal et à son maître. L’acte de médecine vétérinaire, dans une approche qui ne saurait être autre que fondée sur les preuves, comporte toujours une décision (diagnostique ou thérapeutique) à l’intersection de trois groupes de données : 

  • l’expérience clinique du praticien, 
  • les données de la recherche (preuves scientifiques),
  • les données et préférences de l’animal et de son maître.

La médecine vétérinaire se doit d’être à la fois scientifique et bienveillante, bienveillante et scientifique. Mais elle ne peut ni ne doit jamais faire l’impasse sur la science, qui constitue son socle.

Liens et références
- BRISSONNET (Jean) – Médecine scientifique et médecines non conventionnelles - Science et pseudo-sciences, n° 319, janvier-mars 2017  https://www.afis.org/Medecine-scientifique-et-medecines-non-conventionnelles 
- HALL (Harriet) – Médecines alternatives : 44 arguments infondés contre la médecine scientifique - Science et pseudo-sciences, n°311, janvier 2015.
- HAUTE AUTORITÉ DE SANTÉ (HAS) – Niveau de preuve et gradation des recommandations de bonne pratique. avril 2013 https://www.has-sante.fr/upload/docs/application/pdf/2013-06/etat_des_lieux_niveau_preuve_gradation.pdf 
- KRIVINE (Jean-Paul) – La qualité de la preuve en médecine - Science et pseudo-sciences, n°326, octobre-décembre 2018  https://www.afis.org/La-qualite-de-la-preuve-en-medecine 
- KRIVINE (Jean-Paul) – Médecines non conventionnelles, douces, parallèles, alternatives… - Science et pseudo-sciences, n°305, juillet 2013
- SINGH (Simon) et ERNST (Edzard) – Face au scorbut et aux saignées : comment la médecine est devenue scientifique - Science et pseudo-sciences, n°295, juillet-septembre 2011.
- SINGH (Simon) et ERNST (Edzard) – De l’hygiène au tabagisme. La naissance de la médecine scientifique - Science et pseudo-sciences, n°297, juillet-septembre 2011.
 

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