
Le nombre de plaintes patients reçues par les institutions/établissements de santé est à la hausse partout dans le monde. C’est une source importante d’informations, très utiles mais difficiles à exploiter.
Une série d’articles et de commentaires (Reader, 2025, Hansen, 2025) vient d’être publié dans le British Medical Journal Quality and Safety (BMJQS) sur les difficultés récurrentes à intégrer ces plaintes dans le processus continu d’amélioration de la qualité et sécurité des soins.
Ces articles reportent les chiffres du contexte anglais, finalement peu différents des autres contextes européens.
En 2023-2024, le NHS en Angleterre avait reçu 241 922 plaintes, soit une augmentation de 5% par rapport à l'année précédente et de 37% depuis 2013-2014. De plus, si relativement peu de consultations au sein du NHS donnent lieu à une plainte officielle (environ 0,4%), seuls 9% des patients qui signalent une mauvaise expérience en matière de soins de santé déposent effectivement une plainte.
Bien que les motivations des plaignants puissent varier (certains patients cherchent à obtenir réparation, d'autres souhaitent résoudre des problèmes persistants), la demande sous-jacente est presque toujours un apprentissage organisationnel.
On sait que ces plaintes peuvent être incorrectes ou mal intentionnées, ce qui soulève des questions quant à leur validité (Adams et al 2018), mais l'ampleur collective des informations qu'elles fournissent est difficile à ignorer.
Elles constituent un témoignage provenant de patients et de familles en première ligne des soins, révélant les problèmes perçus au cours de leur parcours, souvent long, au sein des organismes de santé.
Elles fournissent des comptes rendus centrés sur l'utilisateur et de l'expérience globale des soins de santé, souvent sur des problèmes non identifiés par les sources classiques de signalement.
Leur validité prédictive a été démontrée. Elles sont associées à la mortalité hospitalière (Reader & Gillepsie 2021).
Enfin, l'argument éthique en faveur de l'apprentissage à partir des plaintes est clair.
Les plaintes reflètent les opinions et les priorités délibérément exprimées par les patients vulnérables et leurs familles, et offrent aux organisations un moyen de rester en phase avec les besoins et les expériences de leurs utilisateurs.
La question qui se pose aux décideurs politiques et aux praticiens n’est donc plus de savoir si les plaintes doivent être utilisées pour améliorer la qualité et la sécurité des soins de santé, mais plutôt comment elles doivent être utilisées.
Hansen et al (2025) ont proposé une revue exploratoire de 54 études produites dans 18 pays qui utilisent les plaintes dans le but d'améliorer la qualité des soins de santé.
Ils observent que les plaintes sont principalement utilisées pour juger de la Qualité (temps d'attente, attitude du personnel) plutôt que pour orienter les initiatives d'amélioration de la Qualité.
61% des articles ont été publiés depuis 2015, ce qui souligne l’accélération du problème.
Dans le sous-ensemble d'articles (n = 24) qui ont fait état de l'utilisation des plaintes pour initier des améliorations, on est majoritairement sur des fautes professionnelles dans les soins de maternité, les retards de diagnostic ou les problèmes de communication.
Pour autant, la revue de littérature montre qu’on manque d’analyses validées ou systématiques, et les études ne documentent pas de manière exhaustive la manière dont les initiatives d'amélioration de la qualité sont mises en œuvre.
Les plaintes signalent des problèmes qui doivent être traités au niveau individuel tout en servant de leçon au niveau institutionnel. Elles ont souvent plusieurs motifs :
Il faut démêler ces différents contenus.
Le contenu concerne la sécurité, mais vu par des "angles morts" difficiles à reconnaître ou à signaler pour le personnel de santé (par exemple, une mauvaise communication entre les services hospitaliers et des notes inexactes sur les patients), des points sensibles où des problèmes émergent (par exemple, dans les soins de maternité) et peuvent enrichir la compréhension des événements connus (par exemple, les erreurs de diagnostic).
Reader (2025) propose que les analyses se concentrent sur :
Ces mesures peuvent contribuer à garantir que l'apprentissage se concentre sur les problèmes ayant les implications les plus importantes en matière de sécurité, ceux qui touchent de nombreux patients, et que les organismes se montrent réactifs face aux plaintes tout en s'attaquant aux défis systémiques.
De manière plus subtile, les plaintes fournissent des informations sur la culture de la sécurité de l’établissement. Elles peuvent révéler des problèmes dans les normes de communication du personnel hospitalier, les attitudes envers la sécurité ou les pratiques bien ancrées de non-respect des règles (par exemple, en matière de contrôle de l'hygiène). Ces informations sont tirées d'analyses de plaintes qui fonctionnent à un niveau agrégé, plutôt que de se concentrer sur des incidents spécifiques.
Les organismes de santé peuvent en tirer des enseignements précieux et évaluer la capacité apprenante des organismes de santé.
Le deuxième défi réside dans la nature non standardisée, complexe et textuelle des plaintes.
Reader (2025) utilise à cet égard un exemple démonstratif : les plaintes comptent en moyenne un millier de mots, un organisme tel que le NHS anglais aura reçu environ un quart de milliard de mots de commentaires au cours des 12 derniers mois.
En supposant qu'il faille une heure pour analyser une plainte (pour y répondre et en tirer des informations), cela représente environ 95 ans (35 000 heures) de temps de travail pour le personnel.
L'ampleur des données soulève d'autres questions, telles que :
Les algorithmes de traitement du langage naturel peuvent être utilisés pour noter et coder des quantités quasi illimitées de données textuelles et faire ressortir les segments les plus pertinents pour une analyse qualitative.
Pour l'analyse des plaintes, les progrès de l'IA sont potentiellement révolutionnaires, car ils peuvent :
Concrètement, trois approches augmentées par l'IA peuvent être utilisées pour soutenir l'analyse des plaintes au niveau local et organisationnel :
Dans tous les cas, ces solutions d'IA ne doivent pas remplacer les humains dans le codage, l'interprétation, la réponse et l'apprentissage à partir des plaintes, mais peuvent plutôt les aider à analyser les plaintes, réduire les ressources nécessaires et à en tirer des enseignements pour le suivi et l'amélioration.
Pour aller plus loin
Adams M, Maben J, & Robert G (2018). "It’s sometimes hard to tell what patients are playing at" : How healthcare professionals make sense of why patients and families complain about care. Health, 22(6), 603-623.
Hansen SM, Clausen MK, Hansen NR, et al From complaint material to quality improvement : Exploring the use of patient complaints or compensation claims in quality improvement initiatives - a scoping review BMJ Quality & Safety Published Online First : 08 August 2025. doi : 10.1136/bmjqs-2025-018780.
Reader TW Learning from healthcare complaints : challenges and opportunities BMJ Quality & Safety Published Online First : 04 September 2025. doi : 10.1136/bmjqs-2025-019081.
Reader TW, & Gillespie A (2021). Stakeholders in safety : Patient reports on unsafe clinical behaviors distinguish hospital mortality rates. Journal of Applied Psychology, 106(3), 439–451.
À lire aussi
Améliorer la compréhension et l’autonomie de prise en charge des patients : un élément clé du succès de la médecine moderne
Retard de prise en charge d'un nouveau-né hypoxique lors d'une césarienne programmée : importance de la standardisation des prises en charge