Un coma acidocétosique évitable

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Un coma acidocétosique évitable - Cas clinique

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Quand un enfant de 11 ans est retrouvé inanimé dans son lit après un retard de transmission de résultats d'analyses...

  • Médecin
Auteur : La Prévention Médicale / MAJ : 17/06/2020

Cas clinique

  • Cet enfant âgé de 11 ans est suivi par un pédiatre depuis sa naissance : examens systématiques, vaccinations, ou consultations pour de banales pathologies.
  • La consultation, ce vendredi 11 juillet à 18 heures, a pour motif un état de fatigue, de tristesse, d’abattement avec une perte d’appétit depuis deux à trois semaines. La mère met en avant le fait que son fils va redoubler son CM 2, qu’il a été agressé par des camarades de classe en début d’année et que le climat familial est perturbé par le décès d’un grand père et par sa prise en charge pour un cancer du sein. L’examen clinique complet (aucune précision dans le dossier, examen soigneux confirmé par les parents) est rassurant chez cet enfant en bon état général, non déshydraté.
  • Lors de la dernière consultation, neuf mois auparavant, il pesait 40kg pour 138 cm.
  • Le pédiatre constate une perte de poids importante puisque l’enfant a perdu 11 kg depuis la dernière pesée à son cabinet.
  • Il évoque deux diagnostics : un diabète ou une anorexie dans un contexte dépressif.
  • Le diagnostic de diabète lui semble peu probable : l’enfant n’a pas plus soif que d’habitude, ne se lève pas la nuit pour boire. Il n’y a pas d’antécédent familial de diabète.
  • Une bandelette urinaire n’est pas été possible car l’enfant vient d’aller aux toilettes.
  • Une prescription pour une analyse sanguine est remise à la mère (numération, glycémie, bilan lipidique, cortisol et ferritine).
  • Le prélèvement a lieu le samedi matin à 8 heures.
  • Alors que le résultat est franchement pathologique (glycémie à 20,6 mmol/l) ni les parents ni le pédiatre n’en seront informés.
  • L’enfant est polypnéique dans l’après-midi ce que les parents mettent sur le compte de l’angoisse. Le médecin traitant de la grand-mère consulté par téléphone ce soir-là aurait fait la même interprétation. L’enfant est retrouvé inanimé dans son lit à 11 heures du matin le lendemain dimanche.
  • Le Samu constate un coma avec une polypnée à 40 /mn, un dextro à 23 mmol/l et débute un remplissage et une insulinothérapie. En réanimation pédiatrique, un arrêt cardiaque survient le soir sur fond de vasoplégie et d’acidose métabolique (pH inférieur à 7). L’arrêt cardiaque est récupéré et après un séjour mouvementé en réanimation où l’enfant est hospitalisé pendant quinze jours, l’évolution sera favorable sans séquelle.
  • Les parents assignent le laboratoire d’analyses. Le pédiatre que l’expert souhaite entendre sera mis en cause par le laboratoire bien que les parents n’expriment aucun grief à son égard.

Jugement

Les déclarations exprimées en cours d’expertise 

 

  • La responsable du laboratoire expose que l’ensemble des glycémies se fait en fin de matinée sauf si la mention « en urgence ou téléphoner » figure sur la demande. Présente au laboratoire ce samedi matin, elle a été informée du résultat par la technicienne vers 12 heures et a demandé un contrôle immédiat du résultat. Comme il y avait aussi une demande de cortisol, elle a demandé d’attendre la totalité des résultats avant de téléphoner au pédiatre. Ceux ci ont été disponibles vers 13 h 45. Le médecin aurait alors tenté de joindre le pédiatre sans succès et déclare qu’elle ne pouvait pas contacter les parents dont elle n’avait pas la nouvelle adresse. Elle quitte le laboratoire (qui ferme à 14 heures) en demandant à sa secrétaire de faxer le résultat au pédiatre. Elle dira qu’elle avait l’intention de le rappeler elle même mais elle a oublié….
  • La secrétaire dont le domicile jouxte le cabinet médical du pédiatre prend l’initiative d’apporter directement les résultat à celui-ci : à son arrivée, d’après ses dires écrits, vers 14 heures 10, elle n’aurait vu personne et après avoir attendu quelques minutes en salle d’attente aurait déposé l’enveloppe à l’accueil sans contact avec la secrétaire ou un médecin…
  • Le pédiatre exerce dans un cabinet de groupe (en banlieue d’une grande ville) ouvert le samedi jusqu’à 16 heures environ (présence de deux médecins généralistes) ; il a fini ses consultations vers 13 heures. Une secrétaire est présente aux heures d’ouverture du cabinet. En son absence,  en cas d’appel sur sa ligne directe, il y a une bascule automatique vers l’accueil au bout de trois sonneries ; une permanence est effectuée au standard.
  • Le résultat des analyses lui a été apporté par la mère le mardi matin et personne n’a jamais retrouvé l’enveloppe déposée par la secrétaire.
  • La mère en se rendant au laboratoire, le 15 juillet, (le secrétariat du laboratoire lui avait conseillé de venir chercher le résultat après le « pont » du 14 juillet …) s’est vue en effet remettre les deux exemplaires originaux des résultats, dont l’un destiné au prescripteur…
  • Elle s’étonne que le laboratoire n’ait pas eu son adresse car certes elle avait déménagé quelques années auparavant mais s’était rendue depuis au laboratoire pour des examens munie de sa carte vitale à jour de ses coordonnées.

 

Expertise

 

Il s’agissait d’une urgence médicale. La transmission de ce résultat fait partie des diligences attendues du biologiste responsable. Il semble que les diligences de la secrétaire du laboratoire « n’aient pas été satisfaisantes » mais le biologiste devait s’assurer elle même que le médecin prescripteur était directement informé le jour même. L’argument selon lequel la mention « urgent » ou « téléphoner le résultat » ne figure pas sur l’ordonnance n’est pas recevable.

On peut regretter l’absence de mesure capillaire de la glycémie par un lecteur portable le jour de la consultation. Le pédiatre a expliqué ne pas disposer d’un tel matériel de mesure pourtant très répandu et utilisé quotidiennement par les médecins susceptibles d’intervenir en situation d’urgence. Le site de l’HAS (consulté en juillet 2008) ne semble pas formuler de recommandation à cet égard. On peut également regretter que le médecin n’ait pas décidé de faire boire l’enfant et de le faire attendre en salle d’attente le temps nécessaire pour qu’il puisse de nouveau uriner. L’importance de la perte de poids devait alerter et des deux diagnostics évoqués, l’un devait être rapidement éliminé car engageant le pronostic vital. L’absence de mesure de la glycémie au cabinet ne parait pas, isolément, dans le contexte d’un cabinet être constitutif d’une faute dans la mesure où elle pouvait être « compensée » par l’examen urinaire. L’absence d’examen des urines alors que le pédiatre l’avait envisagé et qu’il avait le matériel pour le faire, à condition d’y consacrer le temps nécessaire, est fautive.

Le coma et l’ensemble des complications (hémodynamiques, cardiaques, pulmonaires et rénales) auraient pu être évités.

 

Une transaction est intervenue en accord avec l’assureur du laboratoire sur la base d’un partage de responsabilité : 60% pour le laboratoire et 40% pour le pédiatre.

L’indemnisation prenant en compte le préjudice de l’enfant (dont les souffrances endurées en réanimation) et le préjudice moral des parents, versée par l’assureur du pédiatre, s’élève à 12 700€.

 

Les parents avaient porté plainte au Conseil de l’Ordre contre le médecin biologiste qui a été condamné d’un blâme.

Ce matériel est réservé à un usage privé ou d’enseignement. Il reste la propriété de la Prévention Médicale, et ne peut en aucun cas faire l’objet d’une transaction commerciale.