Défaut de diagnostic d'une coronarite

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Douleurs angineuses récidivantes chez une femme de 41 ans. Malgré des signes évidents, les retards de prise en charge se succèdent. Le médecin n’est pas assez persuasif, la patiente refuse le transfert vers un pôle d’urgences cardio-vasculaires. Décès brutal 11 jours plus tard.

Auteur : le Dr Christian Sicot / MAJ : 06/07/2022

Cas clinique

Le 29 mars 2016, en début de matinée, une femme de 41 ans, préparatrice en pharmacie, consulte un généraliste (Dr A.) proche de son lieu de travail car, depuis la veille, elle ressent une douleur rétrosternale avec irradiation dans le bras gauche. Evoquant un angor, le Dr A., l’adresse, sans retard, aux urgences d’une clinique voisine comportant une unité cardio-vasculaire avec présence d’un cardiologue 24h/24, en lui confiant la lettre suivante :

"(…) Patiente présentant depuis 24 h une douleur rétrosternale à type de "serrement", avec irradiation dans le bras gauche, sans notion d'effort, mais stress environnant... Douleur cédant très rapidement puis récidivant à plusieurs reprises justifiant une consultation ce matin... A cette heure, examen clinique sans grande particularité, auscultation cardio-vasculaire RAS, TA limite sup (déjà connue... ). Il n'y a pas de signe de thrombose veineuse périphérique, .... Antécédents : Tabac 0 - Six grossesses dont 4 fausses couches. Contraception par Harmonet® (…)"

Le 29 mars 2016 à 9 h 31, (J0) prise en charge aux urgences de la clinique (Dr B.) :

"(…) Patiente se présentant pour des douleurs thoraciques mal définies évoluant de façon intermittente, non rythmées par l’effort, apparues la veille. Actuellement, pas de douleur, rythme cardiaque régulier. Pouls périphériques bilatéraux et symétriques. Mollets souples et indolores. Pas de troubles respiratoires. Abdomen souple, insensible dans son ensemble. Pas de sepsis. TA : 180/109 puis 170/99, Pouls : 85 / 82 ; Temp. : 36, 8°C ; SaO2 : 99 %. ; ECG : Normal ; Radio pulmonaire : Normale ; Bilan biologique Hb : 15,4 g/dl, GB : 5800/mm3 , plaquettes : 239 000/mm3 ; CRP : 4 mg/l, Troponine : 0,01 ng/ml ( normal < 0,03 ng/ml), TP 100 %, Ionogramme sanguin normal, Bilan hépatique normal. Bêta HCG négatif. Conclusion : retour à domicile avec conseil de voir un cardiologue en externe (…)".

Sortie à 12 h. A noter que l’urgentiste n’avait pas sollicité l’avis du cardiologue présent.

Le 1er avril 2016 (J4), consultation de son médecin traitant (Dr C.) par la patiente.

"(…)  Motif : vue aux urgences de la clinique. Bilan biologique, ECG, RP rassurants. Une autre crise douloureuse a minima le 30/03. Rien depuis, Douleur pariétale ? Conclusion : "précordialgie" Voir action : Natispray®"

Ordonnance : Natispray® 0,15 mg/dose, solution pour pulvérisation. Une pulvérisation à renouveler une ou deux fois en cas de douleur d’angine de poitrine (…).

Lettre adressée à un cabinet de 3 cardiologues :

"(…) Femme de 41 ans, présentant des précordialgies gauches avec irradiation dans le bras gauche, survenant par salves. Bilan aux urgences rassurant. Prescription Natispray® ce jour en test si besoin. Origine pariétale possible… Sa TA est à 130/70 (…)"

Le 8 avril 2016 (J11), prescription de Bromazépam par le Dr C. (sans consultation médicale).

Le 13 avril 2016 (J16), consultation du Dr D., généraliste remplaçant du médecin traitant :

"(…) Douleurs pectorales, trapèze, épaule, bras gauche. Episode de crises de repos, nocturnes, se répétant, soulagées en quelques secondes par Natyspray®. Pas de douleur en consultation.
Contact pris avec l’Unité de Douleurs Thoraciques du CHU (UDT) mais pas d'entrée directe possible en UDT en l’absence de douleur lors de l’examen. Proposition faite à la patiente de retourner aux urgences de la clinique pour consultation du cardiologue de garde. Refus de la patiente. Conseil donné de reprendre contact en cas de nouvelle douleur (…)".

Le 16 avril 2016 (J19), consultation du cardiologue :

"(…) Je vous remercie de m'avoir adressé votre patiente, Madame X., pour douleurs angineuses. Cette patiente n'a pas de facteur de risque cardiovasculaire. Pas d'antécédent particulier.
Sur le plan familial, hypertension artérielle chez son père et sa mère. 
Sur le plan fonctionnel, la patiente se plaint de douleurs thoraciques assez typiques rétro-sternales irradiant dans le bras gauche voire dans l'épaule gauche, soulagées par la prise de Trinitrine. Pas de dyspnée, pas de malaise, pas de palpitation. Ces douleurs thoraciques ne sont pas rythmées par l'effort. Cliniquement : les bruits du cœur sont réguliers, sans souffle. Pas d'insuffisance ventriculaire droite ou gauche. Les pouls périphériques sont perçus, sans souffle sur le trajet vasculaire.
L'ECG inscrit un rythme sinusal régulier, un axe des QRS normal. Fréquence cardiaque à 90/min. Pas de trouble de la repolarisation.
L'échocardiographie - Doppler retrouve un VG de taille et de cinétique normales. Pas de trouble de la cinétique. Pas d'HVG. Pas de valvulopathie aortique. On note toutefois une IM minime sans critère de gravité échocardiographique. 
Au total : ses douleurs thoraciques sont clairement angineuses et me font évoquer en première intention un spasme coronarien chez cette femme jeune sans facteur de risque cardiovasculaire. Je prévois donc chez elle la réalisation d'une coronarographie avec test au Méthergin le 25/04/2016 afin d'infirmer ou d'affirmer ce diagnostic (…)". 

Le 22 avril 2016 (J25), Biologie : Hb : 15,2 g/dl, GB 6 000/mm3, plaquette 293 000/mm3, TP 100 %, D-Dimères < 0, Troponine US < 13 pg/ml (normale), ionogramme sanguin, cholestérol, triglycérides  normaux. 

Le 24 avril 2016 à 9 h 45 (J27), patiente retrouvée décédée à son domicile par son fils.

Extrait du rapport d’autopsie médico-légale :

"(...) Obstruction de l’artère interventriculaire antérieure associée à une zone blanchâtre du myocarde dans sa partie antéro-septale (signe de souffrance du muscle cardiaque probable)

Anatomopathologie : Au niveau du ventricule gauche antérieur, lésions à type de bandes de contraction et de dégénérescence myofibrillaire. Ces lésions non spécifiques peuvent être causées par un infarctus myocardique. Elles peuvent également être liées à des manœuvres de réanimation où être induites par des toxiques cardiaques. Au niveau du septum, présence de zones remaniées, avec fibrose ; sans remaniement hémorragique mais associée à des sidérophages, quelques macrophages et des lymphocytes, sans polynucléaire. Ces lésions peuvent correspondre à des zones d’ischémie semi-récente dont l’âge peut être estimé à 2 à 3 semaines.

L’échantillonnage réalisé au niveau de la coronaire interventriculaire antérieure retrouve une sténose qui peut être estimée jusqu’à 90 %. Cette plaque fibrinocruorique présente des remaniements inflammatoires et hémorragiques lui conférant un caractère instable. Les signes de souffrance myocardique du ventricule gauche se situent dans le territoire de perfusion de la coronaire interventriculaire antérieure (...)".

Saisine de la Commission de Conciliation et d’Indemnisation (CCI) par les ayants droit de la patiente pour obtenir réparation du préjudice subi (décembre 2018)

Expertise (mai 2019)

Pour les experts, l’un professeur des universités, chirurgien cardio-vasculaire et l’autre, praticien hospitalier, anesthésiste-réanimateur :

"(…).La patiente est décédée à l’âge de 41 ans d’un infarctus myocardique sur une sténose à 90% de la coronaire interventriculaire antérieure.

Dans les pays occidentaux les cardiopathies ischémiques représentent la première cause de mortalité chez la femme (38 % des décès contre 22 % à la suite de cancers). Le risque de décès au cours d’un syndrome coronarien aigu est plus important chez la femme jeune (cas de la patiente). Le diabète et l’hypertension artérielle sont des facteurs essentiels de risque chez la femme (HTA 60-70 % des infarctus) (cas de la patiente).

La présentation clinique est d’autant plus trompeuse que la femme est jeune : asthénie, dyspnée, douleur thoracique atypique, troubles du sommeil. L’angor typique est plus rare (cas de la patiente). Le facteur discriminant par rapport à l’homme est que cette douleur angineuse n’a souvent pas de lien avec l’effort (cas de la patiente) mais survient au cours d’activités quotidiennes ou d’un stress psychologique.

Concernant les examens complémentaires :

  • L'ECG d'effort est moins fiable que chez l'homme.
  • L'échocardiographie de stress avec étude segmentaire est plus précise pour le diagnostic positif de la maladie coronarienne (Sensibilité 80 % - Spécificité 76 %).
  • La coronarographie est l’examen clé confirmant le diagnostic d’ischémie myocardique et de lésions significatives ou au contraire éliminant le diagnostic. Chez la femme, les artères coronaires sont souvent de petit calibre et sensibles aux spasmes (Épreuve au Methergin). Leur trajet est souvent Intra myocardique et la circulation collatérale moins développée. Les lésions sténosantes sont plus volontiers mono ou bi tronculaires (lésion isolée de l’IVA proximale chez la patiente).
  • Chez la patiente, la symptomatologie typique devait faire envisager, d’emblée, des explorations cardiologiques complémentaires. La non réalisation de celles-ci n’est pas conforme aux règles de l’art et des données acquises de la science. Ce manquement a été responsable de l’infarctus et du décès de la patiente.

La responsabilité des différents intervenants peut s'envisager de la façon suivante :

  • Pour le Dr A., que la patiente a consulté en premier, la douleur est fortement évocatrice d’un angor et justifie sa prise en charge aux urgences de la clinique. Sa démarche a été logique et adaptée.
  • Pour le Dr B., urgentiste, il n’y avait pas de douleur lors de sa prise en charge (EVA = 0), l’électrocardiogramme était normal, le bilan biologique (troponine) également. Il a donc préconisé de consulter un cardiologue en externe. Il faut noter qu’il n’y a pas eu de lettre adressée à un cardiologue, ni de surveillance pendant 4 heures, ni de deuxième dosage de troponine ou d'électrocardiogramme. On doit souligner que la clinique possède un pôle cardiaque, cardio-vasculaire et thoracique avec la présence d’un cardiologue 24h/24 et que celui-ci n’a pas été sollicité.
  • Le Dr C. était le médecin traitant de la patiente, mais sans suivi spécifique. Il n’y avait pas de traitement au long cours pour l’HTA. Lors de sa prise en charge, il n’avait pas reçu de document émanant de la clinique. L’examen clinique était rassurant. Il connaissait le côté anxieux de la patiente et a évoqué un douleur d’origine pariétale. Il est informé d’une récidive douloureuse la veille a minima. Dans l’hypothèse d’une origine coronarienne, il a prescrit du Natispray® à but de test thérapeutique. Il a donc contacté, par courrier, le cabinet des cardiologues et a obtenu un rendez-vous 15 jours plus tard. A ce stade, l’évolution clinique de la patiente était fortement évocatrice d’une pathologie coronarienne. Il n’a pas été réalisé de nouvel électrocardiogramme. La prescription d’un test au Natispray® ne peut se concevoir qu’avec un suivi du résultat obtenu et en cas de positivité, une orientation sans délai pour un avis cardiologique. Lors de la prise de rendez-vous auprès du cardiologue, il n’y a pas eu de contact téléphonique direct avec le cardiologue pour expliquer la situation. 
  • Pour le Dr D., remplaçant : Il n’y a pas de douleur lors de l’examen. Il a la notion de cette douleur irradiant dans le bras gauche calmée par le Natispray®. Il a donc contacté l’Unité de Douleur Thoracique du CHU mais, en l’absence de douleur lors de l’examen, il n’a pas été possible d’hospitaliser immédiatement la patiente. Il lui a alors proposé de retourner au service des urgences de la clinique, ce qu’elle a refusé. Il est informé du rendez-vous avec le cardiologue 3 jours plus tard. Il a donc préconisé de reprendre contact en cas de récidive douloureuse. A ce stade, l’origine coronarienne de la douleur est quasi-certaine, en raison du soulagement immédiat par le Natyspray®. Il n’a pas été possible pendant l’expertise d’obtenir davantage de renseignements sur l’échange qui a eu lieu avec l’Unité de Douleurs Thoraciques et le correspondant qui n’a pas accepté l'admission de la patiente. Il n'y a pas eu de nouvel électrocardiogramme ni de bilan biologique, ni de correspondance complémentaire pour le cardiologue. Il n’a pas été tenté non plus de revoir la patiente, avec son conjoint par exemple, pour expliquer la gravité de la situation et la nécessité de poursuivre la prise en charge sans délai ou de recontacter le cardiologue qui devait la voir en consultation.
  • Pour le cardiologue, la patiente ne présente pas de douleur thoracique. Il est en possession du courrier de son médecin traitant, mais n’a pas de document des urgences de la clinique. Il a connaissance de l’examen du Dr D., Le bilan qu’il réalise est normal (électrocardiogramme ; échographie). Il prescrit un bilan sanguin et inscrit la patiente pour une coronarographie le 25 avril 2016, soit 9 jours plus tard. Il évoque un spasme coronarien et prévoit un test au Méthergin. Il conseille un appel au centre 15 en cas de récidive douloureuse. Il est constaté un délai trop important entre l’examen du cardiologue et la date prévue de la coronarographie en raison d’une clinique très parlante malgré des examens rassurants. La symptomatologie était typique et justifiait d’une prise en charge sans délai.

Pour l’imputabilité des préjudices, il faut tenir compte : du taux de mortalité d’un infarctus du myocarde chez une femme de 41 an, soit 10 % et de la responsabilité de la patiente pour son refus d’admission aux urgences, soit 20 % (mais l’information donnée par le Dr D., sur le risque de se soustraire à l’hospitalisation n’est pas connue).

Concernant les intervenants :

  • Pour le Dr A., sa démarche a été cohérente, et il n’y a pas de perte de chance qui puisse lui être imputable. 
  • Pour le Dr B., urgentiste, il aurait pu solliciter un cardiologue sur place, et s’assurer de l’orientation vers un cardiologue. La perte de chance dont il est responsable est évaluée à 10 %.
  • Pour le Dr C., médecin traitant, sa prescription de trinitrine ne peut qu’évoquer une origine coronarienne aux douleurs de la patiente et justifiait donc d’une prise en charge plus incisive. La perte de chance dont il est responsable est évaluée à 15 %.
  • Pour le Dr D., médecin remplaçant, il a tous les éléments pour apprécier la gravité de la pathologie de la patiente (Trinitrine +) et il tente effectivement d’orienter au mieux celle-ci. Durant l’expertise, il a été constaté la réponse faite par l’Unité de Douleurs Thoraciques du CHU sans en avoir les éléments d’appréciation. La prise en charge reste cependant insuffisante et la perte de chance est évaluée à 15 %.
  • Pour le cardiologue, tous les éléments étaient réunis pour évoquer une origine coronarienne malgré la normalité du bilan et cela devait entraîner la réalisation d’une coronarographie sans délai. La perte de chance évaluée par sa prise en charge est évaluée à 30 % (…)".

Commission de Conciliation et d'Indemnisation (janvier 2021)

La Commission considère :

"(…) il résulte du rapport d’expertise et des débats de la Commission que :

  • la prise en charge des douleurs de la patiente, par le Dr A., était cohérente et justifiait, comme cela a été le cas, un transfert au service des urgences ;
  • concernant la prise en charge du Dr B., urgentiste, ce dernier aurait dû solliciter un avis cardiologique sur place et orienter la patiente vers un cardiologue pour une prise en charge adaptée ; que le fait de préconiser une consultation en externe a conduit à un retard de prise en charge responsable d’une perte de chance de survie de 10 % ; 
  • concernant la prise en charge du Dr C., médecin traitant, la prescription de trinitrine ne pouvait qu’évoquer une origine coronarienne à ces douleurs et justifiait une prise en charge plus poussée ; qu’aucun nouvel électrocardiogramme ne fut demandé ; que lors du transfert vers le cardiologue, aucun appel préliminaire ne fut effectué afin de préciser la situation ; que ces manquements ont conduit à une perte de chance de survie de10 % ; 
  • la prise en charge du Dr D., remplaçant, a été conforme aux règles de l’art, ne disposant pas des éléments médicaux ; 
  • le cardiologue, malgré tous les éléments permettant d’évoquer une origine coronarienne, n’a pas pris la décision de réaliser une coronarographie en urgence, que ce manquement a conduit à une perte de chance de survie de 30 %.

 Au total, la réparation des préjudices incombe aux Dr B., et C., chacun à hauteur de 10 % des préjudices subis et au cardiologue, à hauteur de 30 % des préjudices subis (…)".

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