Non-diagnostic d'une sciatique d'emblée paralysante

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Non-diagnostic d'une sciatique d'emblée paralysante : surcharge du cabinet médical invoquée

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  • Un médecin ausculte un patient souffrant d'une sciatique

Découvrez l'analyse de ce cas clinique qui met en exergue un défaut de prise en charge par un médecin traitant, entraînant pour son patient une perte de chance significative avec séquelles suite à une sciatique paralysante.

Auteur : le Dr Christian SICOT / MAJ : 30/06/2021

Cas clinique

Le 31 mai 2018, un homme de 53 ans, militaire de carrière ressent, lors de son service, une douleur brutale dans le dos et la jambe gauche. Il est contraint de rentrer chez lui en raison de l’intensité de la douleur. Un voisin le conduit en urgence au cabinet d’un médecin généraliste qu’il a déjà consulté en mai 2017 pour des lombalgies.

Le médecin ne le fait pas se déshabiller, et ne l’examine pas. Il l’informe qu'il a une sciatique gauche et lui prescrit un traitement antalgique associant des injections  de Kétoprofène à faire faire à domicile par une infirmière et la prise orale de Tramadol et de Diclofenac. Des radiographies du rachis lombaire sont également demandées.

Le patient regagne son domicile. Il boite et n'a plus de sensation dans la jambe gauche. Malgré le traitement prescrit, les douleurs ne sont pas améliorées.

Le 4 juin 2018, les radiographies du rachis lombaire ne mettent pas en évidence d'aspect particulier.

Le même jour, le patient reconsulte le médecin généraliste qui ne l'examine pas davantage et lui prescrit un scanner du rachis lombaire. Le traitement précédent est remplacé par la prise d’OxyNorm® et d’OxyContin®.

Le 18 juin 2018, le scanner met en évidence une volumineuse hernie discale L4-L5 gauche. Le patient n’a toujours pas de sensation dans la jambe et son pied "accroche".

Le médecin généraliste adresse alors le patient en consultation à un neurochirurgien.

Le 30 juin 2018, lors de la consultation, le neurochirurgien constate une paralysie complète de L5 et informe le patient qu'il était trop tard pour opérer car les chances de récupération sont minimes.

Après prescription d’une corticothérapie ayant entraîné une légère amélioration, le neurochirurgien fixe une date d'intervention pour le 12 juillet 2018.

A son réveil, le patient dit ne plus avoir mal.

Du 25 février au 30 avril 2019, le patient reste hospitalisé en service de rééducation (30 séances) puis est suivi en hôpital de jour 3 fois par semaine.

Le 30 novembre 2018, un électromyogramme met en évidence une ré-innervation très partielle du nerf tibial antérieur et très appauvrie dans le territoire des extenseurs du pied.

Lors de l'expertise (mai 2019)

Le patient

Le patient se plaint de la réapparition progressive de douleurs, mais différentes des douleurs initiales, à type de crampes et de douleurs de l'avant du pied. L'électrothérapie et la rééducation avaient été poursuivies jusqu’au 30 avril 2019. A cette date, il avait repris son travail de façon sédentaire et avait été radié des cadres de l'armée le 1er août 2019.

Examen clinique

  • Poids 83 kg pour une taille de 1,73 m.
  • Boiterie à la marche (utilisation d’une attelle de releveur du pied gauche).
  • Steppage du pied après ablation de l'attelle.
  • Le pied gauche est plus pâle et plus froid que le pied droit.
  • Amyotrophie du mollet de 1/3 et du quadriceps de 1/20e par rapport à la droite.
  • Examen de la force musculaire : à gauche, déficit complet du releveur du pied, des péroniers latéraux, du releveur du gros orteil ; déficit coté à 4/5 du moyen fessier ; à droite, force musculaire normale.
  • Examen de la sensibilité : hypoesthésie L5 gauche.

Le médecin généraliste

A la question posée par l'expert de savoir si effectivement, d'après les dires du patient, l'examen n'avait pas été pratiqué, le médecin généraliste répondait "ne pas se souvenir et que, voyant 30 à 32 patients par jour, il ne pouvait pas noter tous les détails sur ses fiches de consultation".

Saisine de la Commission de Conciliation et d'Indemnisation par le patient pour obtenir réparation du préjudice qu'il a subi (février 2019).

Le patient reproche au médecin généraliste un manque total de professionnalisme et de notion d'urgence.

Expertise (mai 2019)

Pour l’expert, professeur des universités, neurochirurgien :

"(…) le patient a présenté brutalement des lombalgies avec une sensation d'engourdissement complet du membre inférieur gauche associée à une boiterie du fait des difficultés à placer son pied. Il s'agissait donc d'emblée d'une sciatique paralysante.

Ces sciatiques paralysantes doivent faire l'objet d'examens complémentaires en urgence ainsi que d'une intervention. Lorsqu’elles sont prises en charge dans les suites immédiates de l'apparition des signes déficitaires, la récupération peut être évaluée entre 50 et 75 % des cas.

Le médecin généraliste reçoit le patient en urgence mais selon les dires de ce dernier et la fiche de consultation du médecin, aucun examen n'a été pratiqué, seule la prescription d'antalgiques et une radiographie a été faite. Cette attitude est non conforme aux règles de l'art.

Dans les jours qui ont suivi, notamment le 4 juin 2018, cette attitude non conforme s'est confirmée.

Cette attitude est responsable d'une perte de chance de 50 % de voir le déficit moteur récupérer, en considérant qu'il était complet d'emblée. S’il avait été incomplet d'emblée puis s'était aggravé dans les heures qui avaient suivi la première consultation, la perte de chance aurait été de 75 % du fait de ne pas avoir examiné le patient lors de la première consultation.

Dans l'état actuel du patient, la paralysie complète sciatique L5 gauche ainsi que les douleurs de type neuropathiques sont imputables à ce défaut de prise en charge. En revanche l'intervention du neurochirurgien, la rééducation sont à mettre sur le compte de l'état antérieur (sciatique paralysante par hernie discale).

En conclusion :
Le patient a présenté brutalement une lombosciatique paralysante qui n'a pas été prise en charge par son médecin traitant du fait d'un défaut d'examen clinique et de la non prescription des examens complémentaires indiqués en urgence.

Cette attitude non conforme du praticien entraîne une perte de chance pour le patient de 50 % d'éviter les séquelles actuelles (…)".

Commission de Conciliation et d'Indemnisation (juillet 2019)

Se fondant sur le rapport d’expertise, la Commission considérait que :

"(…) l’examen clinique du patient devait impérativement être retranscrit sur une feuille de consultation. Le déficit moteur imposait de faire réaliser en urgence une imagerie (scanner ou IRM) ou de faire d’emblée transférer le patient dans un service de chirurgie du rachis. Plus encore, lorsque le patient a reconsulté le médecin généraliste le 4 juin 2018, il n’a pas davantage été examiné et un scanner a été prescrit sans urgence.

Il résulte de ce qui précède que la prise en charge par le médecin n’a pas été conforme aux règles de l’art.

Toutefois, la Commission relève qu’une prise en charge optimale n’aurait pas supprimé tout risque de séquelle neurologique. La faute commise par le médecin a donc fait perdre au patient une chance d’éviter le dommage actuel. Selon l’expert, si le déficit moteur du patient était complet d’emblée, il existait 50 % de chances de récupération en cas de prise en charge rapide. S’il était incomplet puis s’était aggravé dans les heures qui ont suivi la première consultation, les chances de récupération étaient de 75 % (…)".

Au vu de ces éléments, la Commission, après en avoir délibéré, estimait cette perte de chance à 50 %.

Commentaire

Dans cette observation, la seule barrière de récupération, - en fait, d’atténuation -, était fondée sur la réaction du patient. Conscient du manque de professionnalisme du médecin qui ne l’avait pas examiné, il devait, dans les meilleurs délais, reconsulter, de préférence, dans le service d’urgence d’un hôpital ou d’une clinique.

Les situations, dans lesquelles le patient (ou, plus rarement, l’un de ses proches) auraient pu éviter ou, tout au moins, limiter les conséquences d’une erreur ou d’une déviance médicale, sont peu ou pas connues.

C’est pourtant en diffusant l’analyse rétrospective de tels exemples que l’on parviendra à convaincre les patients qu’ils peuvent jouer un rôle non négligeable dans la prévention des accidents médicaux fautifs et, donc dans l’amélioration de la sécurité des soins(1).

(1) Sicot C. - Le patient et l’erreur médicale - L’Harmattan 2019

 

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