Les barrières de prévention ou de sécurité diffèrent selon les secteurs d’activités de soins. Elles sont mises en place par les équipes de soignants chaque fois qu’une cartographie des risques est réalisée.
Mais cela n’est pas suffisant… Il est important de diffuser, de communiquer sur les dangers qui sont parfaitement connus et qui génèrent des risques pour les patients pris en charge dans nos organisations de soins.
"Le diable est dans les détails"...
Qui aurait pu imaginer qu'une situation qui semblait somme toute maîtrisée puisse générer un événement indésirable grave de ce type ?
Les réflexions collectives doivent alimenter la construction des cartographies de risques de chaque secteur et, surtout, un partage d’expérience est indispensable pour construire et surtout respecter les barrières de sécurité nécessaires à des prises en charge sécure…
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Mme R., 82 ans, est orientée par le médecin de SMR (Soins Médicaux et de Réadaptation) vers le service de neurologie du centre hospitalier de secteur pour une suspicion d’Accident Vasculaire Cérébral…
Mme R. habite une maison individuelle. Elle vit en couple avec son conjoint depuis toujours. Elle a comme antécédents médicaux deux épisodes d’Accident Ischémique Transitoire (AIT). Elle a comme traitement préventif antithrombotique – acide acétylsalicylique ou aspirine®. Pour ce qui concerne les antécédents chirurgicaux, elle est hospitalisée en SMR pour une rééducation dans les suites d’une fracture per trochantérienne qui a été traitée chirurgicalement avec la mise en place d’une prothèse intermédiaire.
Elle a été transférée en centre de rééducation au 5e jour postopératoire.
Les suites en secteur de court séjour ont été simples.
Dans son programme de rééducation, le médecin qui s’occupe de la patiente prescrit une prise en charge kinésithérapique et des séances d’Activité Physique Adaptée (APA). Ses soins sont planifiés à raison d’une séance de chaque (kiné et APA) dans la journée.
Au 17e jour de son séjour, la patiente signale à l’aide-soignante (AS), qui est venue pour l’aide à la toilette, qu’elle a eu après le petit déjeuner des signes similaires à ceux des précédents AIT : baisse transitoire de force dans le bras droit, impression de déformation du visage, trouble de l’élocution… Elle précise que cela a duré près d’une vingtaine de minutes et qu’elle n’a pas réussi à actionner l’appel patient.
L’aide-soignante en informe immédiatement l’infirmière diplômée d’État (IDE) en charge de la patiente et le médecin. Ce dernier passe voir rapidement la patiente, réalise un examen clinique qui ne sera pas contributif, objective les symptômes décrits lors d’un interrogatoire précis et détaillé. Le praticien explique alors à la patiente que la situation semble stabilisée, que le fait d’avoir signalé les symptômes aussi rapidement permettait de réagir au plus vite… il lui propose alors de l’orienter vers un service spécialisé pour surveillance et pour réaliser un examen d’imagerie médicale adaptée à la situation clinique. La patiente accepte, d’autant qu’elle a un retour d’expérience de ce type de manifestation et qu’elle en comprend l’importance.
La patiente est alors transférée en neurologie, après le déjeuner, vers le CH de secteur. Elle arrive en secteur d’hospitalisation, où elle est installée par l’AS du service dans sa chambre ; l’IDE vient réaliser l’entretien d’accueil, et notamment réalise les vérifications d’identité secondaire. Le neurologue vient alors faire le point avec la patiente, reprend les éléments transmis par le médecin rééducateur, les valide et propose de réaliser une IRM cérébrale de diffusion pour confirmer le diagnostic ou l’infirmer (absence d’infarctus cérébral). Cette dernière accepte. Le neurologue obtient, au vu du tableau clinique stable, un rendez-vous pour le lendemain à 11h30. Il en informe la patiente.
Le jour de l’examen, l’IDE demande à une étudiante infirmière de 2e année d’accompagner la patiente en service d’imagerie médicale, le service de brancardage ne pouvant assurer le transfert. Le secteur d’imagerie étant à proximité du secteur d’hospitalisation, il est proposé à la malade d’y aller à pied, avec son déambulateur. Elle accepte, d’autant plus, dit-elle, qu’il n’y a pas eu de séance de kinésithérapie depuis son arrivée.
À l’arrivée en imagerie, la secrétaire en charge de l’accueil des patients les oriente vers le secteur d’IRM et leur précise d’attendre en salle d’attente.
Un manipulateur en électroradiologie vient les accueillir, les fait entrer dans le box de préparation à l’examen… leur demande de patienter quelques instants. La seconde porte du box étant ouverte, l’étudiante propose à la patiente d’avancer ; elles se retrouvent dans une salle intermédiaire, continuent à avancer avant d’entrer dans la salle d’IRM.
Brutalement, l’étudiante, qui découvre cet environnement nouveau pour elle, entend la patiente pousser un cri, la voit tomber au sol sans avoir le temps d’éviter ou d’amortir la chute, et entend un bruit sourd de cognement de ferraille. Elle constate alors avec effroi que le déambulateur de la patiente est incarcéré dans le tube de l’IRM.
La patiente, quant à elle, présente une plaie profonde de l’arcade sourcilière et se plaint d’une douleur à la hanche opérée récemment…
le manipulateur en électroradiologie accourt, alerté par les bruits inquiétants. Il prend en charge la patiente, appelle le médecin des urgences qui arrive rapidement et fait le point de la situation ; il propose le transfert de la patiente en secteur urgences pour faire un bilan lésionnel dans un premier temps.
L’étudiante infirmière est quant à elle en état de sidération, ne comprenant pas ce qui est arrivé.
Le manipulateur en électroradiologie constate alors les dégâts matériels, prévient les managers (médical et paramédical). Les constats réalisés objectivent un arrêt de l’activité d’IRM et les managers demandent l’intervention rapide de la société de maintenance de l’IRM.
Le bilan lésionnel de la patiente montrera - outre la plaie de l’arcade sourcilière qui sera suturée par un chirurgien plasticien – une fracture de la diaphyse fémorale en dessous de la prothèse. Le traumatisme crânien objectivera une surveillance neurologique qui ne montrera aucun signe clinique pathologique dans les 24 heures suivantes.
La patiente bénéficiera d’une ostéosynthèse de sa fracture le lendemain ; les suites seront simples. L’examen d’IRM sera réalisé dans un autre centre au 6e jour de sa chute qui ne montrera aucun signe d’AIT.
Elle rejoindra alors le centre de rééducation au 9e jour de sa chute et pourra rentrer à son domicile 9 semaines plus tard.
Le service de maintenance de l’IRM interviendra rapidement mais, au vu des dégâts, proposera un planning de réparation, après vérification de la disponibilité des pièces, d’une dizaine de jours, avec un impact conséquent sur l’activité.
La patiente a manifesté son découragement devant sa situation clinique. Elle trouve que cet accident aurait pu être évité… avec plus de vigilance. Les enfants, quant à eux, ne décolèrent pas au vu des conséquences pour leur Maman.
Le directeur de l’établissement a proposé à l’ensemble des professionnels concernés de faire réaliser une analyse de cet événement indésirable grave (EIG) par le gestionnaire de risques de la structure. Cette proposition a été acceptée à l’unanimité.
Les données analysées proviennent des éléments recueillis au préalable auprès des professionnels de santé qui sont intervenus dans la prise en charge de cette patiente : recueil réalisé lors d’entretiens individuels, analyse de documents, lecture du dossier… La méthode ALARM est retenue.
C’est la chute de la patiente qui a alerté les professionnels de santé présents.
Il est important de mettre en évidence les barrières de défenses qui ont été déficientes.
Lors des discussions au cours de l’analyse collégiale de cet événement indésirable, les différents acteurs concernés ont retenu que certaines barrières de prévention n’avaient pas été mises en œuvre par défaut de réflexion sur le sujet… absence de cartographie du risque.
Elle représente un des leviers qu'il convient d'améliorer. Plusieurs pistes sont évoquées :
Le facteur humain doit être pris en compte : ne pas rajouter du mode dégradé au mode dégradé…
Les réflexions en termes d’organisation doivent être faites en amont pour savoir ce qui est acceptable et ce qu’il n’est pas acceptable de demander à ses collègues de travail. Ces positionnements doivent être partagés entre acteurs de santé et surtout être respectés.
Certains secteurs ou certains actes de soins ne peuvent souffrir d’être interrompus au risque de générer du danger pour les patients pris en charge. Si une situation requiert de l’aide ponctuelle urgente, il convient de mettre en place des barrières de sécurité intermédiaires pour éviter un incident ou un accident.
Dans le cas présent, il a été retenu collectivement que les box de préparation des patients pour un examen d’imagerie doivent constituer une barrière de sécurité physique (porte reste fermée), pour éviter que le patient (ou l’accompagnant) ne déambule dans des espaces présentant un danger potentiel.
Enfin, une réflexion doit être initiée sur les valeurs ajoutées d’une déclaration des EI au sein de chaque secteur pour nourrir leur cartographie des risques qui sera réalisée rapidement (action prioritaire du PAQSS de la structure) >> culture de sécurité remise au centre des préoccupations des professionnels de santé.
Cette dynamique peut être à l’origine de décisions collectives pour activer certaines barrières de sécurité : l’analyse de cet EI a mis en exergue l’absolue nécessité de réfléchir collectivement sur les barrières de sécurité à mettre en œuvre pour sécuriser les parcours de soins.
Le partage des expériences des uns doit pouvoir nourrir les retours d’expérience des autres.