Chute à l'hôpital

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Chute à l'hôpital

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  • Dame âgée dans un lit d'hôpital

Une patiente âgée est hospitalisée pour anémie. Une installation au fauteuil est prescrite et réalisée le jour même à l'aide d'un lève-malade.

Ce dispositif médical usé et défectueux entraîne la chute de la patiente ainsi qu'une fracture per trochantérienne.

Auteur : Bruno FRATTINI, Cadre Supérieur de Santé IADE – Expert en prévention des risques / MAJ : 05/02/2021

Anamnèse

Mme M., patiente de 87 ans, est hospitalisée en Unité Gériatrique Aiguë (UGA) pour altération de l’état général (AEG).

Elle bénéficie d’un maintien à domicile dans un contexte lourd d’antécédents médicaux : Accident Vasculaire Cérébral en 2008, grabataire depuis 10 ans, diabète insulino requérant, HTA, insuffisance cardiaque, arthrose diffuse, surdité, goutte, surpoids avec un Indice de Masse Corporel de 34.

C’est le médecin traitant qui a demandé une hospitalisation de quelques jours pour un bilan de cette AEG en secteur spécialisé ; son état de santé ne lui permettant pas plusieurs transports sanitaires pour la réalisation de divers examens.

Le jour de son arrivée dans le service, le gériatre en charge de la patiente procède à un examen clinique complet non contributif et demande un bilan sanguin standard et un scanner corps entier pour orienter potentiellement le diagnostic. Le médecin radiologue propose de prendre la malade en charge dès le lendemain, en fin de matinée.

Il préconise néanmoins une installation de la malade au moins 1 heure par jour au fauteuil et le retranscrit dans ses prescriptions.

L’équipe paramédicale planifie la mise au fauteuil pour le repas du midi le jour même. Les aides-soignantes en charge du soin décident d’utiliser le lève-malade du fait de son excès pondéral. Les explications sont données à la patiente car cette dernière n’a jamais été mobilisée avec ce dispositif.

Elle exprime des craintes car elle dit ne pas se lever chez elle car elle est trop lourde. Les soignants la rassurent, en lui précisant que cet équipement est justement prévu pour faciliter ces manipulations.

La malade est latéralisée pour passer la sangle universelle en U ad’hoc sous elle au niveau du dos, puis les parties de la sangle sont passées sous les cuisses de la patiente en prenant soin de les croiser avant de les accrocher au fléau du lève-malade.

Pour ce faire, le dispositif roulant est approché du lit et, une fois que le fléau est parfaitement positionné au-dessus de la patiente, les freins sont enclenchés permettant de prévenir tout mouvement intempestif délétère à la stabilité de l’ensemble. Les 4 extrémités des sangles sont maintenant accrochées au fléau, le bras du lève-malade est remonté en position maximale et le lit est descendu pour permettre à la patiente de graviter au-dessus de son lit. Les freins sont débloqués et le transfert du lit vers le fauteuil peut être réalisé.

C’est à mi-chemin entre le lit et le fauteuil que les soignants voient, horrifiés, que la patiente chute à terre, en cognant fortement les montants externes du fauteuil. La patiente se plaint immédiatement d’une douleur au niveau de la hanche gauche.

Du renfort est demandé immédiatement, la patiente est mobilisée avec grande précaution pour être installée au lit, le médecin du service est prévenu. Du fait d’une douleur importante persistante au niveau de la hanche gauche, il est décidé de la transférer en lit en radiologie pour réaliser une radiographie du bassin.

Parallèlement à cette prise en charge, une aide-soignante examinera le matériel utilisé au transfert lit-fauteuil et il sera constaté que les deux extrémités hautes de la sangle en U sont arrachées, expliquant la chute de Mme M.

Le médecin radiologue prévient son confrère gériatre qu’une fracture per trochantérienne est visualisée sur le cliché. Un chirurgien orthopédiste est alors appelé et l’interprétation de l’imagerie indiquera la pose d’un clou gamma.

La patiente est alors transférée en secteur de chirurgie et bénéficiera de l’intervention chirurgicale prévue le lendemain après-midi, après avoir été transfusée de 3 concentrés de globules rouges (CGR) puisque le bilan sanguin prélevé en UGA a objectivé une anémie à 8 g/dl.

Un passage en unité de surveillance continue (USC) pour les 24 premières heures sera préconisé.

Lors de son séjour en chirurgie, les examens réalisés pour expliquer l’anémie détectée lors de son entrée en UGA ont permis de mettre en évidence une tumeur maligne du colon gauche.

Conséquences

Cette chute a eu plusieurs conséquences :

  • une hospitalisation non programmée en secteur de chirurgie,
  • une intervention chirurgicale dans un contexte d’urgence,
  • un séjour en USC de 24 heures,
  • un traitement chirurgical différé de la tumeur maligne pour lui laisser 4 semaines de répit avec la réalisation de la colectomie gauche,
  • une famille particulièrement mécontente de la survenue de cet accident, qu’elle estime être évitable.
    Sur ce point, le fils aîné de la patiente a envoyé un courrier à la direction générale pour demander des explications.

Analyse des causes

La cadre du service a déclaré cet événement indésirable (EI) par le système de déclaration de l’établissement de santé. La commission Qualité-Gestion des risques lors de leur revue des EI l’a classée comme grave. Il est décidé de réaliser une analyse dans le cadre d’une démarche de gestion des risques.

Les données analysées proviennent des éléments recueillis au préalable auprès des professionnels de santé qui sont intervenus dans la prise en charge de la patiente : recueil réalisé lors d’entretiens individuels, analyse de documents, lecture du dossier.

Cause immédiate

Chute de la patiente lors du transfert du lit au fauteuil.

Causes profondes

 

Barrière qui a détecté l'incident

  • Atténuation : prise en charge de la patiente après sa chute par une équipe pluridisciplinaire.

Barrières qui n'ont pas fonctionné et ont permis l'incident

  • Prévention : retard du cadre dans la commande d’une nouvelle sangle.
  • Prévention : retard dans le traitement de la commande faite pas le cadre.
  • Prévention : la composition des binômes d’aides-soignantes qui aurait permis le bon niveau d’informations et prévenir l’accident.
  • Prévention : pas de mise en quarantaine formelle du matériel en attente du renouvellement des sangles.
  • Récupération : les aides-soignantes n’ont pas examiné la sangle avant de l’utiliser/

Les pistes de réflexion et/ou d’amélioration

Les chutes dans les services hospitaliers restent fréquentes. Il est donc primordial, après avoir identifié les facteurs contributifs de cet accident, de réfléchir aux actions de prévention à déployer pour éviter tout accident / incident évitable pour les patients qui sont très souvent fragiles.

Sur la communication entre professionnelles au sein du service

Au sein de l’équipe soignante du secteur, une réflexion s’est engagée sur la nécessité de mieux communiquer entre professionnels et, surtout, comment transmettre les informations essentielles aux collègues intérimaires ou vacataires qui ne participent pas à la vie du service :

  • Installation d’un tableau en salle de soins pour y inscrire les messages importants à destination de tous, personnel médical et paramédical. L’apport de ce tableau devrait permettre un focus sur certaines problématiques spécifiques qui nécessitent un niveau de réactivité optimal, par exemple une commande d’un matériel ou médicaments à réaliser avec urgence.
  • Apporter une vigilance accrue à la transmission des informations importantes à destination des professionnels non fixes, et surtout être attentif sur la répartition des ressources humaines et la construction des binômes. La priorité doit être donnée à l’encadrement de ces professionnels, même s’ils connaissent le service et peuvent être autonomes pour certaines tâches.

Sur la procédure achat de certains consommables

La validation des demandes d’achat de certains consommables par l’ingénieur biomédical était mise en place pour une vérification de la conformité de la commande par rapport à l’équipement, mais également pour essayer de mutualiser certains achats afin d’obtenir des tarifs préférentiels auprès des fournisseurs.

Dans le cas présent, cette procédure est remise en cause par le parc hétérogène des équipements qui ne permet pas :

  • une gestion simplifiée de l’achat des consommables puisque l’établissement doit gérer plusieurs références avec des risques d’erreur,
  • un stock tampon au sein de l’établissement pour palier à toute demande urgente,
  • et donc, une réactivité nécessaire à un renouvellement de ces consommables pour ne pas mettre en difficulté les équipes soignantes.

Au vu de ces conclusions, les points de vigilance retenus pour l’avenir sont :

  • Permettre aux cadres paramédicaux de commander les consommables en direct avec le service achat après avoir obtenu du service biomédical les références ad’hoc.
  • Initier une réflexion institutionnelle lors de l’achat des équipements biomédicaux en intégrant la problématique de la gestion des consommables : un parc homogène n’est-il pas préférable en termes de gestion, mais également en valorisation financière avec des stocks tampons pour répondre aux demandes des professionnels près du patient ?

Sur le retour d'expérience de cet accident

Une information sera réalisée dans tous les secteurs de soins concernant cet événement indésirable grave avec des focus à faire sur :

  • l’importance des déclarations à réaliser
    D’autres incidents de ce type sont ainsi remontés du terrain, mais comme il n’y avait pas eu de conséquences pour le patient, aucune déclaration n’avait été réalisée. La notion du presqu’accident a donc été réexpliquée aux professionnels avec les impacts potentiels possibles avec la pyramide de Bird notamment ;
  • l’impact d’une déclaration optimale
    Si on constate une recrudescence de signalement sur cette thématique, on pourra se questionner sur la qualité des consommables utilisés : déclaration de matériovigilance ou pas ? référencement à revoir pour une usure précoce des consommables lorsqu’ils ne sont pas commandés au fournisseur d’origine ? ;
  • la vigilance à avoir lors de l’utilisation de consommables intervenant dans la sécurité des soins
    Un examen minutieux pour détecter toute détérioration doit être réalisé avant toute utilisation ;
  • la nécessaire réflexion au sein de l’équipe sur les actions à mettre en œuvre lorsque l’on fait un constat de dégradation
    Signalement, retrait du matériel endommagé… ceci afin de rester dans le périmètre des soins sécure.

Sur la gestion d'un dispositif usé au sein du secteur en cause

Une action de prévention est décidée au sein du service :

  • Retrait du matériel identifié pour éviter une utilisation accidentelle : dans le cas présent, la sangle était restée sur le lève-malade sans signalement spécifique.
  • Rq : Une procédure de quarantaine des matériels défectueux avec isolement et marquage doit être rédigée et mise en œuvre dans chaque unité
  • Message sur le tableau pour que les médecins et les IDE soient informés et prennent en compte la problématique dans la dynamique de prescription et de planification des soins.

Sur la formation à l'utilisation des équipements biomédicaux mis en place

Une formation dispensée par les fournisseurs de ce type d’équipement sera organisée pour tous les services afin de faire les "injections de rappel" nécessaires à leur bonne utilisation ainsi qu'un rappel sur les nécessaires points de vigilance.

En conclusion

Cet accident a eu des conséquences graves pour cette patiente fragile. De plus, il convient d’accepter qu’il fût évitable si des précautions multiples avaient été prises.

L’analyse de cet événement indésirable grave montre que les facteurs contributifs sont nombreux, et pas seulement au niveau des utilisateurs d’un dispositif médical.

On peut se questionner sur l’importance du partage d’expérience avec les services dits supports d’un établissement de santé pour que chacun comprenne les impacts que peuvent avoir certaines décisions ou certaines applications strictes de procédures sur les patients.

La sécurité des patients est l’affaire de tous.

Référence

> La Pyramide des risques (Wikipédia)