Ce retour d’expérience traite le cas d'une patiente souffrant d’une pathologie lombaire, victime d'une erreur de technique avec pompe à morphine intrathécale.
Mme Z. souffre d’une pathologie lombaire depuis près de 10 ans.
Ce parcours de soins complexe commence en 2012 : la patiente présente un tableau de lombosciatique gauche. Elle est orientée par son médecin traitant auprès d’un neurochirurgien qui lui propose un traitement chirurgical devant l’inefficacité des traitements médicaux. Une cure de hernie discale L5-S1 droite est réalisée.
Dans les suites de cette première intervention chirurgicale, il subsiste un syndrome douloureux résistant aux traitements médicamenteux per os. Elle bénéficie alors d’une seconde intervention pour un canal lombaire étroit en 2013.
Le résultat de ce deuxième geste opératoire est modeste. La patiente décrit des douleurs très importantes, ne lui permettant pas d’avoir une vie sociale et familiale habituelle et de reprendre une activité professionnelle.
Devant ce tableau hyperalgique, elle additionne les séjours en secteur de rééducation pour essayer de minimiser les déplacements en fauteuil roulant. Devant une amélioration modeste et jugée insuffisante par la malade, elle consulte, sur les conseils de son médecin traitant, un praticien spécialisé dans l’unité d’évaluation et de traitement de la douleur du secteur. Le médecin préconise une pompe à morphine intrathécale. Pour ce faire, elle est de nouveau orientée vers un neurochirurgien.
Ce dispositif est installé en février 2015. Dans les suites immédiates de la pose, elle bénéficie d’une surveillance continue au moment de la mise en route de l’analgésie : cette titration durera près de 6 jours, jusqu’à trouver la dose adaptée aussi bien sur l’intensité de la douleur et que sur le versant physiologique (neurologique et fonction respiratoire). De plus, elle ne présente pas de complications post-installation (rétention urinaire, infection…).
Le retour à domicile peut être programmé en accord avec le médecin traitant. Elle retrouve petit à petit un peu de confort pour sa vie sociale avec une douleur qui deviendra supportable, mais ne peut reprendre sa vie professionnelle.
Dans le cadre de son suivi, elle est revue tous les 2 mois pour faire le point sur l’utilisation de la pompe, mais également pour refaire le plein en Morphine©. Depuis 2 ans, le médecin spécialisé douleur a proposé l’ajout de perfusions de Kétamine©, traitement accepté par Mme Z. et administré en secteur hospitalier dans le cadre d’un séjour ambulatoire.
Dans les suites d’un rendez-vous en unité de prise en charge de la douleur pour le remplissage bimestriel de sa pompe à morphine (le matin à 10 h), elle rentre à son domicile et prépare son repas. Elle constate alors l’apparition de sueurs, de troubles de l’acuité visuelle. Elle s’allonge alors sur son canapé et s’endort. C’est son mari, qui devait ce jour-là déjeuner avec elle, qui la trouve sans connaissance à son arrivée. Ne parvenant pas à la réveiller, il appelle le 15. Le médecin régulateur, au vu de la description de la situation, demande l’intervention d’une ambulance médicalisée pour la prendre en charge.
L’équipe soignante pré-hospitalière retrouvera la patiente avec un score de Glasgow à 10 (ouverture des yeux à la douleur – réponse verbale jugée incohérente – réaction orientée à la douleur), une fréquence respiratoire à 7-8, une fréquence cardiaque à 60 bpm, une tension artérielle à 90/60 mm de Hg et une saturation en oxygène à 92 %. Le médecin urgentiste évoquera un possible accident vasculaire cérébral (AVC) avec un tableau clinique atypique et décidera un transfert rapide aux urgences du centre hospitalier.
Une oxygénothérapie sera initiée et la malade sera confiée à l’équipe hospitalière.
Aux urgences, Mme Z. sera installée en salle de déchoquage, et le praticien en charge de la patiente ne retrouvera pas un tableau clinique en faveur d’un AVC, mais un syndrome opioïde avec un myosis serré. Il demandera tout de même un scanner cérébral en urgence pour écarter définitivement cette possibilité. L’examen d’imagerie ne sera pas contributif. Le bilan sanguin retrouvera un tableau d’alcalose respiratoire et hypercapnique.
Le praticien questionnera le mari de la patiente (qui est arrivé dans un deuxième temps) et au vu des éléments de contexte rapportés (pompe à morphine intrathécale et remplissage de la pompe ce même jour) évoque un surdosage en Morphine©.
L’équipe douleur sera contactée et le praticien spécialisé viendra aux urgences, préconisera un arrêt de la pompe à morphine, et devant la dépression respiratoire, la naloxone© sera titrée jusqu’à obtenir une fréquence respiratoire de 10 cycles par minute, craignant une augmentation brutale des effets nociceptifs de sa pathologie rachidienne.
L’explication retenue par les médecins est qu’une infime partie de la préparation a été injectée en dehors de la chambre implantable et qu’il y a eu une diffusion sous cutané de la Morphine© (pour information, la préparation était dosée à 50mg/ml).
La patiente sera alors transférée en unité de surveillance continue pour adaptation du traitement morphinique par voie intraveineuse en attendant la remise en route de la pompe qui aura lieu le lendemain.
Mme Z. sera transférée en unité de médecine interne le 3ème jour, et regagnera son domicile au 7ème jour d’hospitalisation une fois son traitement antalgique rééquilibré.
Cet incident a eu comme conséquences :
Le cadre des urgences a signalé cet événement indésirable par le biais du système de déclaration de l’établissement.
Ce signalement est motivé par le fait que l’équipe soignante des urgences s’est trouvée en difficulté pour gérer la pompe à morphine intrathécale : le manque d’informations et de connaissances sur ce concept de soins a été perçu comme un événement porteur de risques pour les patients.
L’exploitation de la fiche de déclaration d’événement indésirable par le groupe de professionnels chargé de la veille s’est traduite par la décision de rechercher les causes qui ont conduit à cet incident, sans conséquence majeure pour la patiente, les comprendre et trouver éventuellement des actions correctrices à mettre en place.
La méthode ALARM, recommandée par la Haute Autorité de Santé, est retenue pour cet événement indésirable. |
Atténuation
Atténuation
Récupération
Prévention
Le partage de l’analyse de l’incident à partir de la méthode ALARM évoque des actions correctrices pour améliorer la sécurité des soins :
Au final, pas de grandes révolutions, mais des actions correctrices de bon sens, sans grand investissement financier, et sur lesquelles il convient de communiquer pour faire passer la culture de sécurité à travers la pédagogie de l’erreur.
Cette analyse montre une fois encore que toute activité de soins complexe doit bénéficier d’une étude préliminaire des risques afin d’identifier les complications potentielles et d’identifier les acteurs impactés pouvant intervenir dans leur prise en charge.
La réalisation d’une cartographie de risques, avec l’identification des situations à risques, doit permettre de construire les barrières de sécurité adaptées pour garantir une sécurité des soins optimale avec tous les professionnels de santé susceptibles d’être mobilisés.
Prendre le temps de réfléchir sur ces aspects du soin doit participer à la transversalité des organisations et à leur amélioration…