Construire et entretenir entre soignants un modèle mental partagé du patient et de sa prise en charge : enjeux et progrès des transmissions

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Construire et entretenir entre soignants un modèle mental partagé du patient et de sa prise en charge : enjeux et progrès des transmissions

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  • Trois professionnels de santé discutent d'un dossier patient - La Prévention Médicale

Cet article synthétise le contenu de plusieurs publications, articles et éditoriaux récents faisant le point sur les enjeux, les progrès et les questions restant en suspens concernant l’amélioration des transmissions cliniques (Samost-William et Thomas, 2025).

Auteur : le Professeur René AMALBERTI – Docteur en psychologie des processus cognitifs, ancien conseiller HAS / MAJ : 07/10/2025

Le constat de départ

Les transmissions font partie intégrante de presque tous les aspects des soins hospitaliers. La spécialisation de la médecine moderne implique que les patients soient transférés d'une unité à l'autre et d'une équipe soignante à l'autre en tenant compte de l’évolution de leurs besoins en soins.

Les rotations de personnels, les différents métiers impliqués dans la prise en charge, et les mouvements des patients d’un lieu de soin à un autre, nécessitent des communications sur le patient (répétées, transmises, compréhensibles et faisant sens pour les différents professionnels), permettant tout autant l’optimisation de la continuité des soins que le transfert de responsabilité d'un professionnel/groupe à l’autre.

"Un patient hospitalisé peut être pris en charge par deux équipes médicales distinctes (couverture de nuit et de jour) et trois équipes infirmières (chacune travaillant par roulement de 8 heures). Cela signifie que les soins d’un même patient font l'objet d'au moins cinq transmissions en 24 heures. Et ce nombre de transmissions peut rapidement augmenter, chacune pouvant être source de perte ou d'incompréhension d'informations."

À ce jour, les seuls outils cadres validés pour de bonnes transmissions : I-PASS et SBAR

Une revue de littérature (McCarthy et al (2025) sur le lien entre structuration des transmissions et sécurité du patient retrouve 16 articles (2 revues systématiques et 13 études primaires publiées dans 14 publications) qui répondent aux critères d'éligibilité.

Bien que 12 outils de transmissions aient été identifiés dans la littérature, seuls deux d'entre eux - I-PASS et SBAR - possèdent un niveau de preuve suffisant.

  • I-PASS pour Illness Severity, Patient Summary, Action List, Situation Awareness and Contingency Planning and Synthesis by Receiver
  • SBAR pour Situation, Background, Assessment and Recommendation
     

Il est ainsi prouvé que l’utilisation de SBAR ou I-PASS pour les transmissions au sein d'une même unité améliore la sécurité des patients (le niveau de preuve étant plus solide pour I-PASS).

SBAR a été surtout évalué pour les transmissions entre infirmières, ou entre infirmières et médecins, alors qu’I-PASS ne concerne que des transmissions inter médecins.

L'importance des modèles mentaux partagés

L’objectif principal des transmissions est de construire et nourrir un modèle mental partagé du patient entre soignants, utile au soin à venir, et fonction du rôle demandé à chaque profession impliquée dans la prise en charge.

Pour autant, l’observation du terrain montre que les médecins et les infirmières choisissent encore des outils assez différents pour effectuer les transmissions. Non seulement ces outils sont différents, mais les flux de travail différents pour chaque groupe professionnel réduisent souvent l’opportunité d’un échange-discussion en face-à-face, entre tous les professionnels concernés (un obstacle évident à l’objectif d’un modèle mental partagé). 

Les modèles mentaux partagés quels sont les domaines concernés ?

Les modèles mentaux partagés comprennent une compréhension collective de cinq types d’information :

  • Une compréhension commune de l'équipement et de la manière dont il sera utilisé pour atteindre les objectifs de l'équipe.
  • Une compréhension commune des tâches à accomplir et de la manière dont elles seront accomplies. Ces deux domaines sont parfois appelés "le contenu lié aux tâches relatives au patient" d'un modèle mental partagé.

Les deux catégories d’informations suivantes sont relatives à l'équipe :

  • Une compréhension (1) des connaissances et des capacités des membres de l'équipe.
  • Une compréhension (2) de la manière dont les membres de l'équipe interagiront et coopéreront.
  • Le cinquième facteur a été ajouté plus récemment et concerne la temporalité des tâches de l'équipe, telles que leur urgence ou leur priorité relative.
     

Un modèle mental partagé ne doit pas nécessairement englober ces cinq domaines ; par exemple, l'utilisation d'équipements peut ne pas être pertinente pour toutes les équipes de soins de santé.

De plus, le fait d'avoir un modèle mental partagé ne signifie pas que tous les membres de l'équipe partagent l'intégralité de leur modèle mental individuel avec leurs coéquipiers.

Que faire de plus ?

La complexité croissante du système médical et des parcours patients rend partiellement obsolète les façons de transmettre l’information qui ont pu être à peu près stabilisées et optimisées dans les années 2010.

La complexité croissante de la médecine, la multiplicité des professions concernées, le turn-over augmenté des lits, les séjours raccourcis pour les patients sur le même lieu de soins (voire réduits à la journée), le turn-over continu des soignants avec les repos, et bien d’autres facteurs, font que les exigences des transmissions actuelles n’ont plus grand-chose à voir avec les conditions qui ont nourri la littérature sur les transmissions depuis les années 90.

On a de plus en plus d’acteurs médicaux concernés à synchroniser sur leur modèle mental du même patient, et à entretenir cette synchronisation dans le temps. Bref, la recherche sur ces sujets est un éternel recommencement, et rien n’est acquis dans un système de santé aussi évolutif.

Parmi les questions de recherche bouleversées par ce calendrier en continuel renouvellement de la question des transmissions, on peut citer pêle-mêle :

  • Est-ce que se battre pour la co-présence temporelle des infirmières et des médecins dans les transmissions reste encore justifié ?
    La littérature paraît consensuelle sur des constats positifs d’une telle synchronisation, mais en y regardant de plus près, elle est trop souvent établie localement, dans un cadre expérimental limité, sans vraiment analyser les inconvénients associés, souvent plus grands que les bénéfices attendus (particulièrement le temps forcément plus long de ces transmissions éloignant certains soignants du patient et les réticences de satisfaction du personnel très sensibles et démotivantes quand on imagine toucher aux roulements de chacun pour aligner les temps de transmission).
  • Les systèmes peuvent-ils être repensés pour encourager les transmissions d'équipe à équipe plutôt que les transmissions parallèles entre infirmières et médecins ?
  • Quid des nouvelles technologies informatiques, de l’IA générative notamment, pour améliorer ces transmissions ?
  • Comment pouvons-nous mettre en place les structures de leadership et de soutien organisationnel nécessaires pour promouvoir ces transmissions ?
  • Que se passerait-il si les patients étaient intégrés aux transmissions et, par conséquent, dans le modèle mental partagé de l'équipe ?