Arrêt cardiaque en Salle de Surveillance Post-Interventionnelle (SSPI) chez une enfant de 3 ans venant de subir une adénoïdectomie

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Arrêt cardiaque en Salle de Surveillance Post-Interventionnelle (SSPI) chez une enfant de 3 ans venant de subir une adénoïdectomie - Cas clinique

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Sous-estimation d’un tableau clinique, mauvaise prise en charge en SSPI, défaut d’alerte précoce... autant de facteurs ayant occasionné un arrêt cardiaque chez une enfant opérée pour une exérèse des végétations.

  • Chirurgien
Auteur : La Prévention Médicale / MAJ : 17/06/2020

Cas clinique

• Le 24 mars 2003, une enfant de 3 ans (née en mars 2002) était adressée à un chirurgien ORL pour des infections ORL à répétition.

• Ayant constaté une otite séreuse et un syndrome adénoïdien, ce dernier décidait, avec l’accord de la mère de l’enfant, de programmer, en clinique, une exérèse des végétations avec paracentèse pour le 2 mai.

• La consultation pré anesthésique avait lieu le 28 avril et ne révélait pas d’anomalie.

• Le matin de l’intervention, l’enfant était revue par le chirurgien ORL et l’anesthésiste (le même que celui ayant réalisé la consultation pré anesthésique), qui s’assuraient que « tout allait bien ». aucune prémédication n’était prescrite.

• L’enfant entrait au bloc opératoire à 09h35. L’anesthésie débutait par une inhalation au masque facial avec un mélange d’oxygène et de protoxyde d’azote (60% d’oxygène et 40% de protoxyde d’azote) et une concentration de Sevorane® à 1,5% qui était progressivement augmentée jusqu’à 4% puis redescendue à 1,5%. Les paracentèses étaient effectuées dans un premier temps et l’exérèse des végétations au moment où l’enfant commençait à se réveiller. L’enfant était considérée comme réveillée sur table par l’anesthésiste, le chirurgien ORL et l’infirmière panseuse (ayant un diplôme d’IADE mais n’exerçant pas cette fonction à la clinique).

• L’enfant était transférée à 09h45 en SSPI où elle était accueillie à 09h50 par une IDE, à ce poste depuis 12 ans, et assistée par une élève-infirmière.
Ultérieurement, la clinique était dans l’incapacité d’apporter la preuve d’une formation spécifique suivie par l’IDE en rapport avec le poste qu’elle occupait. Par ailleurs, la SSPI comportait 6 lits sans zone individualisée pour l’accueil des enfants et 350 à 400 amygdalectomies et/ou adénoïdectomies étaient effectuées chaque année dans la clinique.

• A son arrivée, l’IDE considérait l’enfant comme non réveillée. Elle notait « sans réponse » dans la colonne « conscience » de la feuille de surveillance, avec une coloration cutanée normale mais une saturation à 95-96%. La fréquence cardiaque était normale mais mesurée par le saturateur (absence de branchement du monitorage cardiaque).

• A 09h56, la saturation n’était plus que de 86% avec une accélération du pouls à 132/min. L’IDE mettait alors l’enfant sous oxygène (5l/min) par l’intermédiaire d’un masque puis constatant que cela ne suffisait pas, elle tentait de la ventiler au ballon.

• Devant l’inefficacité de ces gestes, elle alertait la panseuse qui sortait du bloc C pour s’occuper de la décontamination des derniers instruments et se trouvait dans le couloir face à la SSPI afin qu’elle prévienne l’anesthésiste présent au bloc D.

• Celui-ci arrivait « en quelques secondes » (10h05). Il constatait que l’enfant était cyanosée, sans pouls fémoral. Il réalisait une intubation trachéale, posait une voie veineuse en jugulaire externe et commençait la réanimation avec l’aide de la panseuse et de l’IDE. Celle-ci était poursuivie sur place par l’équipe envoyée par le SAMU, immédiatement alerté. Une activité cardiaque stable avec un pouls fémoral perceptible était obtenue après 1 heure 45 de réanimation. L’enfant était, alors transférée dans le service de réanimation pédiatrique du CHU. Aucune reprise de conscience n’était notée. L’évolution se faisait vers un état végétatif chronique. Au moment de l’expertise (2006), trois ans après les faits, l’enfant était toujours hospitalisée dans le service de neurologie pédiatrique du CHU, sans aucune évolution depuis 2005.

A noter qu’au moment de l’appel de l’IDE (10h05), l’anesthésiste avait en charge trois blocs opératoires (une salle de chirurgie plastique (AG), une salle d’ophtalmologie (AG) et la salle où venait de se terminer une adénoïdectomie chez une enfant de 6 ans) ainsi que la SSPI. Un second anesthésiste était présent dans la clinique où il effectuait des consultations. Par ailleurs, le matin du 2 mai, étaient programmées, dans le bloc opératoire, 7 interventions de chirurgie ORL dont 5 adénoïdectomies avec paracentèses, 2 interventions de liposuccion des cuisses et 4 interventions de chirurgie ophtalmologique dont une sous anesthésie générale et 3 sous anesthésie locale.

Analyse

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Jugement

Dans un premier temps (août 2005), les parents de l’enfant assignaient en référé le chirurgien ORL, l’anesthésiste et la clinique. Les experts désignés (dont l’un était professeur des universités, chef de service d’anesthésie-réanimation du CHU et l’autre, chirurgien ORL) concluaient en avril 2006, qu’« ils ne pouvaient émettre un diagnostic de certitude absolue de la cause de l’arrêt cardiaque, mais qu’ils privilégiaient néanmoins une négligence attribuable à l’anesthésiste. En effet, l’enfant était encore fortement sous l’emprise du Sévorane® et en dépression respiratoire lors de son admission en SSPI. Elle avait présenté un laryngospasme aigu responsable de l’arrêt cardiaque. Dans cette hypothèse, il y aurait eu perte de chance pour l’enfant. Si l’hypothèse d’une faute de l’anesthésiste n’était pas reconnue, il conviendrait alors de retenir l’aléa thérapeutique ».

 

Parallèlement à cette procédure judiciaire, la mère de l’enfant décidait alors de saisir la CRCI(octobre 2007)qui diligentait une nouvelle expertise.

 

Expertise (mai 2008)

 

Les experts désignés par la CRCI, tous deux praticiens hospitaliers, médecins légistes dont l’un anesthésiste-réanimateur, estimaient que « la responsabilité du chirurgien ORL ne pouvait être retenue. L’indication opératoire était justifiée. L’intervention s’était déroulée sans complication, notamment hémorragique et ne pouvait être retenue comme cause de l’arrêt cardiaque.

L’anesthésie pratiquée était conforme aux habitudes de 2005, même si elle ne le serait plus tout à fait aujourd’hui, en particulier dans la sécurité de la pose d’une voie veineuse. Le réveil semblait avoir eu lieu sur table selon l’équipe du bloc opératoire même si la version de l’IDE présente en SSPI différait. La charge de travail de l’anesthésiste semblait bien lourde pour un seul praticien qui devait réaliser des anesthésies successives d’enfants en bas âge qui justifiaient, à elles seules, la présence exclusive d’un médecin. Il était cependant indéniable que l’anesthésiste avait été à tout moment disponible pour l’enfant. Toutefois, s’il n’avait eu qu’une salle opératoire à prendre en charge, il l’aurait, peut-être, gardée plus longtemps sous sa surveillance. La surveillance avait été ensuite défaillante en salle de réveil mais la réanimation pratiquée par l’anesthésiste prévenu de l’accident avait été conforme aux règles.

 

L’IDE chargée de la surveillance des patients en SSPI déclarait que l’enfant n’était pas réveillée à son arrivée et aurait dû réagir à cette constatation par une surveillance renforcée et ne pas se contenter seulement  de la pose d’un saturométre. Dès 09h56 (SaO2 à 86%), elle aurait dû appeler l’anesthésiste avant que la situation ne soit dépassée. La ventilation au masque d’un enfant dépasse les fonctions d’une IDE, même si le décret de compétence infirmier le reconnaît chez l’adulte. Il faut rappeler que la SFAR recommande que la surveillance en SSPI d’enfants de cet âge (3 ans) soit assurée par une IADE, éventuellement aidée d’une puéricultrice (septembre 2000). »

 

Concernant la prise en charge des enfants anesthésiés dans la clinique, les experts soulignaient qu’elle était en contradiction avec l’évolution sécuritaire actuelle de l’anesthésie pédiatrique. En effet, un seul anesthésiste effectuait des anesthésies successives d’enfants et, en même temps, il assurait la prise en charge d’adultes endormis dans d’autres salles du bloc opératoire, tout en devant rester disponible pour la SSPI. D’autre part, il n’y avait qu’une seule IDE pour les 6 lits de la SSPI alors que la SFAR recommandait une infirmière pour 3 lits de SSPI avec la nécessité d’au moins 2 personnes présentes (en excluant le personnel en formation).

 

Les experts concluaient que l’arrêt cardiaque était en liaison directe et certaine avec l’acte anesthésique. Son mécanisme était vraisemblablement une hypoventilation post anesthésique chez une enfant mal réveillée en SSPI, et dont l’importance avait été sous-estimée par l’IDE, qui l’avait mal prise en charge avec des tentatives de ventilation au masque ayant peut-être généré un laryngospasme.

L’aléa thérapeutique ne pouvait être retenu, comme l’avait suggéré l’expertise judiciaire, dans la mesure où il y avait eu sous-estimation d’un tableau clinique, mauvaise prise en charge en SSPI et défaut d’alerte précoce et que, précisément, le rôle de la SSPI est de prévenir ce type d’accident.

80% du dommage étaient imputables à la clinique avec un manque de surveillance, d’appréciation et de réactivité en SSPI de la part de l’IDE qui était sa salariée. De même, un certain nombre d’insuffisances dans l’organisation de la prise en charge des enfants au sein de la SSPI avaient contribué au dommage. 20% étaient imputables à l’anesthésiste sous la forme d’une perte de chance par une trop lourde charge de travail. Certes, il était intervenu dès qu’il avait été appelé en SSPI mais il aurait dû pouvoir consacrer plus de temps à l’enfant et rester plus longtemps auprès d’elle avant de l’orienter en SSPI.

 

Décision de la CRCI (juillet 2008)

 

La CRCI retenait la responsabilité de l’IDE présente en SSPI, de la clinique et de l’anesthésiste en se fondant sur les arguments développés par les experts. Mais, elle estimait que le chirurgien ORL était également en partie responsable du dommage car il était coresponsable de l’organisation du programme opératoire et avait donné son accord à un programme qui ne permettait pas d’assurer une sécurité et une organisation satisfaisantes pour la prise en charge de l’enfant. Elle estimait la part de responsabilité de l’anesthésiste à 60%, celle du chirurgien ORL à 20% et celle de la clinique à 20%.

Les assureurs n’ayant pas fait parvenir d’offre d’indemnisation dans le délai prévu, les parents saisissaient l’ONIAM. Ils acceptaient la proposition de l’ONIAM pour indemniser le préjudice de leur fille, mais refusaient son offre concernant l’indemnisation de leur propre préjudice et décidaient de poursuivre la procédure judiciaire qu’ils avaient initialement entamée.

 

 

Tribunal de Grande Instance (juin 2011)

 

Conformément à l’avis des experts, le tribunal ne retenait pas la responsabilité du chirurgien ORL, à qui aucune faute médicale n’était reprochée.

Les magistrats estimaient que l’anesthésiste n’était pas responsable du laryngospasme survenu chez l’enfant en SSPI. En revanche, ils considéraient qu’il avait commis une faute en confiant l’enfant, contrairement aux règles de sécurité préconisées par la profession, à une infirmière qui était seule en SSPI et de surcroît, non spécialisée en anesthésie-réanimation. Cependant cette faute devait être modulée quant à ses conséquences dans la mesure où l’enfant était la seule patiente en SSPI.

Quant à l’IDE présente en SSPI, les magistrats lui reprochaient de ne pas avoir placé l’enfant sous monitorage dès son arrivée en SSPI, alors que, pourtant, l’enfant ne lui semblait pas suffisamment réveillée. Cette faute avait entraîné une perte de chance de prise en charge immédiate par l’anesthésiste.

Le tribunal considérait le préjudice de l’enfant comme une perte de chance estimée à 80% et attribuait 1/5ème de la responsabilité à l’anesthésiste et 4/5ème à la clinique.

 

Appel en cours  de la clinique et de l’anesthésiste.

 

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