Thrombose veineuse superficielle et décès d’une jeune fille de 21 ans

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Thrombose veineuse superficielle et décès d’une jeune fille de 21 ans

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Une jeune étudiante de 21 ans consulte une gynécologue pour des leucorrhées puis son médecin pour se voir prescrire une contraception orale. Malgré une douleur au mollet suivie d'une grande fatigue et d'essoufflements, et l'intervention de plusieurs praticiens, elle décède quelques semaines plus tard.

  • Médecin
Auteur : Catherine LETOUZEY / MAJ : 02/02/2018

Cas clinique

En mai 2009, cette jeune fille, âgée de 21 ans, étudiante, consulte une gynécologue pour des leucorrhées. Elle a un ami depuis 2 mois, des relations sexuelles protégées et souhaite une contraception orale. Les cycles sont plus ou moins réguliers. L’examen gynécologique est normal. Son seul antécédent est une appendicectomie. Elle a été vaccinée par le GARDASIL. Elle pèse 66,4 kg et mesure 181 cm, ne fume pas. Sur le plan familial, sa grand-mère paternelle a été traitée pour un cancer du sein à l’âge de 40 ans.

Le médecin prescrit un bilan glycémique et lipidique, une sérologie de la rubéole, une bactériologie cervico-vaginale et recherche de chlamydiae et mycoplasmes. L’ordonnance comprend un traitement local pour ses leucorrhées, une contraception orale par JASMINELLE CONTINU à renouveler pendant 12 mois, NORLEVO, (contraception d’urgence) si besoin. Il ne reverra pas la patiente et ne recevra pas le résultat du bilan prescrit.

A la fin de son année scolaire, au début du mois de juillet, cette étudiante regagne la ville où sa mère réside, afin de travailler comme caissière en station debout pour l'été. Le 24 juillet, elle se plaint d’une douleur au mollet gauche, qu’elle met d’abord sur le compte d’une contracture due à sa position debout, mais qui s’accentue progressivement.

Le 31 juillet, Son médecin traitant lui prescrit DAFLON et NIFLUGEL et l’adresse à un cardiologue pour réaliser un écho-doppler veineux.

Le 4 août, le cardiologue réalise un écho-doppler et diagnostique une périphlébite saphène Interne gauche jusqu'à mi-cuisse sans atteinte de la crosse. Il prescrit un traitement anticoagulant par ARIXTRA® 7,5 pendant 6 jours, ainsi qu'une pommade anti-inflammatoire DEXTRARINE PHENYLBUTAZONE et le port de bas de contention.

Le 7 août, elle consulte à nouveau son médecin traitant qui lui conseille de continuer le DAFLON jusqu’en septembre.

En août, la douleur s’atténue. Elle est très fatiguée, poursuit son travail estival puis rentre à Paris début septembre.

Le 9 septembre alors qu'elle dialoguait avec sa mère par webcam, elle dit se sentir très fatiguée et essoufflée, et met cela sur le compte de son rythme soutenu de rentrée.

Le 15 septembre au réveil, alors qu'elle présentait depuis 2-3 jours des épisodes de dyspnée et de céphalées, elle a du mal à respirer, puis fait un malaise au lever avec perte de connaissance. Son ami appelle les pompiers.

A l'arrivée en dix minutes des Sapeurs-Pompiers, elle présente un arrêt cardio-circulatoire, avec un Low Flow de 15 à 20 minutes, sans No Flow. Elle est transportée à l'hôpital où un scanner thoracique met en évidence une embolie pulmonaire massive.

Une thromboaspiration est effectuée, un filtre cave posé et elle est transférée dans le service de réanimation. Elle est maintenue en sédation, hypothermie pendant 36 à 48 heures.

Son état évolue vers un œdème cérébral massif et une mort encéphalique.

La famille, lors de son courrier adressée à la CCI, précise notamment les antécédents familiaux :

  • La grand-mère maternelle, en surpoids important, était diabétique et hypertendue et a souffert de phlébites et d’une embolie pulmonaire, cause possible du décès.
  • La mère a pris la pilule pendant de nombreuses années, tout en fumant. Il n’y a pas de notion de thrombophilie familiale.
  • La famille confirme également que la jeune fille n’avait aucun facteur de risque. Elle ne fumait pas, avait une alimentation équilibrée, ne buvait pas. Les examens prescrits à la fin de la 3ème plaquette de « pilule », n’ont pas été pratiqués. La mise en cause devant la CCI concerne la gynécologue, le médecin traitant, le cardiologue et le laboratoire fabricant.

Analyse approfondie

Télécharger l'exercice (pdf - 28.46 Ko)

  1. Lisez en détail le cas clinique.
  2. Oubliez quelques instants cette observation et rapportez-vous au tableau des barrières, identifiez les barrières de Qualité et sécurité que vous croyez importantes pour gérer, au plus prudent, ce type de situation clinique. Le nombre de barrières n’est pas limité.
  3. Interrogez le cas clinique avec les barrières que vous avez identifiées en 2 ; ont-elles tenu ?
  4. Analysez les causes profondes avec la méthode ALARM

Expertise

Le rapport d‘expertise (2016) est rédigé par un collège de 3 experts (anesthésiste réanimateur, pharmacologue et chef de médecine vasculaire), qui se replaceront à la date des faits.

Les faits sont rappelés et détaillés :

  • Après le décès de la jeune fille, un bilan de thrombophilie a été fait dans la famille et est négatif.
  • La gynécologue adopte toujours le même schéma de consultation, qui est longue, s’agissant d’un premier contact avec prescription d’une contraception. Elle aurait décrit les effets secondaires, l’éventuel risque de thrombose mais il n’y en a aucune preuve et il est vrai que la patiente ne retient pas non plus forcément l’ensemble des informations, denses dans le cas présent.
  • La gynécologue, ancienne universitaire, a justifié le choix de cette molécule par le fait que les plaquettes comprenait des jours placebo, ce qui évitait à la femme de se perdre dans les jours du cycle, ne donnait pas d’acné, n’engendrait pas de prise de poids et qu’elle était alors dans les pilules les plus prescrites. Elle n’a pas revu la patiente mais s’est ensuite entretenue avec la maman.
  • La mère était présente lors de la première consultation du MG. Elle déclare que sa fille présentait une petite induration inflammatoire rouge du mollet. Elle n’a pas assisté aux consultations suivantes. Elle reproche aux médecins qu’une information n’ait pas été donnée car sa fille n’a pas fait la relation ente prise de pilule et essoufflements et que, peut-être, une information concernant ces risques lui aurait permis d’aller plus rapidement aux urgences.

Concernant la cause du décès :

« Cette femme est décédée d'une embolie pulmonaire massive objectivée à l'angioscanner thoracique. Les signes cliniques et en particulier le malaise brutal du matin précédent l'arrêt cardiaque sont pathognomoniques. Il est probable que l'essoufflement et la limitation à l'effort de début septembre signalés par webcam à la mère correspondaient déjà à des embolies pulmonaires répétées dont le point de départ est la thrombose veineuse superficielle qui s'est probablement étendue.

L'origine de l'embolie pulmonaire se trouve dans une phlébite superficielle mise en évidence par un doppler pratiqué le 4 août.

La survenue de cette phlébite superficielle moins de trois mois après la première prescription d'un contraceptif chez une jeune femme sans antécédent personnel et familial et sans risque vasculaire rend cette contraception orale comme cause initiale du décès. En effet, plusieurs données montrent que la survenue d'événements thromboemboliques au cours de la contraception par oestro-progestatifs surviennent le plus souvent au cours de la première année et plutôt pendant les 6 premiers mois (Martinelli, Thrombosis Research 2016). »

Concernant la responsabilité de la gynécologue :

Il n’est pas possible de savoir si le risque thromboembolique a été abordé et si cet argument aurait modifié la demande de la patiente. Elle a effectué une prescription courante à cette époque et encadré celle-ci par un bilan biologique à 3 mois, comme recommandé (HAS, contraception chez l’homme et chez la femme, avril 2013).

Le médicament JASMINELLE CONTINU est classé dans les contraceptifs de 4ème génération.

Dans la notice, figurait en 2009 à la rubrique « Mise en garde et précautions d’emploi » l’énumération de facteurs de risque thromboembolique veineux (en général). Puis « qu’en cas de survenue de thrombose, la contraception orale devait être interrompue »...

Dans le RCP actuel, il est fait état d’un risque accru d’accident thrombo-embolique veineux (TEV) sous contraceptif dont le progestatif est la drospirénone. Sur 10 000 utilisatrices, 9 à 12 développent une TEV sur une période d’un an. Ce nombre est d’environ 6 chez les femmes dont le contraceptif contient du lévonosgestrel. La TEV peut être fatale dans 1 à 2 % des cas.

Les experts détaillent les modifications apportées au RCP concernant l’information de la patiente, les facteurs de risque et que le risque doit être pris en comparaison aux autres contraceptifs oraux combinés.

« La prescription était totalement conforme aux données de l'époque, même si ce n'est plus le cas actuellement. La responsabilité du gynécologue ne peut être retenue. »

Concernant le MG :

Il connaissait la patiente depuis son enfance. Il a appelé le cardiologue un vendredi, obtenu le RDV le mardi. Il n’y avait pas de signe de gravité : son attitude (ne pas prescrire un traitement héparinique d’emblée) entre dans la norme. Il n’a pas arrêté la contraception car les recommandations de l’époque n’étaient pas de stopper la contraception en cas de thrombose veineuse superficielle. Ces recommandations ont été modifiées depuis 2013.

Aucun reproche n’est retenu.

Concernant le cardiologue :

Ils rappellent les données de la science à l’époque et concluent que la prescription était en conformité avec des recommandations, basées sur peu de données et en dehors du dosage élevé d’anticoagulant qui a été prescrit et qui n’a entraîné aucun dommage. Il n’y avait aucun critère de choix pour une thérapeutique validée en 2009.

Aucun reproche n’est retenu.

« L'information faite par les trois médecins était conforme aux recommandations de l'époque.

La thrombose veineuse superficielle était au premier plan des risques connus du produit et la découverte de TVS par le médecin traitant, confirmée par le cardiologue, n'entraînait pas son arrêt. »
Les experts retiennent un aléa thérapeutique.

Commission CCI (2017)

Le mémoire de l’avocate adverse reproche essentiellement au gynécologue une première prescription pour 12 mois sans surveillance ni nouveau RDV à 3 mois, émet un doute sur l’information donnée du risque de phlébite et de ses dangers et insiste sur le nécessaire arrêt de la contraception orale en cas de thrombose, comme c’était d’ailleurs bien signalé dans la notice du médicament en 2008. « A aucun moment l’étiologie de cette phlébite n’est recherchée et le fait que cette jeune fille soit sous contraceptif non discuté [...] La discussion des experts sur la question de la TVS à laquelle le RCP de l’époque aurait fait référence pour justifier l’absence de faute des médecins, est erronée. [...] La notice de 2008 précisant [...] En cas de thrombose ou de suspicion de thrombose la contraception orale doit être interrompue ...».

« A aucun moment, le terme de thrombose veineuse superficielle n’est employée dans le RCP ».

Elle rappelle que le MG a vu à deux reprises cette patiente et que la mère, présente au moins à une des consultations, avait posé la question de la contraception. Le MG aurait affirmé « qu’il n’y avait pas de lien ». Ni le MG, ni le cardiologue n’ont conseillé l’arrêt de cette contraception. Elle souligne que la mère est aussi culpabilisée de ne pas avoir insisté sur le risque de la contraception auprès des médecins et demeure persuadée « qu’on aurait pu faire quelque chose » pour éviter cette issue fatale.

Elle conclut à la RC des médecins et de façon subsidiaire à l’aléa.

La commission retient la responsabilité de 2 médecins :

La gynécologue se voit reprocher une trop longue prescription mais sans lien avec le dommage.

Le MG et le cardiologue voient leur responsabilité retenue à 50 % chacun du fait de l’absence d’arrêt de la contraception lors de la survenue d’une TVS.

« La décision était fondée dès lors qu’il suspectait une TVS. En tant que médecin de famille, il avait la connaissance des antécédents familiaux d’accidents thromboemboliques veineux et précisément du décès de la grand-mère maternelle, qui souffrait de phlébites, décédée dans les suites d’une embolie pulmonaire. La décision de ne pas interrompre la contraception était encore moins justifiée lors de la seconde consultation, date à laquelle il a eu connaissance du dossier qui concluait à une périphlébite de la saphène interne gauche jusqu’à mi-cuisse sans atteinte de la crosse et alors que la mère a déclaré avoir évoqué le rôle de la contraception ». Ils rappellent que dans la RCP figurait la mention « en cas de symptôme évocateur de thrombose, il est recommandé de contacter le médecin et également : « arrêtez de prendre JASMINELLE si vous présentez les symptômes évocateurs de thrombose : douleurs sévères et/ou œdème dans l’une de vos jambes ».

Le même reproche est fait au cardiologue.

Bibliographie

Thromboses veineuses superficielles des membres inférieurs

  • Decousus H, Quéré I, Presles E, Becker F, Barrellier MT, Chanut M, Gillet JL, Guenneguez H, Leandri C, Mismetti P, Pichot O, Leizorovicz A; POST (Prospective Observational Superficial Thrombophlebitis) Study Group. Superficial venous thrombosis and venous thromboembolism: a large, prospective epidemiologic study. Ann Intern Med. 2010; 152: 218-24.
  • Galanaud JP, Genty C, Sevestre MA, Brisot D, Lausecker M, Gillet JL, Rolland C, Righini M, Leftheriotis G, Bosson JL, Quere I; OPTIMEV SFMV investigators. Predictive factors for concurrent deep-vein thrombosis and symptomatic venous thromboembolic recurrence in case of superficial venous thrombosis. The OPTIMEV study. Thromb Haemost. 2011; 105: 31-9.
  • Decousus H, Prandoni P, Mismetti P, Bauersachs RM, Boda Z, Brenner B, Laporte S, Matyas L, Middeldorp S, Sokurenko G, Leizorovicz A; CALISTO Study Group. Fondaparinux for the treatment of superficial-vein thrombosis in the legs. N Engl J Med. 2010;363:1222-32.
  • Contraception chez la femme à risque cardiovasculaire Juillet 2013, HAS 2013.

Au chapitre : Thrombose Veineuse Superficielle (TVS) :
Recommandations de la Société française d’endocrinologie (SFE, 2010) : Chez les femmes présentant des varices ou une thrombophlébite superficielle, le risque de thromboembolie veineuse n’est pas augmenté et toute méthode de contraception peut être utilisée. Un antécédent personnel de thrombose veineuse superficielle ne représente pas une contre-indication aux contraceptions hormonales dans leur ensemble.

Position du groupe de lecture (2013) Suite au commentaire de la SFMV et du GEHT, une nouvelle sous-catégorie a été créée concernant les antécédents de TVS et TVS spontanée sur veine saine avec un classement en catégorie 3 pour les méthodes estroprogestatives.

2 Commentaires
  • Sylvain D 26/08/2021

    Tout à fait d'accord avec vous. Je fais TVS sur TVS en ce moment et l'an dernier j'ai fait une TVP compliquée d'une embolie pulmonaire. Je suis inquiet

  • Philippe M 24/02/2018

    Ayant commencé à pratiquer des échodopplers veineux dès 1986, j'ai rapidement acquis la conviction que les thromboses superficielles présentaient un danger potentiel largement sous-estimé. J'ai toujours traité les TVS comme des thromboses profondes, dès lors qu'elle dépassaient la hauteur du genou et systématiquement contrôlé quelques jours après celles qui se situaient en dessous. J'ai eu des surprises qui m'ont rendu très méfiant. Ceci dit, je ne me prétends pas infaillible, loin de là. Je n'ai pas la prétention de donner des leçons mais simplement de faire partager mon expérience.

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