Défaut de stérilité d’un ancillaire et report de l’intervention chirurgicale

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Défaut de stérilité d’un ancillaire et report de l’intervention chirurgicale

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Un défaut dans le process de stérilisation, constaté tardivement, a conduit au report de l’intervention chirurgicale chez un patient de 78 ans. L’analyse de cette erreur considérée comme évitable a permis de construire des barrières de prévention pour éviter que cela ne se reproduise. 

Auteur : Bruno FRATTINI – Cadre Supérieur de Santé IADE – Expert en prévention des risques - MACSF & Catherine MARTINET - Infirmière de bloc opératoire / MAJ : 07/03/2022

Présentation du contexte

Mr D., 78 ans, est programmé pour bénéficier d’une reprise de prothèse totale de genou dans les suites d’un descellement.

Ce patient consulte, sur les conseils de son médecin traitant, un chirurgien orthopédiste pour une douleur du genou droit et une boiterie de plus en plus importante, alors qu’il avait bénéficié de la pose d’une prothèse totale de genou pour gonarthrose évoluée.

Le praticien, après avoir examiné le patient, prescrit un complément d’examens d’imagerie médicale, à savoir un scanner de l’articulation concernée et une scintigraphie osseuse.

Les résultats de ces examens confirment les craintes du chirurgien, à savoir un descellement d’usure aseptique (la fixation de la prothèse à l’os s’est dégradée et une mobilité de la prothèse par rapport à l’os est objectivée).

Le chirurgien propose le changement de la prothèse, l’intervention est acceptée par le patient.

La consultation d’anesthésie réalisée n’objective pas de contre-indication à la réalisation de l’acte chirurgical :

  • l’Indice de Masse Corporelle retrouve une obésité modérée (31,5),
  • une hypertension artérielle traitée et équilibrée,
  • un syndrome dépressif traité,
  • des antécédents chirurgicaux : rupture de la coiffe de l’épaule droite et une appendicectomie dans l’enfance,
  • pas d’allergie connue,
  • un tabagisme à 30 paquets/année,
  • la classification ASA est cotée à 2.

Dans les suites de l’examen clinique, et après les informations données, le patient retient le principe d’une Anesthésie Générale (AG) associé à un bloc périphérique à visée analgésique avec la pose d’un cathéter péri nerveux pour la période post-opératoire.

L’intervention est planifiée. Il est demandé au patient d’arrêter de fumer 6 semaines avant l’intervention, et du fait du contexte de la crise sanitaire de réaliser un test PCR de moins de 72 heures avant le jour de l’opération.

Mr D. est hospitalisé la veille de l’intervention. Lors de son admission, toutes les vérifications administratives et médicales sont réalisées et ne relèvent aucune non-conformité. Le chirurgien passe voir son patient et lui confirme que toutes les conditions sont requises pour réaliser l’intervention. La visite pré-anesthésique effectuée par le MAR qui le prendra en charge le lendemain, confirme "le feu vert déjà allumé par le chirurgien" et il est précisé au futur opéré qu’il passera en première position du programme opératoire et qu’il sera amené au bloc opératoire vers 7 h 30.

Le lendemain, jour de l’intervention, le patient bénéficie de son entretien pré-opératoire qui ne relève aucune information nouvelle susceptible de contre-indiquer l’intervention (le patient a bien amené une attelle de Zimmer, a bénéficié d’une préparation pré-opératoire conforme, bande de contention sur le membre inférieur non opéré, …). Les équipes soignantes (chirurgie et anesthésie) précisent que la salle est prête à accueillir le patient.

L’équipe d’anesthésie le prend alors en charge pour le préparer pour l’AG : pose de voie veineuse périphérique de gros calibre (16G), administration de l’antibioprophylaxie 30 minutes avant l’incision et réalisation du bloc péri-nerveux à visée analgésique (bloc fémoral).

Le patient bénéficie alors de l’induction anesthésique et l’équipe de chirurgie prépare les tables d’instrumentation : préparation de la table de base, préparation des tables d’instrumentation pour les ancillaires en prêt. Lors de la vérification de l’intégrité de l’emballage de chaque ancillaire en prêt par trans-illumination (panier bénéficiant d’un double emballage papier), l’infirmière circulante constate avec stupeur que l’un des emballages d’un ancillaire est percé d’un micro-trou… L’ancillaire est donc réputé non stérile !!!

Le chirurgien est immédiatement prévenu, ainsi que le représentant de la société/fournisseur de la prothèse. Après un point rapide, la conclusion est sans conteste possible : sans cet ancillaire, l’intervention ne peut avoir lieu…

Une solution est immédiatement recherchée avec le représentant du fournisseur de la prothèse : 

  • Prêt possible auprès d’un établissement voisin -> solution qui s’avère impossible.
  • Restérilisation de l’ensemble de l’instrumentation -> solution qui ne sera pas retenue car il faut un temps incompressible de 3 à 4 heures et que le patient ne peut rester endormi ce laps de temps…

La décision de reporter l’intervention chirurgicale est donc prise, le patient est réveillé puis transféré en Salle de Surveillance Post Interventionnelle (SSPI).

Le patient suivant est demandé, le programme sera poursuivi…

L’équipe médico-chirurgicale va voir le patient une fois réveillé en SSPI pour lui expliquer la situation et les raisons du report de l’intervention. Le malade accepte bon gré, mal gré les explications.

L’intervention sera réalisée 2 jours plus tard (le temps de retrouver un créneau compatible avec la durée opératoire et pour ne pas immobiliser le matériel trop longtemps, matériel mis à disposition par le fournisseur de la prothèse). Le geste chirurgical se déroule sans incident notable, avec un bon résultat fonctionnel dans les suites opératoires à court et moyen terme.

Conséquences

Cet événement indésirable (EI) aura eu comme conséquences :

  • Un report de l’intervention chirurgicale dans un contexte de crise sanitaire où les créneaux opératoires sont compliqués à organiser et planifier.
  • Un patient, qui après avoir entendu les explications des soignants, a compris que sa prise en charge était différée pour des raisons de moyens matériels défaillants. Il a écrit au Directeur Général pour lui signifier son vif mécontentement et demander une indemnisation par voie amiable.
  • Une hospitalisation conventionnelle de 2 jours supplémentaires inutile dans une période où les lits de court séjour étaient rares, sans oublier l’impact financier des moyens mobilisés.
  • Une AG inutile effectuée dans le cadre de cette prise en charge, ainsi que la réalisation d’un bloc péri-nerveux, 2 actes techniques non dénués de risques pour ce patient ASA 2, sans oublier l’impact financier des moyens mobilisés.
  • Une occupation de la salle d’intervention de plus d’une heure sans aucun retour sur cette occupation -> pas d’acte à côter… avec un impact financier à ne pas sous-estimer…
  • Une nouvelle procédure de stérilisation à réaliser, avec un impact sur la charge de travail de l’équipe de stérilisation et un surcoût de traitement (2 procédures pour une seule intervention réalisée…) en sachant que ce temps est forcément conséquent car c’est un matériel moins connu de l’établissement qui nécessite un traitement attentif pour éviter toute erreur de recomposition de boîtes et/ou paniers.

Le médecin anesthésiste et le chirurgien orthopédiste signaleront l’incident par le biais d’une déclaration d’événement indésirable, le chirurgien étant contrarié car il a été confronté à cette typologie d’EI à plusieurs reprises ces derniers mois…

Méthodologie et analyse

Devant les conséquences organisationnelles pour le patient et l’établissement de santé, et devant l’impact financier de ce report d’intervention chirurgicale, le chef d’établissement a validé le principe d’une analyse en profondeur de cet EI, car la revue des EI de cette typologie en dénombre plusieurs.

L’objectif de ce retour d’expérience est de comprendre le mécanisme de cet événement, de le partager pour éviter de renouveler ce type d’incident dans l’avenir.

Une analyse de risque a postériori est donc réalisée.

Dans cette analyse, seuls les éléments contributifs à la recherche des causes conduisant à cette erreur seront recherchés. La méthode ALARM est retenue.

Les données analysées proviennent des éléments recueillis au préalable auprès des professionnels de santé qui sont intervenus dans la prise en charge de ce patient : recueil réalisé lors d’entretiens individuels, analyse de documents, lecture du dossier.

Cause immédiate

C’est l’infirmière circulante de la salle d’opération qui a détecté le défaut d’intégrité de l’emballage du panier d’instrument, et donc son défaut de stérilité.

Causes profondes

 

Partant de cette analyse, il est important de mettre en évidence les barrières de défenses qui ont été déficientes.  

Barrière qui a détecté l’incident

  • Récupération
    C'est l’infirmière circulante qui a détecté le micro-trou dans le papier d’emballage, remettant en cause la stérilité du produit. La consigne d’inspection des emballages par trans-illumination a permis d’éviter l’utilisation d’un ancillaire considéré comme non stérile.

Barrières qui n’ont pas fonctionné et qui ont permis l’incident

  • Prévention
    L'instrumentation en prêt n’a pas été toute conditionnée en containers.
  • Prévention
    Le mode dégradé (paniers sous papier non tissé renforcé) expose au risque de perforation accidentelle.
  • Prévention
    Les espaces de stockage sont sous dimensionnés pour permettre un rangement préservé des risques de dégradations des emballages papier.
  • Prévention
    Les demandes répétées d’investissement pour l’achat de containers supplémentaires n’ont pas été honorées.
  • Prévention
    La sous-déclaration de ce type d’EI n’a pas permis de mesurer avec objectivité sa fréquence. 

Les pistes de réflexion et/ou d'amélioration

A travers ce retour d’expérience, une communication sur la culture de sécurité est retenue.

Cet exemple montre que la sous-déclaration des EI ne permet pas toujours une prise de décision éclairée. Dans les suites de l’analyse de cet EI, 7 incidents ont été dénombré sur les 36 derniers mois. Lors des différents échanges avec les professionnels exerçant au bloc opératoire, la majorité des infirmières de bloc opératoire a pris l’engagement de déclarer les EI rencontrés de manière plus exhaustive.

La Direction Générale a validé le principe de ne retenir le mode dégradé qu’en dernière intention. Elle a donc pris la décision d’acheter les containers supplémentaires demandés, et des armoires de rangement mobiles pour limiter les mobilisations génératrices de dégradation des emballages papier (toute l’instrumentation ne peut être traitée en container) et compenser les espaces de stockage insuffisants.

De plus, une liste restreinte des instruments à traiter sous emballage papier sera réalisée, proposée par les infirmières de bloc opératoire et validée par les chirurgiens et le pharmacien responsable de la stérilisation.

La décision d’acheter des tables supplémentaires pour transporter la dotation chirurgicale à plat est également prise, ceci pour éviter l’empilement des boites, paniers et sachets…

Enfin, la réflexion collective a permis de définir une conduite à tenir du fait du caractère imprévisible et aléatoire de l’assurance de stérilité du matériel malgré toutes les précautions prises (que ce soit avec l’instrumentation sous emballage avec le risque que l’enveloppe soit percée ; et avec les containers avec le risque de présence d’eau dans le fond de cuve) : il a été décidé que dans le cas d’instrumentation et/ou d’ancillaires uniques, l’instrumentiste commencerait par ouvrir chaque ancillaire pour certifier la stérilité avant de faire l’induction anesthésique du patient.

Toutes ces propositions d’améliorations ont été présentées en conseil de bloc pour une validation collégiale.
Plusieurs réunions d’informations de toutes les équipes du bloc ont ensuite été organisées pour sensibiliser un maximum de professionnels sur ces axes de progrès.

Conclusion

Dans ce retour d’expérience, le lien avec les travaux de BIRD et sa pyramide a été retenu pour expliquer le bénéfice d’une déclaration d’EI, même si souvent les conséquences pour le patient étaient nulles. Cet exercice pédagogique a montré que le nombre important de déclarations oblige les décideurs à réagir…

Dans le cas présent, les impacts pour ce malade n’ont pas été neutres, puisqu’il a dû subir une nouvelle anesthésie.

Une culture de sécurité partagée doit amener tous les soignants d’un même secteur à être des acteurs dans une démarche de gestion de risques a posteriori efficiente