Du modèle hospitalo-centré au territoire de santé : leçons du plan décennal anglais

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Du modèle hospitalo-centré au territoire de santé : leçons du plan décennal anglais

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  • Illustration du Royaume-Uni aux couleurs de l'Union Jack avec un stéthoscope - La Prévention Médicale

Porté comme une transformation majeure du système de santé, le plan décennal anglais vise à passer d’une organisation centrée sur l’hôpital à une véritable logique de territoire. Entre réussites, limites et risques identifiés, ce retour d’expérience offre des enseignements pour repenser la stratégie française et anticiper les défis à venir.

Auteur : le Pr René AMALBERTI, Président de La Prévention Médicale, Docteur en psychologie des processus cognitifs, ancien conseiller HAS / MAJ : 16/12/2025

Le nouveau plan national de santé anglais

Le plan national de santé anglais à 10 ans, publié en juillet 2025, prévoie 3 grandes priorités dans ses cibles :

  • Passer d’une vision centrée Hôpital à une vision centrée Territoire de santé.
  • Passer d’une vision curative à une vision préventive.
  • Passer d’une ère manuelle à l’ère numérique.
     

Ces trois priorités sont aussi plus ou moins celles de tous les pays occidentaux et, de fait, des autorités Françaises.

Un éditorial très bien écrit publié dans le BMJQS (British Medical Journal Quality and Safety - Pettigrew 2025) propose un regard critique sur la transition vision centrée Hôpital - vision centrée Territoire de Santé (impliquant tous les professionnels de santé du territoire). 

Cet article en reprend les idées essentielles

Que prévoit le plan national de santé anglais ?

Le passage de l'hôpital à la communauté repose sur le développement de services de santé de proximité, fournis par des équipes multidisciplinaires basées dans la communauté, comprenant des médecins généralistes, des infirmières, des pharmaciens, des ambulanciers paramédicaux et divers autres membres du personnel.

Le plan propose également la création de centres de santé de proximité, ouverts au moins 12 heures par jour, 6 jours par semaine, et offrant des services regroupés du centre de santé, des autorités locales et du secteur bénévole. 

Afin d'encourager la fourniture de ces services, le plan propose deux nouveaux contrats de quartier :

  • Un contrat de prestataire de "quartier" visant à s'appuyer sur les réseaux de soins primaires et couvrant une population d'environ 50 000 personnes.
  • Un contrat "multi-quartiers" couvrant une population d'environ 250 000 habitants, visant à soutenir les fonctions administratives, la transformation numérique, les biens immobiliers, l'analyse des données et l'amélioration de la qualité.
     

Si les grandes organisations de médecins généralistes, telles que les fédérations, peuvent être en mesure de conclure des contrats couvrant plusieurs quartiers, celles-ci seront également ouvertes aux trusts (les réseaux régionaux d’hôpitaux publics) du NHS.

Il est également proposé de créer des organisations de santé intégrées opérant à encore plus grande échelle. Les "meilleurs" trusts hospitaliers deviendraient, des "super-organisations" détenant l'intégralité du budget de santé d'une population définie. Le plan prévoit que celles-ci deviendraient la "norme" au fil du temps.
 

Des points positifs pour les soins primaires

Le plan pour les soins primaires comporte des aspects positifs. Il est ambitieux et plaide fortement en faveur du changement.

  • Il insiste sur la nécessité de rapprocher les soins du domicile, ce qui s'appuie sur les efforts déjà en cours pour développer les services communautaires et s'aligne sur les aspirations de longue date visant à s'éloigner des modèles centrés sur les hôpitaux.
  • Il met l'accent sur la prévention et reconnaît l'importance des déterminants sociaux de la santé, en proposant, par exemple, de regrouper les services d'aide à l'emploi et au désendettement au sein des territoires.
  • Le plan reconnaît les inégalités de longue date en matière de santé et de soins, et annonce une révision de la formule de financement de la médecine générale afin de remédier aux disparités dans l'allocation des ressources.
     

En outre, les dirigeants du NHS ont décrit leur intention d'adopter une approche "stricte-souple-stricte" : 

Si ce degré de flexibilité locale est atteint, les équipes de soins primaires et les autres organisations locales disposeront d'une certaine liberté pour développer des services de santé de proximité qui répondent au mieux aux besoins locaux tout en restant alignés sur les objectifs nationaux.

Les inconvénients du plan de santé anglais

L'un des principaux problèmes de ce plan est qu'il manque de stratégie de mise en œuvre et ne tire pas suffisamment parti des enseignements tirés des initiatives passées. 

Les programmes Integrated Care Pioneers et Vanguard New Care Models, lancés dans les années 2010 dans le but de regrouper les prestataires de soins primaires, communautaires et secondaires dans le cadre de nouveaux contrats, n'ont pas pu être étendus en raison de la complexité des contrats, de l'incertitude du financement et du manque de preuves de leur efficacité.

  • À la fin des années 2000, les polycliniques Darzi ont été qualifiées "d’éléphants blancs" car elles étaient jugées coûteuses, faisant souvent double emploi avec d'autres services, et considérées comme une menace par de nombreux médecins généralistes.
  • Les centres de consultation sans rendez-vous du NHS ont fait l'objet de critiques similaires.
  • Les nouveaux modèles de soins, s'ils ne sont pas soigneusement planifiés et intégrés aux cabinets médicaux existants, pourraient connaître le même sort.
  • Sur le plan financier, le plan repose sur des hypothèses optimistes. L'augmentation annuelle de 2,8% du financement du NHS annoncée dans la planification des dépenses est inférieure à la moyenne historique à long terme de 3,7% et bien inférieure aux augmentations importantes observées au cours des années 2000 sous le dernier gouvernement travailliste (6,8% en moyenne).
  • En l'absence de financement global supplémentaire, le plan propose de réaffecter les ressources du secteur des soins aigus, suggérant que les 2,2 milliards de livres sterling économisés grâce à la réduction des déficits hospitaliers seront réinvestis dans les soins primaires. Étant donné que de nombreux hôpitaux sont déficitaires depuis des années et font face à des pressions importantes en matière de services, on ne voit pas clairement comment ces économies pourraient être réalisées puis transférées vers les soins primaires.
     

Ces défis sont aggravés par le fait que le NHS England est en cours de profonde réorganisation et fusion avec les autres centres nationaux avec des objectifs drastiques de réductions de coûts plus la distraction associée à une nouvelle "réorganisation".

Le plan s'appuie également sur des données optimistes et discutables. Par exemple, il cite ce qui semble être un calcul approximatif selon lequel le temps gagné par les médecins généralistes grâce à la technologie vocale automatisée équivaudrait à l'ajout de 2 600 médecins généralistes à temps plein. Bien qu'il s'engage à former "des milliers de médecins généralistes supplémentaires", il ne se concentre pas sur la manière d'endiguer la perte de médecins généralistes au sein du NHS. 

En outre, les hypothèses concernant les retombées économiques des soins intégrés ne sont pas étayées par des données cohérentes : si des soins multidisciplinaires mieux intégrés peuvent améliorer la satisfaction et l'accès des patients, les données sur leur impact sur les coûts et les résultats sont mitigées.

Le côté (potentiellement) négatif

Le plan ouvre clairement la voie à :

  • une intégration verticale, dans laquelle les trusts hospitaliers du NHS prennent en charge la gestion des cabinets médicaux généralistes et d'autres services communautaires (ou vice-versa) ;
  • ainsi qu'à une intégration horizontale entre les cabinets médicaux généralistes et les prestataires communautaires. 
     

Les politiques d'intégration verticale semblent s'inspirer des organisations de soins responsables (ACO) aux États-Unis. Cependant, l'expérience du Royaume-Uni reste limitée sur la question. 

En 2023, seulement environ 1% des cabinets de médecine générale en Angleterre faisait partie d'un trust du NHS, ces accords visant souvent à aider à stabiliser les cabinets menacés de fermeture.

L'intégration verticale peut apporter des avantages tels que des économies d'échelle, une meilleure coordination entre les services et davantage d'opportunités de progression de carrière, mais elle peut également entraîner une perte d'autonomie, de réactivité et une bureaucratie accrue pour les soins primaires.

On ne sait pas encore très bien comment les nouveaux contrats de santé de quartier s'articuleront avec les contrats actuels des médecins généralistes. 

Pour beaucoup de médecins généralistes, l'idée de faire partie d'un trust du NHS ou d'un modèle de type polyclinique peut sembler menaçante ou peu accueillante, et les négociations contractuelles risquent de mal tourner. Cependant, le contexte a changé depuis les précédentes tentatives d'intégration des soins et de création de polycliniques au sein du NHS. Les cabinets se sont habitués à travailler à plus grande échelle et beaucoup d'entre eux opèrent sur plusieurs sites. 

Les nouvelles orientations ont obligé les cabinets à travailler ensemble et à diversifier leur personnel dans un contexte marqué par deux évolutions majeures :

  • Les médecins généralistes ne représentent plus que 16% de l'effectif équivalent temps plein de la médecine générale.
  • Les associés représentent moins de la moitié des médecins généralistes.
     

Pour conclure, on peut voir que certaines retombées à long terme des propositions contenues dans le plan décennal sont réalisables, mais uniquement si elles s'appuient sur des objectifs clairs et réalistes, un engagement significatif des acteurs de première ligne et des investissements initiaux suffisants. 

Un changement d'une telle ampleur nécessite du temps et la bonne volonté du personnel.

Rétrospectivement, le NHS s'efforce depuis au moins une décennie de développer la médecine générale et d'intégrer les services. Si le plan crée un sentiment d'urgence, il faut également faire preuve de réalisme quant au rythme des réformes. 

Compte tenu du caractère limité et incertain des données disponibles, une évaluation itérative sera essentielle pour comprendre ce qui fonctionne et s'adapter en conséquence. 

En fin de compte, le plus grand risque pour la mise en œuvre n'est peut-être pas d'ordre opérationnel, mais politique, la raison la plus probable d'un éventuel échec étant une nouvelle réorganisation majeure avant 2035.

Il est toujours intéressant de regarder chez nos voisins quand on souffre des mêmes problèmes… peut-être que leur avance et le retour d’expérience qu’ils vont en tirer nous sera très utile.
 

Pour aller plus loin

Pettigrew L., Beech J., Alderwick H., Smith J. - From hospital to community? The good, the bad, and the ugly of the 10-year plan to move care to the community - British Journal of General Practice 2025;  75 (759): 440-442

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