Retard diagnostique d'une grossesse extra-utérine

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Retard diagnostique d'une grossesse extra-utérine - Cas clinique

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  • grossesse extra-utérine, diagnostique, trompe

Médecins très (trop) occupés, courriers qui s’égarent et organisation de secrétariat déficiente ; il n’en faut guère plus pour provoquer des évènements très indésirables.

  • Sage-femme
Auteur : La Prévention Médicale / MAJ : 17/06/2020

Cas clinique

  • Femme de 28 ans adressée en juin par son médecin traitant à un gynéco-obstétricien exerçant dans une Polyclinique pour des explorations complémentaires à la suite de deux fausses couches spontanées précoces.
  • Le bilan réalisé en raison de cette hypofertilité, tant chez cette jeune femme que chez son mari, ne met en évidence aucune anomalie.
  • Le gynéco-obstétricien conseille une stimulation ovarienne par Clomid® 2 comprimés par jour du 3ème au 7ème jour du cycle et Puregon® 50, une ampoule du 5ème au 7ème jour du cycle.
  • Cette stimulation commence le 25 août. Elle est contrôlée par des échographies.
  • Celle du 2 septembre, au 11ème jour du cycle, montre un follicule ovarien de 25x17 mm au niveau de l’ovaire droit et le gynéco-obstétricien déclenche l’ovulation par l’injection de 2 ampoules à 5 000 unités d’HCG. Le résultat de cette stimulation ovarienne est contrôlé par des dosages plasmatiques de la bêta HCG.
  • Le dosage du 19 septembre est positif à 97 UI/l. Le taux augmente progressivement jusqu’au 25 septembre pour atteindre 1 652 UI/l avant de redescendre le 26 septembre à 1453 UI/l.
  • Le 27 septembre, la patiente ressent des douleurs pelviennes droites. Elle téléphone au gynéco-obstétricien qui lui conseille de réaliser une échographie pelvienne.
  • Celle-ci est effectuée le 27 septembre. Le radiologue conclue à une «grossesse arrêtée avec présence d’un corps jaune kystique de 43 mm de diamètre ».
  • Le jour même, la patiente se rend à la Polyclinique où elle est reçue par le gynéco-obstétricien de garde. Sur les résultats de l’échographie, celui-ci porte l’indication d’un curetage évacuateur qu’il réalise le lendemain matin.
  • L’examen anatomo-pathologique du produit d’évacuation conclue à « évacuation utérine pour œuf clair: caduque en dissociation hémorragique, sans tissu trophoblastique ». Ce résultat est envoyé à la clinique mais à une adresse ne correspondant pas à celle du bâtiment où est situé le cabinet de consultation du gynéco-obstétricien de garde qui n’en est pas informé.
  • Le 1er octobre, la patiente consulte son gynéco-obstétricien traitant qui s’assure par échographie de la vacuité utérine.
  • Le 7 octobre, la patiente ressent des douleurs pelviennes et note l’apparition de métrorragies. Elle téléphone à son gynéco-obstétricien. Comme ce dernier est indisponible, sa secrétaire conseille à de voir le gynéco-obstétricien de garde. Celui-ci qui n’a pas reçu le résultat anatomo-pathologique du produit de curetage qu’il avait réalisé le 28 septembre, prescrit du Methergin® pour arrêter les métrorragies.
  • Le 11 octobre, la patiente appelle de nouveau le secrétariat de son gynéco-obstétricien car les symptômes persistent mais il lui est répondu qu’il n’était pas disponible.
  • Ce n’est que le 14 octobre dans la soirée, après un premier essai infructueux le matin, qu’elle parvient à le joindre. Le gynéco-obstétricien prescrit un dosage de bêta HCG plasmatique.
  • Cette prise de sang est faite le 15 octobre au matin avant que la patiente ne rejoigne une ville située à 175 Km de son domicile, où elle doit participer à une formation professionnelle.
  • En début d’après-midi, elle est informée par téléphone du résultat de ce dosage à 46 372 UI/ l. Elle téléphone alors à son gynéco-obstétricien. Comme ce résultat élevé rend possible l’existence d’une grossesse extra-utérine (GEU), ce dernier lui conseille de consulter rapidement un gynéco-obstétricien sur place. Mais ne connaissant pas l’organisation médicale hospitalière locale, la patiente préfére revenir dans la ville où elle habite pour voir, dans l’après-midi, son gynéco-obstétricien. Celui-ci réalise une échographie qui confirme le diagnostic de GEU . Il informe la patiente de la nécessité d’une intervention chirurgicale et de la très forte probabilité de l’ablation de la trompe porteuse de la GEU.
  • Toutefois, en raison d’une grève des anesthésistes de la Polyclinique, le gynéco-obstétricien n’est pas en mesure d’opérer la patiente. Il lui conseille de se rendre dans le service de gynéco-obstétrique du CHU de la ville avec une lettre introductive qu’il rédigea. Le jour même, la patiente se rend, par ses propres moyens dans ce service où elle est accueillie par l’obstétricien de garde. Celui-ci confirme le diagnostic de GEU et en l’absence de gravité, en particulier du point de vue hématologique, fixe l’intervention au lendemain matin.
  • Le curetage utérin ramène peu de matériel et en une coelioscopie confirme le diagnostic de GEU droite sans hémorragie à l’intérieur de la cavité abdominale. Il est réalisé une salpingectomie droite.
  • La patiente quitte le service de gynéco-obstétrique le 18 octobre avec un arrêt de travail jusqu’au 31 octobre. Elle décide d’être suivie dans ce service pour compléter le bilan d’hypofertilité entrepris à la Polyclinique. Aucune anomalie n’est décelée. Dans les suites, surviendront deux grossesses avec naissance d’enfants normaux.
     
     
     Assignation en décembre des deux gynéco-obstétriciens de la Polyclinique par la patiente mettant en cause leur conduite diagnostique
     

Analyse

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Jugement

EXPERTISE

L’expert, professeur des universités chef de service de gynéco-obstétrique, divisait son rapport en trois parties : 1) les soins prodigués à la patiente ; 2) l’information qu’elle avait reçue ; 3) les dommages qu’elle avait subis.

1) Les soins prodigués

1.1-La maladie abortive, c’est à dire les fausses couches spontanées à répétition, commençait à partir de trois fausses couches spontanées. La patiente qui n’en avait présenté que deux n’entrait pas dans le cadre de la maladie abortive. Dans ces conditions, il n’y avait pas d’indication de bilan complémentaire.

1.2- L’indication d’une stimulation ovarienne ne pouvait pas être reprochée au gynéco-obstétricien traitant. En effet, dans la situation de la patiente, il n’y avait pas actuellement de consensus sur la conduite à tenir. La stimulation ovarienne était l’une des attitudes admises en se fondant sur l’hypothèse que les fausses couches à répétition étaient liées à un défaut de l’ovulation qui pouvait être corrigé par la stimulation ovarienne

1.3- Le diagnostic de grossesse arrêtée était plausible. En effet, d’une part le dosage de la bêta HCG plasmatique était redescendu et d’autre part, l’échographie montrait une image de sac ovulaire intra-utérin renfermant un embryon sans activité cardiaque. La pratique d’une évacuation utérine par curetage une fois le diagnostic de grossesse arrêtée posé, était licite.

1.4- Ensuite, il y avait eu un retard au diagnostic de la GEU. Ce retard était la conséquence d’un défaut d’organisation avec difficulté pour la patiente de voir en consultation son gynéco-obstétricien traitant, la communication se faisant le plus souvent par téléphone et par l’intermédiaire de la secrétaire. Pour sa défense, ce praticien rappelait que plusieurs fois sa secrétaire avait recommandé à la patiente de consulter le gynéco-obstétricien de garde de la Polyclinique. Il soulignait que, dans l’organisation médicale de la Polyclinique, ce dernier n’assurait que les urgences, son poste ayant été créé précisément pour décharger ses confrères pendant la journée et permettre aux patientes de toujours trouver un médecin disponible.
L’autre origine du retard de diagnostic était liée au fait que le résultat anatomo-pathologique du produit de curetage adressé au gynéco-obstétricien (de garde) était arrivé au 6 rue X… alors que son cabinet de consultation était situé dans une autre partie de la clinique au 7 rue X… et qu’il n’en avait pas eu connaissance. Or, l’existence d’une simple caduque en dissociation hémorragique était en faveur d’une GEU, d’autant que la patiente se plaignait de douleurs et de métrorragies. Compte tenu du temps nécessaire pour que le prélèvement parvienne au laboratoire, qu’il soit analysé, que le résultat soit tapé par le secrétariat et qu’il parvienne à la clinique, un délai d’une semaine pouvait raisonnablement être retenu Si, lors de la consultation du 7octobre (soit 9 jours après le curetage), le gynéco-obstétricien (de garde) avait eu connaissance de ce résultat, il aurait pu, sinon faire le diagnostic de GEU ce jour-là, tout au moins prescrire les examens complémentaires nécessaires, échographie pelvienne et dosage de la bêta HCG plasmatique.

2) L’information reçue

Le gynéco-obstétricien traitant disait avoir informé la patiente des risques de la stimulation ovarienne (grossesse multiple, échec du traitement avec possibilité ultérieure de fausse couche spontanée), mais reconnaissait ne pas avoir évoqué l’éventualité d’une GEU.
La patiente niait avoir reçu ce type d’information dont il n’existait, d’ailleurs, aucune preuve écrite dans son dossier. Toutefois, elle déclarait que, même si elle avait été informée de la possibilité d’une GEU, elle aurait malgré tout tenté la stimulation ovarienne.

3) Les dommages subis

Les seuls dommages retenus sont ceux liés au retard de diagnostic. Ils sont représentés par la persistance de la douleur et des métrorragies pendant une huitaine de jours et le stress lié aux circonstances du diagnostic de la GEU fait par téléphone alors que la patiente était en déplacement professionnel, à distance de chez elle avec l’obligation pour elle de revenir rapidement dans sa ville de résidence en abandonnant de façon précipitée la séance de formation à laquelle elle participait. Ce retard de diagnostic n’avait pas eu de conséquences médicales graves puisque l’obstétricien de garde du CHU n’avait pas opéré la patiente en urgence mais avait programmé l’intervention pour le lendemain précisément devant l’absence de symptômes de gravité.

Par ailleurs, il n’était pas possible d’affirmer que, si le diagnostic de GEU avait été fait plus tôt, la patiente aurait obligatoirement conservé sa trompe droite. En effet, en dehors de la rupture de la trompe où l’ablation de celle-ci était obligatoire, il n’y avait pas de consensus sur l’attitude à adopter en cas de GEU non rompue. Certaines équipes pratiquaient systématiquement l’ablation de la trompe arguant du fait que la GEU était souvent liée à une pathologie tubaire et qu’il valait mieux enlever la trompe pour éviter une récidive, d’autres conseillaient la conservation de la trompe. De toute façon, l’ablation de la trompe n’avait entraîné aucune conséquence puisque, ensuite la patiente avait pu avoir deux enfants
En conclusion, l’expert retenait à l’égard du gynéco-obstétricien traitant, un défaut d’information sur le risque de GEU en notant cependant que, si la patiente avait eu cette information, elle n’aurait pas renoncé à la stimulation ovarienne.*

Le retard de diagnostic de la GEU-- dont la durée pouvait être estimée mais, de façon imprécise à 7 jours-- était imputable aux deux gynéco-obstétriciens avec un partage à égalité de responsabilité. Il avait été source de dommages propres à justifier une indemnisation au titre de la douleur, côtés à 2/ 7. La GEU –qui est un risque inhérent à toute fécondation qu’elle soit naturelle ou liée à une stimulation ovarienne- et ses conséquences (intervention chirurgicale, cicatrices abdominales, ITT) n’étaient pas retenues comme dommages puisque la GEU n’était pas secondaire à une faute.

Tribunal d’Instance

Le magistrat critiquait les conclusions du rapport d’expertise : « (…) Au delà des dommages liés au retard de diagnostic,…il n’était pas sérieusement contestable que la patiente avait subi un préjudice anatomique correspondant à la perte d’une trompe et à trois cicatrices d’1, 5 cm au niveau ombilical et iliaque droit et gauche. Si elle avait pu, ensuite, mener à bien deux grossesses, l’expert ne pouvait sans légèreté psychologique conclure à l’absence de conséquence de l’ablation d’une trompe pour une femme de 28 ans .D’autant, comme le soulignait un rapport établi, à la demande de la patiente par un autre expert spécialiste, le fait de ne plus disposer que d’une trompe constituait un facteur de moindre fécondité qui pouvait imposer le recours à une fécondation in vitro…qui n’était pas dénuée de contraintes et de risques iatrogènes (…) » Si on ne pouvait affirmer qu’un diagnostic plus précoce aurait, de façon certaine, évité l’ablation de la trompe, l’expert estimait qu’il en aurait cependant limité le risque , « de sorte que la tardiveté du diagnostic a incontestablement fait perdre à la patiente une chance de conserver sa trompe droite, en particulier parce que l’intervention chirurgicale avait constitué une réelle mise en danger de la patiente et induit la nécessité d’une salpingectomie sans essai préalable d’un traitement conservateur. »

Concernant la responsabilité du gynéco-obstétricien traitant, le magistrat estimait que sa responsabilité était incontestablement engagée dans les dommages subis par la patiente « (…) La gestion des appels téléphoniques de la patiente, la difficulté de le joindre malgré le caractère anormal des symptômes présentés et ce à plusieurs reprises démontraient, à tout
le moins, un défaut grave d’organisation. Il existait également une défaillance dans le suivi de la patiente puisque le gynéco-obstétricien traitant n’avait pas estimé utile de vérifier, lui-même, le compte-rendu anatomo-pathologique réalisé sur le produit de curetage (daté du 1er octobre), ni de faire un examen complet utérus, trompes, ovaires contrairement à ce qui était défini dans la "cotation échographie gynécologique", ce qui aurait permis de visualiser la GEU … Au-delà de ces négligences graves, il était étonnant de constater que ce praticien ait pu estimer que sa patients pouvait se rendre seule, avec sa voiture personnelle, à la maternité du CHU sans prendre de dispositions particulières. Cette attitude n’était pas celle que la patiente pouvait attendre du médecin obstétricien qu’elle avait choisi et à qui elle faisait confiance pour assurer sa sécurité et l’assister psychologiquement (…) »

Statuant sur la responsabilité du gynéco-obstétricien de garde, le magistrat était d’avis qu’elle était également incontestablement engagée du fait de l’absence de contrôle visuel du produit d’aspiration avant envoi en anatomo-pathologie. Par la suite, « (…) Si le résultat de l’examen avait été adressé dans une autre partie de la Polyclinique, il lui appartenait de prendre toutes dispositions pour en être destinataire sans délai et en tirer toutes conséquences médicales. Il devait ensuite l’adresser au gynéco-obstétricien en charge de la patiente et faire rappeler celle-ci devant la forte suspicion de GEU. Telle n’avait pas été son attitude ni lors du curetage, ni dans la semaine qui avait suivi, ni le 7 octobre lorsqu’il avait réexaminé la patiente en urgence pour des douleurs et des métrorragies, en l’absence du gynéco-obstétricien traitant injoignable. Il avait alors considéré ces signes uniquement comme étant la conséquence du curetage sans les confronter aux données de l’examen anatomo-pathologique (…) »

Compte-tenu du rôle respectif des deux praticiens dans la Polyclinique comme à l’égard de la patiente, le magistrat décidait que la part de responsabilité incombant au gynéco-obstétricien traitant serait des 2/ 3 et celle du gynéco-obstétricien de garde d’1/ 3. Il condamnait les deux médecins, en prenant en compte le pretium doloris retenu par l’expert (2/7) et le dommage psychologique subi par la patiente, à lui payer in solidum la somme de 5500€.

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