Un protocole de surveillance en postopératoire, bien pensé et appliqué systématiquement par du personnel formé, permet de détecter précocement des complications délabrantes en grande partie évitables, quel que soit le type d’anesthésie proposé.
Mme F., 20 ans, est orientée par son médecin traitant vers un praticien pour le traitement chirurgical d’un kyste sacro-coccygien.
Cette jeune étudiante en droit (2e année de licence) présente depuis plusieurs jours une douleur vive de la région sacro-coccygienne. C’est déjà la deuxième fois qu’elle présente ce tableau clinique. Il y a 14 mois, un abcès au même niveau avait fistulisé spontanément. Son médecin traitant avait préconisé des soins locaux réalisés par une infirmière libérale et proposé une consultation auprès d’un chirurgien pour évaluer la pertinence d’un traitement chirurgical à froid de cette maladie pilonidale.
Les soins locaux permettent une cicatrisation au bout de 2 semaines et la patiente "oublie" sa consultation chirurgicale.
Devant la récidive, elle consulte le chirurgien dans un contexte d’urgence. Lors de l’examen clinique, le praticien trouve une zone inflammatoire avec en son centre une collection purulente expliquant la douleur.
Le chirurgien explique les conclusions de son investigation clinique et propose un traitement chirurgical. Il explique qu’il pourra réaliser une exploration des lésions sous anesthésie, et notamment la recherche de trajets de drainage avec un test au bleu.
La patiente accepte le principe d’un traitement chirurgical au vu des explications données et réalise la consultation préanesthésique (CPA) dans la continuité de son passage auprès du chirurgien, car cette intervention est programmée le lendemain dans le contexte d’un parcours ambulatoire.
Lors de cette CPA, aucun antécédent notable n’est relevé et il lui est proposé une anesthésie locorégionale – une rachianesthésie –, protocole accepté après avoir reçu les informations expliquant les avantages et inconvénients de cette technique.
Mme F. est admise le lendemain en secteur ambulatoire. Les formalités administratives réalisées, elle est transférée au bloc opératoire pour bénéficier de l’intervention prévue. Après l’entretien préopératoire, aucune contre-indication à la réalisation de l’acte n’est relevée.
Elle est alors installée en salle d’opération : la ponction intrathécale est réalisée en L2-L3 sans difficulté avec une aiguille de 27G, et l’anesthésique local est administré. Une fois l’anesthésie installée, la patiente est placée en décubitus ventral sans modifications hémodynamiques particulières.
L’intervention est réalisée avec test au bleu permettant une excision proportionnée des tissus inflammatoires et des trajets de drainage. L’excision est tout de même conséquente, et le chirurgien, redoutant un saignement dans les suites postopératoires, souhaite que la patiente passe une nuit en hospitalisation conventionnelle. Cette recommandation est acceptée par la patiente.
Une fois l’intervention terminée, la patiente est installée en Salle de Surveillance Post-Interventionnelle (SSPI) pour évaluer la levée du bloc moteur et sensitif. Les suites post-interventionnelles immédiates ne révèlent pas de complications particulières.
La malade est donc transférée en secteur d’hospitalisation vers 18 h.
Les soins postopératoires ne signalent aucune anomalie.
Lors du tour de soins de 5 h, la patiente se plaint de douleurs abdominales avec irradiation en région lombaire. Elle bénéficie d’une administration d’antalgiques de palier 2, conformément au protocole du service.
Lors du tour de soins de 8 h, la patiente signale que la douleur ne s’est pas estompée… l’infirmière prévient le médecin anesthésiste qui vient assez vite. Il fait le point avec la patiente, l’examine et pense à un globe vésical… il demande à l’infirmière de poser une sonde urinaire… ce sondage ramènera 1500 ml d’urine… un "claquage" de vessie est suspecté…
Son hospitalisation est prolongée de 3 jours avec maintien de la sonde urinaire et l’avis d’un urologue est demandé.
Elle rentre à domicile avec la sonde urinaire au 4e jour de l’incident. L’infirmière de ville en charge de la patiente enlève la sonde la lendemain matin. L’après-midi même, elle retourne aux urgences devant la réapparition de douleurs abdominales.
Une nouvelle sonde est posée et 800 ml d’urines sont collectés. Elle est hospitalisée jusqu’au lendemain, avec une reprise de miction observée. Retour à domicile.
3 jours plus tard, elle présente à nouveau des douleurs abdominales. Elle consulte aux urgences où un sondage urinaire est réalisé, qui retrouve 1500 ml d’urines. Elle est réhospitalisée pour bénéficier d’un bilan urodynamique qui objective une vessie "claquée".
Pendant plus d’une année, et malgré plusieurs traitements médicamenteux, la patiente présente plusieurs épisodes de rétention urinaire nécessitant une prise en charge hospitalière, et plusieurs infections urinaires. De nombreux avis spécialisés sont pris et la solution transitoire de pratiquer des auto-sondages est favorisée. Du fait de la fréquence de tous ces événements (1 à 2 fois par mois avec des hospitalisations de plusieurs jours), elle n’a pu poursuivre ses études qu’elle a dû mettre en veille… |
La patiente a envoyé un courrier de réclamation à la direction générale de l’établissement de santé. Cette plainte a été traitée en Commission des Usagers à plusieurs reprises devant l’absence de consolidation de cette complication médicale. Cet événement indésirable (EI) a été classé dans la catégorie des EI grave (EIG). Faisant partie des événements évitables, il est décidé de réaliser une analyse dans le cadre d’une démarche de gestion des risques.
Les données analysées proviennent des éléments recueillis au préalable auprès des professionnels de santé qui sont intervenus dans la prise en charge de cette patiente : recueil réalisé lors d’entretiens individuels, analyse de documents, lecture du dossier.
C’est la patiente qui a signalé une douleur abdominale lors d’un tour de soins. La cause de cette rétention urinaire retenue par les experts est le blocage du sphincter vésical favorisé par la rachianesthésie (complication connue de cette technique anesthésique).
Les conséquences pour la patiente sont importantes :
Les conséquences pour l’établissement :
Il est important de mettre en évidence les barrières de défenses qui ont été déficientes.
Lors de l’analyse collégiale de cet événement indésirable, l’équipe médico-chirurgicale a précisé que la détection d’un globe vésical sur la base simple d’éléments cliniques n’était pas chose aisée, et qu’elle pouvait être faussement négative. L’utilisation d’un appareil portable pouvant mesurer le volume de la vessie (type BladderScan) permet une mesure non traumatique avec une grande fiabilité. C’est pour cette simplicité et efficacité du dispositif qu’il est demandé depuis plusieurs années au plan d’équipement. |
Une fois encore, "le diable est dans les détails". Cette complication, en lien avec la rachianesthésie et peu fréquente, a des conséquences dramatiques pour cette jeune patiente. À ce jour, même si son pronostic vital n’est pas engagé, son avenir est incertain avec toutes les récidives constatées. Pourtant, les données médicales permettaient de l’éviter avec une surveillance adaptée.
Le turn-over important des équipes soignantes ne facilite pas le partage des connaissances, permettant d’upgrader les compétences. Ce contexte, dans la gestion des ressources humaines, doit être pris en compte pour assurer des parcours sécures pour le patient.