Le 30 janvier 2013, une femme de 64 ans est adressée par son médecin traitant à un chirurgien pour "douleurs au niveau de sa hernie ombilicale".
- "(...) Importants troubles de la statique et de la marche avec instabilité à la station debout perturbée par une oscillation en tous sens, instabilité aggravée par un tremblement postural prédominant au tronc.
- Troubles de la marche très sévères liés essentiellement à ces troubles de l'équilibre avec élargissement du polygone de sustentation, et recherche infructueuse d'une position stable. Dysmétrie des membres supérieurs non accentuée par l'occlusion des yeux.
- Déficit moteur modéré des membres inférieurs prédominant en proximal et à gauche. Atteinte minime à droite .Déficit moteur de la main gauche distale, touchant toute la musculature et empêchant la motricité fine (notamment l’abduction, l'adduction , l'opposition des doigts).
- Pas d'atteinte détectable de la motricité diaphragmatique ; Pas d'amyotrophie
- Hypoesthésie des phalanges distales de la main gauche, hypoesthésie de l'avant-bras gauche, hypoesthésie abdominale en tablier
- Pas d'anomalie du sens de position des membres et des orteils
- Réflexes ostéo-tendineux présents, faibles et symétriques à l'exception des réflexes achilléens qui ne sont pas retrouvés ; Réflexes cutanés plantaires en flexion
- Pas d'anomalies des nerfs crâniens, notamment pas d'atteinte oculomotrice
- Dysarthrie de nature cérébelleuse et dyspnée d'effort en particulier à la parole (...)"
Saisine de la Commission de Conciliation et d'Indemnisation (CCI) , en juillet 2015, par la patiente pour obtenir l’indemnisation du préjudice qu’elle a subi.
1) J. Raiga , P. Barakat , P. Diemunch , P. Calmelet , J.P. Brettes, Cœliochirurgie et obésité « massive » ,Journal de Gynécologie Obstétrique et Biologie de la Reproduction
2000 (avril),Volume 29, N° 2, pp 154-160
2) Indications de la laparoscopie en chirurgie générale et digestive. Recommandations factuelles de la Société française de chirurgie digestive (SFCD) ; Annales de chirurgie 2006 (février), Volume 131, n° 2 pages 125-148. http://www.em-consulte.com/en/article/3921
Les experts, l'un chirurgien viscéral libéral et l'autre neurologue hospitalier, soulignent que : «(...) Si la patiente n'avait pas de séquelle apparente des complications postopératoires survenues, en revanche, sur le plan neurologique, elle était atteinte de troubles moteurs, de troubles sensitifs et d'importants troubles de la statique et de la marche ainsi que d'une dysarthrie. Ces troubles ont été attribués à une neuropathie de réanimation qui apparait, toutefois, atypique car elle est asymétrique (les troubles sensitivo-moteurs prédominant à gauche) et qu'elle s'est associée à une diplopie (transitoire) et à un syndrome cérébelleux (persistant).
Ces deux derniers symptômes impliquent nécessairement, l'existence d'une atteinte métabolique carentielle affectant l'encéphale et, notamment sa fosse postérieure. Ces atteintes métaboliques ressemblant à une encéphalopathie de Gayet-Wernicke , ont été décrites dans des situations semblables associées à une pathologie digestive (vomissements, malabsorptions). La perte de poids majeure est un argument décisif pour retenir ce diagnostic chez la patiente. Certes, il n'y a pas eu d'électroneuromyogramme qui aurait pu permettre d'asseoir le diagnostic de neuropathie de réanimation. Mais, en toute hypothèse, l'absence d'antécédent neurologique, la nature des troubles, leur amélioration progressive parallèlement à l'amélioration de l'état général de la patiente ne permettent pas de retenir de diagnostic alternatif à celui d'une neuropathie de réanimation associée à une encéphalopathie carentielle favorisée par cette même réanimation et la perte de poids. En tous cas, les séquelles neurologiques pour atypiques et peu documentées qu'elles soient, sont en rapport direct et exclusif avec l'accident chirurgical dont a été victime la patiente (...)"
Concernant l'acte opératoire proposé à la patiente, les experts estimaient qu' :" (...) Il était motivé sans alternative autre que chirurgicale... Le choix d'une intervention par cœlioscopie pouvait se justifier par le taux moins élevé de complications pariétales qu'engendre cette voie chez les patients à IMC élevé (36,5 chez la patiente). Cependant, compte-tenu des antécédents chirurgicaux de la patiente, des difficultés de dissection étaient à prévoir. L'alternative était la laparotomie. Le choix entre ces deux voies était, donc, possible mais l'abord cœlioscopique ne représentait, en aucun cas, la voie la plus facile, ni la plus sûre. Elle fut, d’ailleurs, difficile comme prévu par l'opérateur en préopératoire. Dans ces conditions, il fallait donc une particulière attention dans les suites opératoires, toute anomalie devant faire suspecter une complication viscérale (...)"
S'agissant de la réalisation de l'acte : "(...) Au vu des adhérences décrites, la plaie du grêle ne peut être interprétée comme une maladresse fautive mais comme une complication prévisible, bien que non détectée en peropératoire (...)"
S'agissant du suivi postopératoire :"(...) Il ne peut, en aucun cas être considéré comme conforme aux règles de l'art, et ce, tout particulièrement, en raison des antécédents chirurgicaux de la patients et des difficultés de l'intervention, qui devaient rendre très vigilant. Tout signe anormal (qu'il soit abdominal, ou respiratoire comme une dyspnée ou même général comme une tachycardie) devait orienter préférentiellement vers une origine abdominale.
La patiente ne sera réopérée que le lendemain en choc septique et celui-ci déterminera les complications ultérieures, et notamment et très directement, l'ischémie de la stomie du fait d'un bas débit cardiaque mais également les complications d'une ventilation prolongée (neuro-myopathie de réanimation chez 25 % des patients ventilés plus d'une dizaine de jours)
La surveillance de la patiente était dévolue au chirurgien (qui la verra le 12 au matin mais ne sera plus rappelé jusqu'au lendemain matin), à l'anesthésiste (qui la verra le matin et le soir du 12 mais sans rechercher une cause abdominale, même après le passage du cardiologue qui éliminera une cause cardio-pulmonaire aux troubles ayant justifié sa consultation) et au personnel de la clinique (infirmières et aide-soignante qui, devant une tachycardie permanente au cours de la nuit et des douleurs abdominales importantes ne jugeront pas utile de rappeler ni l'anesthésiste, ni le chirurgien).
Si une réintervention avait eu lieu, dès le 12 février, il existait des chances non négligeables de pouvoir réaliser une suture de la plaie, sans stomie puisque la perforation siégeait sur le grêle et non le côlon. Une telle intervention est habituellement suivie de 10 à 15 jours d'hospitalisation et d'une convalescence d’un mois (...) "
Du fait de ce retard à la réintervention, qu'ils estiment au moins à 20 heures, les experts évaluent la perte de chance pour la patiente d'éviter le dommage survenu, globalement à 50 % (passage d'une morbidité de 20 à 30 % de la péritonite secondaire opérée au cours des premières 24 heures, à une morbidité de 70 à 80 % en cas d'intervention lors d'un choc septique évolué). Ils répartissaient cette perte de chance entre le chirurgien (20 %), l'anesthésiste (20 %) et le personnel soignant de la clinique (10 %).
La CCI confirme les conclusions des experts sur les manquements reprochés au chirurgien, à l'anesthésiste et à l'équipe soignante de nuit ainsi que le niveau de la perte de chance subie par la patiente (50 %). Toutefois, considérant que le choix de la cœlioscopie et l'absence de laparoconversion sont des comportements non conformes aux règles de l'art, la CCI augmente la part de responsabilité du chirurgien dans la survenue de l’accident, par rapport à celle retenue par les experts.
Ainsi, l''indemnisation des préjudices subis par la patiente est pour 70 % mis à la charge du chirurgien, pour 20 % à celle de l'anesthésiste et pour 10 % à celle de la clinique.