Retard de diagnostic d'une appendicite chez une femme enceinte. Décès de l'enfant

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Retard de diagnostic d'une appendicite chez une femme enceinte. Décès de l'enfant

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  • Femme enceinte souffrante allongée sur le lit à l'hôpital - La Prévention Médicale

Quand une femme enceinte se présentant aux urgences générales pour des douleurs abdominales est vue par un interne, le diagnostic doit être confirmé par un senior. Lui seul peut affiner le diagnostic étiologique intégrant la préservation de la grossesse en cas d’urgence chirurgicale.

Auteur : le Dr Christian Sicot / MAJ : 04/05/2023

Cas clinique

En 2019, une femme de 34 ans, sans profession, accouche sans problème d'un fils au terme d'une grossesse normale. A noter qu’elle parle mal le français, mais le comprend bien.

Fin mars 2020, elle débute une seconde grossesse et est suivie par un obstétricien dans un hôpital privé disposant d’un équipement technique important, où elle peut s’exprimer dans sa propre langue. Cette grossesse se déroule normalement jusqu’en août 2020

Le lundi 10 août 2020, donc au terme de 22 semaines d'aménorrhée (SA), soit 4 mois et demi de grossesse, elle consulte en urgence un médecin généraliste, le Dr A., en raison de douleurs abdominales survenues dans la nuit après un retour de vacances le 08 août 2020.

Ce dernier, après un examen clinique complet, décide d’adresser la patiente aux urgences du centre hospitalier voisin de son cabinet, qu’il estime plus proche que l’hôpital privé où elle est suivie pour sa grossesse, avec la lettre suivante :
"Je vous adresse Mme X., terme à 24 SA. Pas d'ATCD particulier, pas de traitement. TA = 11/7, 80 bpm, apyrétique, P = 73 Kg. Elle présente des douleurs abdominales diffuses et une douleur épigastrique en barre, pas de défense, pas de contracture et un contact lombaire. Elle a des nausées et des vomissements +++ depuis cette nuit et n'arrive pas à s'alimenter. Pas de troubles urinaires associés. Elle n'a pas de métrorragies. Je vous l'adresse pour la poursuite de la prise en charge".

Le jour de l’expertise, le Dr A. expliquera qu'il pensait soit à une appendicite, soit à une pyélonéphrite, ce qui justifiait des examens complémentaires en urgence.

Le même jour à 13 h 30, consultation aux urgences gynécologiques du centre hospitalier. En raison de la crise sanitaire liée au Covid, la patiente est seule lors de son passage aux urgences car son mari n'est pas autorisé à l'assister. Celui-ci ne sera présent qu'à la fin de son passage, lors de la réalisation de l'échographie. Ceci explique les difficultés de communication entre la patiente et l'équipe médicale.

A son arrivée aux urgences, la patiente est prise en charge par l’interne de garde en obstétrique qui note l'existence de douleurs de la fosse iliaque droite, avec des vomissements, sans fièvre, ni diarrhée. L'examen clinique retrouve une douleur de la fosse iliaque droite mais sans défense. L'abdomen est souple.

L'examen obstétrical est normal, et une échographie obstétricale rapide confirme le bien-être fœtal. Biologie : GB. 17 830 /mm3 avec 89,1 % de polynucléaires ; CRP : 11 mg/L (normal< 5).

À 16 h 30, conclusion de l’échographie abdominale (pour éliminer une appendicite) : "Appendice non vu. Pas de signe indirect d'appendicite. Pas d'anomalie décelée pouvant expliquer la symptomatologie". Après discussion entre l'interne et l'échographiste, décision de non-indication d’un scanner abdomino-pelvien.

Vers 18 h 30, retour autorisé au domicile de la patiente en lui recommandant de reconsulter "en cas d'accentuation des douleurs ou de fièvre". Ordonnance remise avec prescription de paracétamol, de Spasfon® et d'Acupan®. L’explication donnée au couple est que : "les douleurs sont banales et probablement d'origine musculaire".

Dans le dossier, la conclusion du passage aux urgences est : "Pas de tableau évocateur d'appendicite. Retour à domicile avec antalgiques. Reconsulter en cas d'accentuation des douleurs ou de fièvre".

À noter qu’au cours de cette consultation, l’interne n’a pas fait appel au médecin senior de garde présent sur place...

Le mardi 11 août, les douleurs restant identiques, le mari de la patiente rappelle alors les urgences du centre hospitalier. Il lui est conseillé : "de ne pas revenir au centre hospitalier, et de contacter son médecin traitant". Le mari ne peut joindre le Dr A., mais obtient un rendez-vous avec le Dr B. qui est leur médecin traitant.

Le même jour, à 15 h, lors de la consultation du Dr B., les douleurs sont moins intenses que la veille. La patiente est apyrétique, la palpation abdominale ne retrouve pas de défense. Le Dr B. retient lui aussi le diagnostic de douleurs d'origine musculaire. Il prescrit une application de baume Aroma® en précisant à la patiente de revenir si les troubles persistent le lendemain.

Dans la nuit du 12 août, les douleurs persistant, et étant même devenues très intenses, le mari de la patiente appelle le 15 et une ambulance l’emmène à l’hôpital privé où elle est suivie pour sa grossesse.

À 4 h 06, le médecin urgentiste retrouve un abdomen météorisé se défendant à la palpation profonde, avec une douleur exquise au niveau de la fosse iliaque droite. Les examens suivants sont réalisés : 

  • Biologie : absence d'augmentation des GB, mais CRP élevée à 189 mg/L.
  • Echographie obstétricale : absence d'anomalie et bonne vitalité fœtale.
  • Echographie abdominale : petit épanchement intra abdominal. Iléus de l'intestin grêle dans la fosse iliaque gauche. Etant donné que cet examen ne permet pas de trouver l'origine des douleurs, une IRM pelvienne est demandée.
  • IRM pelvienne : "Aspect d'appendicite aiguë avec appendice partiellement rétro-caecal et doute sur une perforation de la base appendiculaire. Petit épanchement intra péritonéal". 

Le même jour à 16 h 30, intervention d’urgence sous coelioscopie :  "Péritonite purulente généralisée, avec de nombreuses fausses membranes dans l'ensemble des quadrants abdominaux et en inter anses, en rapport avec un appendice perforé. Appendicectomie et lavage de la cavité péritonéale".

Au cours de cette intervention, des précautions étaient prises pour préserver la grossesse : pneumopéritoine à basse pression (8 mmHg), aucune manipulation de l'utérus.

À 18 h 15, fin de l’intervention, transfert de la patiente en soins intensifs. Prescriptions postopératoires : bi-antibiothérapie associant Rocéphine® et Flagyl®.

À 19 h 45, Nifédipine 20mg LP (Traitement préventif de l'apparition de contractions utérines).

À 20 h 23, dossier médical : "utérus souple".

Le 13 août à 6 h 35, appel de la sage-femme par la patiente en raison de l'apparition de contractions utérines depuis environ une heure : "col utérin court, perméable à 2 doigts, sans longueur fonctionnelle en échographie".

À 8 h 32, avis obstétricien : "Col de l'utérus court, perméable à 2 doigts. Poche des eaux bombante dans le vagin". Etant donné le terme très précoce incompatible avec une réanimation néonatale, patiente placée sous Atosiban (note des experts : traitement visant à stopper les contractions utérines) et sous corticothérapie (note des experts : pour favoriser la maturation pulmonaire de l'enfant en cas d’accouchement prématuré).

Décision d’un transfert en urgence de la patiente en maternité de type 3 au CHU, l'équipe obstétricale de l’hôpital privé estimant qu'il est possible de stopper le travail ou au moins de le ralentir de quelques jours, alors que l'on est très près du terme de viabilité minimale 23 SA.

À 12 h, La patiente est admise en salle de naissance de la maternité du CHU, la situation ayant rapidement évolué dans un sens très défavorable avec une mise en travail malgré le traitement prescrit. En effet les contractions étaient devenues plus fortes et surtout le col utérin était largement ouvert à 4 cm avec une poche des eaux bombante dans le vagin. Il est alors annoncé au couple que rien ne pourra arrêter le travail et que, du fait du terme très précoce de la grossesse, il ne sera pas possible de sauver leur enfant. 

L'expulsion complète du fœtus dans sa poche avec le placenta a lieu à 22 h 30. L'enfant né vivant de sexe masculin et pesant 518 grammes.

Il sera en arrêt cardiaque à 22 h 40.

Suites de couches immédiates simples. Transfert de la patiente dès le lendemain dans le service de chirurgie digestive du CHU où l’antibiothérapie est poursuivie, étant donné l'importance de l'infection initiale.

Le 21 août, retour de la patiente à son domicile.

Le 31 août, patiente revue en consultation de contrôle par son obstétricien. Cette consultation est rassurante et sans particularité. Par la suite, la patiente verra une fois en consultation une psychologue et deux fois un psychiatre.

Saisine de la Commission de Conciliation et d’Indemnisation (CCI) par la patiente pour obtenir réparation des préjudices qu’elle avait subis (décembre 2020).

Expertise (mai 2021)

Pour les deux experts, exerçant en libéral l’un gynéco-obstétricien et l’autre chirurgien digestif  :

« (…) 
1 - L'enfant est décédé du fait de sa naissance trop prématurée à 4 mois et demi de grossesse, à un terme où aucune prise en charge médicale n'est possible pour espérer sauver un enfant : sa mère présentait une péritonite d'origine appendiculaire qui a nécessité une intervention chirurgicale en urgence. Dans les suites de cette intervention, la patiente est entrée en travail malgré la mise en œuvre de traitements qui se sont avérés inefficaces.

La perforation de l'appendice a été reconnue comme le facteur prédictif le plus important de morbidité maternelle et fœtale. Celui-ci est diversement apprécié dans la littérature, les études étant évidemment toutes rétrospectives et portant habituellement sur un nombre peu élevé de cas.

Le retard diagnostique expose à un risque de complication de l'appendicite vers la perforation appendiculaire, qui est associée à un taux de perte fœtale allant de 20 à 35 % (contre 1,5 % en l'absence de perforation)1.

D'autres publications estiment que le risque de perte de l'enfant est de 6 %, et que le risque d'accouchement prématuré est entre 3 et 8 % moins élevé par voie coelioscopique que par laparotomie. Plus les lésions sont importantes, plus le risque fœtal est élevé passant de 3,4 % en cas d'appendicite simple à 12,1 % en cas d'appendicite compliquée2.

Les chiffres donnés dans la littérature sont donc assez hétérogènes selon les séries. On comprend toutefois que tout retard au diagnostic augmente le risque de perte fœtale.

2 - En ce qui concerne la responsabilité de chacun des intervenants

  • La prise en charge réalisée par le Dr A., généraliste est parfaitement conforme aux règles de l'art. Aucun manquement n'a pu être mis en évidence à son égard par les experts.
     
  • Lors de son passage au centre hospitalier, la patiente a été prise en charge par l'interne de garde en obstétrique sans que celui-ci fasse appel au médecin senior pourtant présent sur place. La demande d'une échographie était justifiée en première intention. Cependant devant l'absence de visualisation de l'appendice, d'autres examens devaient être demandés. En effet, dans la mesure où le diagnostic d'appendicite est suspecté chez une femme enceinte et eu égard au risque important de complications obstétricales, tout doit être mis en œuvre pour confirmer ou non ce diagnostic. Une échographie considérée comme normale ne suffit pas, étant donné sa faible sensibilité et spécificité, à éliminer le diagnostic. L’imagerie de choix est alors l'IRM pelvienne, mais il est parfois impossible de l'obtenir en urgence. Si cet examen n'était pas disponible, un scanner abdominopelvien doit être demandé.
    Cet examen irradie un peu le fœtus, mais il est tout à fait possible et légitime de le réaliser en cas de doute, et le bénéfice apporté par cet examen l'emporte largement sur ses risques. En effet, le scanner permet dans 97 % des cas de poser le diagnostic d’appendicite1. Sans concertation avec le médecin senior, cet examen n'a pas été demandé, ce qui a retardé la prise en charge chirurgicale. En outre, le 11 août 2020, le couple a appelé le centre hospitalier pour signaler que les douleurs persistaient. La réponse qui lui a été donnée par téléphone était totalement inappropriée, puisque le diagnostic d'appendicite n'avait pas été formellement éliminé.
     
  • Ainsi, il est possible de relever trois manquements majeurs dans le comportement de l'équipe du centre hospitalier : absence d'examen par un médecin senior, arrêt des explorations après l'échographie qui n'avait pas permis d'éliminer une appendicite et enfin réponse particulièrement inadéquate à l'appel téléphonique du lendemain.
    L'absence de diagnostic d'appendicite, alors qu'il était possible de le réaliser au centre hospitalier en prescrivant un scanner, est donc à l'origine d'une perte de chance pour la patiente de ne pas présenter de complications obstétricales (ici, perte de son enfant).
    La patiente a finalement été opérée le 12août alors qu'elle aurait pu l'être dès le 10 août 2020 si le diagnostic avait été établi à cette date. Ce retard de 48 h doit faire retenir la fourchette haute des complications obstétricales mentionnées dans la littérature1-2.
    Si la patiente avait été opérée le 10 août, le risque de perte de l'enfant était de 2 % environ. Le risque de perte d'enfant en cas d'appendicite perforée depuis plus de 24 h est de 25 % environ. Ce chiffre reste évidemment un peu arbitraire, mais les données de la littérature sont très hétérogènes et, comme signalé précédemment, le retard à l'intervention est important (48 h) et l'appendice était perforé depuis au moins 24 h. La perte de chance est donc estimée à 25 -2 = 23 %.
    Au total, il sera retenu à l'encontre du centre hospitalier un manquement à l'origine d'une perte de chance de 23 %.
     
  • Le médecin traitant a vu la patiente et l'a examinée avec soin. Etant donné qu'elle sortait du centre hospitalier et qu'il n’était pas en possession d’un compte rendu précis, il est normal qu'il n'ait prescrit qu'un traitement symptomatique de douleurs musculaires.
    Il y a certes eu une erreur de diagnostic. Toutefois, on peut considérer que tout autre médecin traitant, placé dans une situation identique, aurait également commis la même erreur.
    L'histoire clinique de la patiente et son passage la veille dans un service d'urgence où elle avait bénéficié de plusieurs examens complémentaires ne pouvaient que le conforter dans le diagnostic de simples douleurs musculaires.
    Dans la mesure où le médecin traitant a pris soin d'examiner la patiente, on peut estimer qu'aucun manquement ne peut être retenu à l'encontre de ce praticien.
     
  • Aucun manquement n'est à retenir à l'encontre de l’hôpital privé ni à l'encontre du CHU."

Avis de la CCI (octobre 2021)

Se fondant sur les conclusions du rapport d’expertise, la Commission estimait que "la réparation des préjudices incombe au Groupe hospitalier à hauteur de 23 %".

Commentaire

La revue Prescrire a récemment publié deux articles concernant le diagnostic de l’appendicite chez l’adulte.

La conclusion du premier article est la suivante :

"(…) Chez les adultes, l’élément qui semble le plus utile pour retenir ou écarter une appendicite, est la localisation de la douleur en fosse iliaque droite. A l’examen physique une contracture abdominale semble être le signe le plus utile pour retenir une appendicite. L’absence de défense abdominale et l’absence de rebond douloureux semblent être les signes qui contribuent le plus à écarter cette éventualité. Quand l’incertitude reste grande après l’entretien et l’examen physique, des examens paracliniques tels qu’une NFS et une imagerie abdominale (tomodensitométrie ou échographie), ainsi qu’une réévaluation clinique dans les heures qui suivent le premier examen sont souvent utiles pour retenir ou écarter une appendicite (…)".3

Dans le deuxième article, il est précisé que :

"(…) Une synthèse méthodique de 136 études a évalué les performances de l’échographie abdominale effectuée par un radiologue pour le diagnostic d’appendicite. En moyenne, chez des adultes ou des enfants avec des signes évocateurs d’une telle affection, la sensibilité de cet examen a été de 85 % et sa spécificité de 90 % ; chez les femmes enceintes, la sensibilité a paru de 70 % (…)".4

Références
1 - Bouyou J, Gaujoux S, Marcellin L, Leconte M, Goffinet F, Chapron C, Dousset B. Urgences abdominales au cours de la grossesse. Journal de Chirurgie Viscérale (2015) 152, S50-S62.
2 - Olin et al. Laparoscopie versus open appendicectomy in pregnancy : A systematic review International journal of surgery (2008) 339 - 344).
3 - Signes d’appendicite chez les adultes. Rechercher plusieurs signes comme chez les enfants. Revue Prescrire juillet 2022, 42, n° 465 : 530-1.
4 - Echographie abdominale et appendicite. Un examen performant y compris quand il est effectué par un praticien non radiologue mais formé au préalable. Revue Prescrire, mars 2023, 43, n° 473 : 209

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