Prescription (fatale) de méthadone à une jeune toxicomane de 17 ans par un médecin généraliste.

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Prescription (fatale) de méthadone à une jeune toxicomane de 17 ans par un médecin généraliste. - Cas clinique

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... L’auriez-vous fait dans le même contexte ? 

  • Médecin
Auteur : C. SICOT / MAJ : 20/05/2016

Cas clinique

Le contexte : Léa (le prénom a été modifié), avait 15 mois lorsque son père est mort d’un surdosage médicamenteux lié à une polytoxicomanie. Depuis janvier 2007, la mère décrivait des problèmes relationnels avec sa fille alors âgée de 17 ans. Ceux-ci avaient abouti à ce que Léa quitte le domicile maternel en juillet 2007 dans un contexte de violences et d’alcoolisation. Elle était alors prise en charge par une assistante sociale, puis placée en famille d’accueil. Les études de Léa l’avait conduite jusqu’à un BEP de vente, mais elle n’avait pas d’activité professionnelle stable. Elle était en formation professionnelle depuis le 26 novembre 2007.

Le dossier médical  de Léa rapportait une consommation de cannabis quotidienne. Les premières prises remontaient à l’âge de 11-12 ans dans un contexte de convivialité avant de prendre un caractère régulier. Elle fumait du tabac, 10 cigarettes par jour. Les premières alcoolisations apparaissaient à l’âge de 16 ans avec essentiellement des alcools forts (whisky), lors de « fêtes », et avaient  évolué vers une consommation solitaire à risque. Les prises de cocaïne apparaissaient occasionnelles. Elle semblait avoir expérimenté de l’héroïne en août 2007 et probablement de la méthadone en Belgique.

  • Le  8 janvier 2008, Léa était adressée au centre hospitalier par une formatrice professionnelle. Elle y rencontrait l’infirmière de l’Equipe de Liaison et de Soins d’Addictologie (ELSA). Léa lui demandait « un traitement de substitution pour une toxicomanie opiacée avec prises quotidiennes d’1 gramme par jour d’héroïne par voie nasale ». Les contrôles urinaires pratiqués lors de cette consultation confirmaient la prise de cannabis et détectaient des opiacés, mais à des taux à la limite de la positivité. Lors de l’examen, il n’était pas noté de signes de sevrage.
  • L’infirmière de l’ELSA proposait un traitement substitutif par buprénorphine avec prescription en ville et contactait un médecin généraliste en lui adressant  un courrier récapitulatif. En effet, l’ELSA n’avait plus de médecin depuis novembre 2007 et ne pouvait prescrire de traitement substitutif, qu’il s’agisse de méthadone ou  de buprénorphine. L’infirmière de l’ELSA envisageait que le début de prise en charge se fasse dans les semaines suivantes, lors de l’arrivée de Léa dans sa nouvelle famille d’accueil.
  • Le mercredi 6 février, en fin d’après-midi, Léa accompagnée de sa famille d’accueil consultait le généraliste indiqué par l’infirmière de l’ELSA. Devant la demande insistante de Léa, ce médecin  prescrivait, sans faire de contrôle urinaire,  non pas de la buprénorphine, mais de la méthadone (60 mg/j  pendant 14 jours), avec dispensation quotidienne par la pharmacie de la commune.
  • La première prise de méthadone avait lieu le même jour à 19 heures.
  • Le jeudi 7 février, Léa ne se sentait « pas bien », vomissait  et était très somnolente. Le même jour, la famille d’accueil allait à la pharmacie chercher la deuxième dose de méthadone que le pharmacien refusait de lui délivrer, en l’absence de la patiente. En revanche, il lui conseillait de revoir soit le généraliste, soit l’infirmière de l’ELSA.
  • Le vendredi 8 février, Léa accompagnée par sa famille d’accueil consultait  l’infirmière de l’ELSA. Celle-ci estimait que  la « méforme » était due à la fatigue et au sevrage et que le traitement par la méthadone pouvait être repris. Le soir même, Léa allait chercher à la pharmacie, sa dose de méthadone correspondant  à la deuxième prise.
  • Le samedi 9 février, Léa absorbait sa troisième prise de méthadone, la dose du lendemain (dimanche)  étant confiée à sa famille d’accueil. Ultérieurement, sa famille d’accueil signalait avoir entendu, dans la nuit du samedi au dimanche,  des « ronflements bruyants » de Léa pendant son sommeil,
  • Le dimanche 10 février, vers midi, la jeune fille était découverte morte dans son lit, le flacon de méthadone correspondant à la prise du dimanche étant retrouvé intact dans sa chambre.
    • Lors de l’expertise, le médecin généraliste expliquait qu’il avait reçu Léa après une « grosse »journée de consultation, que le laboratoire d’analyses médicales était fermé et que, sur le courrier adressé par l’infirmière de l’ELSA, il était proposé un traitement substitutif par BHD, mais qu’il ignorait la signification de cette abréviation (Buprénorphine Haut Dosage, commercialisée sous le nom de Subutex®).

L’autopsie concluait  à un décès par « asphyxie aiguë liée à l’inhalation de liquide gastrique dans les bronches, à la suite d’une ingestion de méthadone à doses létales… La concentration de méthadone retrouvée dans le sang serait thérapeutique pour une posologie adaptée à une personne accoutumée à la méthadone, mais toxique, voire mortelle pour une personne non accoutumée ».   

Enquête pénale déclenchée par le procureur de la République pour homicide involontaire (février 2008). 

Analyse et jugement

Analyse

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Expertise (juillet 2012)

L’expert, psychiatre des hôpitaux, chef de service d’addictologie, relevait de nombreux manquements à la réglementation  et  aux recommandations:

« (…)

1) L’absence de médecin dans l’Equipe de Liaison et de Soins en Addictologie (ELSA) amenant l’infirmière à prendre une décision d’ordre médical et, en particulier, à conseiller un traitement substitutif pour une héroïnomanie  mal étayée (traces d’opiacés  à la limite de la détection dans le contrôle urinaire du 8 janvier alors que la patiente n’était  pas en manque, ni irritable ce qui aurait été le cas face à une héroïnomane avérée )

2) Le non-respect par le  médecin généraliste de la demande de l’ELSA de prescrire de la buprénorphine, se laissant influencer par la patiente, pour lui prescrire de la méthadone, et ce, sans contacter l’ELSA qui ne pouvait ignorer qu’il n’était pas possible  pour un médecin de ville de prescrire ce médicament  sans qu’une ordonnance hospitalière  d’habilitation l’y ait autorisé

3) Une posologie de méthadone trop élevée : si la dose thérapeutique se situe entre 60 et 100  mg/j, elle doit être atteinte par paliers. Cette dose est mortelle chez le sujet vierge d’opiacés et potentiellementlétale chez l’héroïnomane. L’AMM de la méthadone recommande des doses de début de cure entre 20 et 30 mg/j  et une adaptation entre une à deux semaines par paliers de 10 mg. Par ailleurs, sur le plan formel, la posologie et la durée du traitement  doivent être manuscrites (ce qui n’était pas le cas dans le cas particulier)

4) L’absence de dossier médical tenu par le médecin généraliste

5) Une dispensation de méthadone par le pharmacien sans ordonnance de sortie d’un centre hospitalier  habilitant le médecin généraliste

6) La sous-estimation par l’infirmière de l’ELSA de la gravité des troubles de la patiente, le vendredi  8 février, malgré l’inquiétude de la famille d’accueil et  une prescription de méthadone atypique tant dans les formes que pour la posologie de début de cure (…) »

En contrepartie, l’expert soulignait qu’ : « (…) A travers le dossier pénal, la patiente présentait des traits de personnalité caractérielle ou border-line avec une impulsivité, une grande réactivité, une mauvaise tolérance aux frustrations, une agressivité, une histoire pleine d’histoires… Ces dimensions de revendication de substance et de manipulation réduisaient fortement la responsabilité d’intervenants peu spécialisés et mal formés à cette pathologie et, de ce fait, souvent abusés et manipulés par ces patients (…) »

 

Tribunal correctionnel (avril 2014)

Les magistrats estimaient établi « que le médecin généraliste n’était pas habilité à prescrire un traitement par méthadone, qu’il avait hâtivement  délivré de la méthadone sans prescrire un bilan médical très simple, à savoir, un bilan urinaire dont le résultat pouvait être connu très rapidement ». Pour ces motifs, ils le reconnaissaient coupable d’homicide involontaire et le condamnaient à  douze mois d’emprisonnement avec sursis.

De même, ils considéraient « que l’infirmière de l’ELSA savait qu’un médecin généraliste n’était pas habilité à prescrire de la méthadone et que, surtout, elle avait fortement minimisé les symptômes manifestés par la jeune victime, dès le lendemain de la première prise ». Ils la reconnaissaient, également, coupable d’homicide involontaire et la condamnaient à  douze mois d’emprisonnement avec sursis.

En revanche, le tribunal relaxait le pharmacien, estimant qu’ « aucune faute professionnelle ayant pu être à l’origine du décès de la jeune patiente ne pouvait lui être reprochée ».

3 Commentaires
  • Gen A 03/03/2017

    .... les prescriptions de Subutex sont dangereuses pour le patient : elles sont détournables et détournées par les utilisateurs sous forme d'injections! ... les médecins généralistes devraient être sévèrement punis pour ce type de prescription à de jeunes toxicomanes ...idem pour les prescriptions d'anti-dépresseurs , d'anxiolytiques etc... neuroleptiques qui ne doivent être prescrits que par des centres adaptés et des thérapeutes spécialistes... il est utile de dire n o n même si ça prend du temps et de l'énergie!

  • . G 21/01/2016

    Personnellement , j'aurais refusé de faire cette prescription initiale , non pas compte tenu des conditions , mais tout simplement que n'étant pas formée , et médicalement et psychologiquement , à prendre en charge ce type de patient , je sais que j'aurais commis inévitablement des erreurs ; " à l'impossible nul n'est tenu " et ce médecin n'a pas eu le bon réflexe : refuser !
    Résultat : une condamnation qui va entacher son parcours professionnel , mais pire : un décès qui aurait du être évité !
    Le traitement de la toxicomanie , n'est pas au sens strict , une urgence .
    Donner une mauvaise dose est toujours une catastrophe .
    Comment vivre après ça ?

  • frederic d 19/01/2016

    cecas illustre malheureusement une situation dégradée que l'on observe en France.
    des centres de prescription CSAPA ou ELSA n'ayant pas les ressources pour effectuer le travail correctement, un défaut de FMC de nos confrères généralistes concernant la méthadone, une réglementation complexe et inapplicable à la lettre.
    la méthadone est de loin le meilleur traitement de substitution des opiacés à condition de disposer de tests urinaires performants et d'une solide formation. (la BDH ne doit ses avantages qu'à la facilité de prescription)

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